Venice Beach dans tous ses états, photographiée par Dotan Saguy

Publié le par Lise Lanot,

© Dotan Saguy

Face aux dangers de la gentrification, Dotan Saguy a immortalisé ce qu’il reste du "vrai" Venice Beach.

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Depuis plus d’un siècle s’épanouit à l’ouest de la ville de Los Angeles une enclave créative dont les canaux lui ont valu le petit nom de “la Venise des États-Unis” : Venice Beach. Imaginée en 1905 comme une station balnéaire, cette aire située sur le front de l’océan Pacifique n’est plus indépendante depuis 1926, date à laquelle elle a été rattachée à Los Angeles.Ce qui était destiné à devenir un luxueux complexe balnéaire a été laissé à l’abandon par la Cité des anges au lendemain de la Grande Dépression dans les années 1930. C’est alors que Venice Beach a commencé à prendre le tournant créatif qui lui a collé à la peau jusqu’à ces dernières années.

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Jenna surveille attentivement deux boas constricteurs géants que leur propriétaire, un artiste de rue qu’elle ne connaît qu’à peine, lui a confiés. Elle fait bien attention à ce que le serpent reste enroulé autour de barres d’exercice afin qu’une blessure que le serpent a dans la bouche ne touche le sable et ne s’infecte. Jenna est une mère célibataire invalide. Elle souffre du syndrome d’échec chirurgical rachidien, dû à une opération après un violent accident de voiture qu’elle a eu adolescente. Elle et son jeune fils, Jackson, passent la plupart de leurs après-midi à la plage. Originaire de la Caroline du Sud, Jenna est arrivée à Venice Beach en 2010 et elle se décrit comme une “chrétienne ouverte d’esprit qui aime chaque personne pour ce qu’elle est”. Ces derniers temps, Jenna a du mal à concilier ses valeurs progressives et inclusives avec les vues conservatrices du reste de sa famille, notamment dans le difficile contexte politique actuel. (© Dotan Saguy)

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Dans les années 1950, des immigrants européens aux faibles moyens (dont de nombreux survivants de la Shoah) s’installent à Venice Beach, en même temps qu’y déambulent des jeunes gens inspirés par les contre-cultures. À l’époque, on pouvait d’ailleurs y croiser de nombreux auteurs de la Beat Generation.

À la fin du XXe siècle, Venice Beach était devenu un synonyme de liberté pour tous les “outcasts” (les parias et marginaux, les personnages atypiques) qui ne s’épanouissaient pas dans la société quotidienne urbaine. Sur les 4 kilomètres de la fameuse Promenade de Venice, la “Boardwalk”, se mêlent alors artistes expérimentaux, amateurs de gonflette, de skate ou de poésie, drogues dures et douces et touristes plus ou moins réguliers.

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Si ce méli-mélo créatif est toujours présent, ces dernières années, Venice Beach a commencé à connaître un sérieux retour de bâton. Tout ce qui faisait l’identité du quartier, son fourmillement hétéroclite de bizarreries que personne ne jugeait, est devenu un spectacle continu en proie à la gentrification.

L’esprit libertaire de Venice Beach avant qu’il ne disparaisse

La fermeture du “Freak Show” de Venice Beach, le 30 avril 2017, a sûrement été l’un des moments les plus emblématiques de la gentrification de Venice. Après une bonne décennie de performances circaciennes à l’ancienne (avec des tortues à deux têtes, des chiens à cinq pattes, des femmes à barbe, des avaleurs de sabre et autres personnages glorifiant le bizarre et les parias), le Freak Show de Venice a dû fermer ses iconiques portes sur la Promenade. Le coupable ? Snapchat, qui voulait s’étendre sur un nouveau bâtiment de la Promenade. (© Dotan Saguy)

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Depuis 2010, de nombreuses entreprises ont installé leurs quartiers à Venice, nouvel emblème du cool pour les start-up. Ainsi, un très célèbre cirque présentant, entre autres, femmes à barbe, chiens à cinq pattes ou tortues à deux têtes a vu ses portes fermer après s’être fait racheter par le géant Snapchat.

Avant que cette gentrification ne change complètement la face de ce coin historique de la côte ouest, le photographe Dotan Saguy a souhaité immortaliser le pêle-mêle de performances expérimentales et l’esprit libertaire de Venice Beach, devenu le deuxième endroit le plus visité de la Californie du Sud – juste après Disneyland.

Avec ses images documentaires en noir et blanc, le photographe d’origine israélienne rend un hommage assez magistral à ceux qui donnent et ont donné à cette plage ses lettres de noblesse. Dans son livre, Venice Beach, The Last Days of a Bohemian Paradise, Dotan Saguy s’intéresse aux légendes du lieu, qu’il s’agisse d’un vieux monsieur défenseur de la cause animale ou du bodybuilder Ike Catcher, devenu une figure incontournable de la “Boardwalk”, mais aussi de ceux qui ont tout quitté pour goûter à la liberté progressiste de la West Coast, à l’instar de Jenna, une mère de famille handicapée qui passe de nombreuses journées sur la plage avec son fils de 5 ans.

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Le photographe s’immisce dans l’intimité de tous ces esprits libres avec brio, et ce, sans jamais donner l’occasion au lecteur de se sentir voyeur. On passe ainsi en douceur du célèbre coin aux haltères, qui a compté à une époque Arnold Schwarzenegger parmi ses habitués, à des vans enfumés par les vapeurs de marie-jeanne, en passant par les performances artistiques, et souvent expérimentales, visibles sur la Promenade.

Jackson, 5 ans, surveille un des boas constricteurs pendant que le second rampe vers sa maman, Jenna, qui se détend sur le sable. Un artiste de rue leur a confié ses deux énormes boas pendant qu’il prend une pause du tumulte de la Promenade de Venice Beach. Autour de l’enfant et des deux serpents, personne ne semble prêter attention à ce tableau pour le moins étonnant. (© Dotan Saguy)
Cette photo demeure un mystère. Depuis de nombreuses années, l’homme, qui se fait connaître sous le nom de “Jingles”, défend la cause animale et prône le véganisme depuis son stand sur la Promenade de Venice. Peut-être donne-t-il une bénédiction sous forme de fleur en papier à cette jeune future maman. (© Dotan Saguy)

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Un après-midi orageux de printemps, après une fatigante mais bien appréciable leçon de surf, un groupe d’ados sort de l’océan, planche sur la tête. (© Dotan Saguy)
Un haltérophile soulève des haltères pendant que, derrière lui, Ike Catcher tient en équilibre sur deux barres d’exercice de la très célèbre “Muscle Beach Gym”. Ike (2,05 m pour 121 kg) est né et a grandi en Autriche d’un père nigérien et d’une mère autrichienne. Après une courte carrière dans les arts martiaux, il est devenu haltérophile et a gagné le titre de Mr. Vienne en 2013. Ike aime montrer son impressionnante carrure et poser avec des touristes dans des poses amusantes. Parfois, il tient en équilibre deux enfants à bout de bras, à plus de 2 mètres de hauteur. (© Dotan Saguy)
Une bande de jeunes skateurs se retrouve pour fumer de la marijuana, sous le soleil du petit matin, devant l’emblématique fresque “Touch of Venice” visible sur l’avenue Windward. Ces jeunes viennent de différents coins des États-Unis pour expérimenter un mode de vie bohème avant de poursuivre leur chemin vers une autre destination. (© Dotan Saguy)
Une jeune femme danse sur les rythmes entraînants des percussionnistes du Venice Beach Drum Circle, tandis que le soleil se couche sur l’océan lors d’une chaude soirée estivale. Elle semble absorber toute l’énergie émanant des tambours avant de la rendre aux musiciens, grâce à la boucle sans fin de ses mouvements. (© Dotan Saguy)
Un groupe de jeunes hippies chantent, assis sur un banc, face à la Muscle Beach Gym. La Promenade est vide de son habituel flux de touristes en cette journée pluvieuse de printemps. (© Dotan Saguy)
Ici, on mange un sandwich en parlant à un chien et passant le joint à une mystérieuse main déjà en possession d’une cigarette… Beaucoup de choses se passent dans ce vieux van garé à côté du parc à chiens de Venice Beach, où le mode de vie bohème bat son plein. (© Dotan Saguy)
Un bodybuilder huilé vêtu simplement d’un slip s’avance sur la scène du concours de Mr. Muscle Beach. Sa silhouette ressemble à celles des gladiateurs romains qui entraient autrefois dans des arènes remplies d’impatients spectateurs. (© Dotan Saguy)
Une performance improvisée par Elizabeth, une artiste locale habillée en oiseau blanc, et Freedom, un musicien sans domicile fixe, devient spontanément une danse de groupe lorsque des spectateurs se joignent à eux. Elizabeth et son comparse ont décidé de présenter leur danse improvisée sur cette verte colline près de la plage après s’être rencontrés pour la première fois au Café Gratitude plus tôt dans la journée. Maintenant, le soleil se couche sur l’océan et leurs silhouettes ressemblent à une illustration de l’évolution humaine avec un rebondissement. La dernière silhouette suggère que la dernière transformation prend la forme d’un oiseau, comme un symbole de culture libérée de la Promenade. (© Dotan Saguy)
Couverture de “Venice Beach, The Last Days of a Bohemian Paradise”, de Dotan Saguy, publié aux éditions Kehrer.

Venice Beach, The Last Days of a Bohemian Paradise de Dotan Saguy est disponible aux éditions Kehrer.