Un photojournaliste libanais à la recherche de celui qui lui a sauvé la vie

Publié le par Lise Lanot,

© Ramzi Haidar

36 ans après, Ramzi Haidar recherche un mystérieux pianiste milicien qui l'a aidé après qu'il a pris une balle dans la tête.

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En 1983, Ramzi Haidar est âgé de 24 ans. Appareil à la main, il photographie le quotidien et les ravages que connaît son pays, le Liban, depuis le début des affrontements civils, en 1975. Ainsi placé au cœur des combats, le jeune homme reçoit un jour de septembre une balle dans le crâne. S’il survit, c’est grâce au secours des miliciens qui l’entourent, notamment l’un d’eux, dont l’attitude détachée l’avait captivé quelques minutes plus tôt.

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En cette journée d’automne 1983 – qui aurait pu être fatale à Ramzi Haidar –, fait rage “la guerre de la montagne” qui oppose les Druzes, aidés de soldats palestiniens, et les Forces libanaises, une milice chrétienne. Le photographe suit des combattants chrétiens dans le village de Souk el Gharb, un endroit stratégique dans lequel les habitations deviennent des territoires de lutte.

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Le photographe Ramzi Haidar devant sa photographie du “Piano Man”, datant de 1983.

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Dans une des maisons abandonnées investies par les miliciens, Ramzi Haidar tombe sur une scène étonnante. Au milieu des débris de guerre de ce qui semblait être une luxueuse demeure, un homme de son âge, Kalachnikov sous le bras, joue sur un piano à queue : “J’étais très surpris parce que tous ses amis se battaient autour de lui. Lui s’en fichait et jouait du piano. J’étais assez abasourdi par son attitude, il semblait ne pas prêter attention à ce qui l’entourait”, précise le photographe à ABC.

La scène, jusque-là parenthèse presque enchantée, devient tout à fait dramatique lorsque Ramzi Haidar reçoit une balle dans la tête en quittant la maison :

“J’ai pris la photo… Puis je me suis fait tirer dessus. J’ai ressenti un énorme choc. C’était comme dans les films, quand un homme se prend une balle. J’ai vu toute ma vie défiler.

Le plus dur, c’était d’imaginer ma mère, dans notre village du Sud, Jouwaya, alors occupé par Israël, devoir faire son deuil, entourée de tous les gens des environs.”

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Une quête vieille de plus de trente ans

Le “Piano Man” dans la villa Tallet el-Tlet Tmenet, près de Souk el-Gharb, septembre 1983. (© Ramzi Haidar)

Les miliciens, dont notre fameux pianiste, se sont empressés de prodiguer au jeune homme quelques soins avant de l’emmener à l’hôpital : “L’homme visible [le Piano Man, ndlr] sur la photographie est un de ceux qui m’ont emmené à l’hôpital. Je n’ai pas cessé de le chercher depuis.”

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Aucun des autres miliciens ne sait ce qu’est devenu le mystérieux musicien, mais Ramzi Haidar est persuadé que son sauveteur est encore en vie. C’est pourquoi, depuis une trentaine d’années, il le cherche : “Si jamais je le trouve, je ne sais pas ce que je lui dirai. C’est assez perturbant.”

Alors que certains des monochromes de Ramzi Haidar sont exposés à la galerie beyrouthine Dar al Mussawir, le photographe ne perd pas espoir de retrouver le jeune milicien.

Les boucles longues, les souliers et les habits de ville du jeune anonyme, son air nonchalant et ses doigts volant sur le clavier contrastent avec la mitraillette accrochée à son bras et les marques de violence qui l’entourent. Tout en dualité, ce “Piano Man” devient presque une allégorie de cette guerre civile dont les mille visages n’ont cessé de se succéder et de se chevaucher, marquant durablement le peuple du Levant.

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Vous pouvez retrouver le travail de Ramzi Haidar sur son compte Instagram.