Outrenoir, radicalité et rébellion : 6 choses à savoir sur le peintre Pierre Soulages

Publié le par Lise Lanot,

© Raphaël Gaillarde/Gamma-Rapho via Getty Images

En hommage au peintre mort à 102 ans, retour en six faits marquants sur l’œuvre et la vie de cet artiste pas comme les autres.

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Le 26 octobre dernier, le monde de l’art n’avait jamais été aussi noir : il apprenait la mort, survenue la veille, du peintre français Pierre Soulages, connu pour ses tableaux aux nuances infinies de noirs.

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Décédé à l’âge de 102 ans, le peintre laisse derrière lui une œuvre d’une folle richesse – malgré sa monochromie – et de belles histoires. En hommage à l’artiste français qui a traversé deux siècles, voici un retour en quelques points sur sa vie et sa carrière.

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Ses premières œuvres étaient… blanches comme neige

Pierre Soulages est né le 24 décembre 1919 à Rodez, dans le Midi de la France. Très jeune, il se met à la peinture mais, alors qu’on lui offre “des couleurs”, il préfère “tremper [son] pinceau dans l’encrier”, tel qu’il se le remémore dans des entretiens rassemblés par Arte. “L’histoire qu’on me raconte, c’est qu’enfant, je traçais des grandes lignes noires sur du papier blanc. Quelqu’un m’a demandé : ‘Qu’est-ce que tu fais là, mon petit Pierre ?’ et j’ai répondu : ‘De la neige’.

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Le “petit Pierre” n’est donc qu’un enfant lorsqu’il découvre le pouvoir extraordinaire du noir et la façon dont il peut renverser les a priori du monde réel. Il voit le noir non pas pour son obscurité, pour sa qualité de noir”, mais pour “ses pouvoirs de noir”, “c’est-à-dire que par contraste, il rendait le papier plus blanc, comme la neige”.

C’est à l’adolescence que se forme concrètement son désir d’être artiste, lorsqu’il découvre les beautés de l’art sous toutes ses formes, et à toutes les époques, qu’il s’agisse de l’art roman d’une abbatiale ou de l’émotion ressentie face à des peintures rupestres.

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Il a inventé l’outrenoir

Comment parler de Pierre Soulages sans traiter de son célèbre “outrenoir” ou “noir-lumière”, un noir presque brillant, qui reflète la lumière et hypnotise le public. L’artiste a toujours affirmé ne pas travailler avec la couleur noire mais avec “la matière du noir”, créant une “lumière secrète, une lumière qui n’est pas évidente”.

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Au micro de France Culture, en novembre 1986, il expliquait que la seule réponse qu’il puisse trouver à “Pourquoi le noir ?” était “Parce que”. Pas de symbolisme lié au deuil ou aux traumatismes, le noir était une façon de vivre pour l’artiste – qui s’est d’ailleurs marié en noir, à minuit, en 1942, avec Colette, sa femme pendant 82 ans.

Avec le noir, Pierre Soulages renverse de nouveau les codes. Il transforme le noir, non-couleur qui ne réfléchit qu’à peine la lumière, en une matière lumineuse et puissante. Avec ses coups de pinceau, le noir devient synonyme de naissance, de nuances, de lumière, d’audace et de modernité.

Pierre Soulages, “Peinture 222 x 157 cm, 30 décembre 1990” (à gauche) et “Peinture 222 x 157 cm, 5 janvier 1991” (à droite) exposées au musée Frieder Burda. (© Uli Deck/Picture Alliance via Getty Images)

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Il ne faisait rien comme tout le monde

Pierre Soulages est construit à l’envers, c’est-à-dire qu’il est capable d’appréhender le monde d’une autre façon que nous autres, commun des mortel·le·s. Il utilise le noir pour rendre compte de la lumière et dessiner ce qu’on ne voit pas : “Quand j’allais à la campagne, je peignais des arbres que je voyais à deux kilomètres, que je ne voyais presque pas. Je copiais quelque chose que je distinguais à peine et, de cette manière-là, j’inventais.”

Ses premières toiles présentent les paysages de sa campagne, des arbres nus et sombres qui, il l’avoue, ne correspondent pas à la réalité vécue. Ce penchant pour l’obscurité et l’imaginaire le poussera de plus en plus vers une œuvre noire et abstraite – abstraction qu’il découvre grâce notamment à l’artiste Sonia Delaunay, dans les années 1940. Son travail tranche alors radicalement avec celui de ses contemporain·e·s puisque au sortir de la Seconde Guerre mondiale, ce sont des œuvres plutôt figuratives et colorées qui ont le vent en poupe.

Ne faisant décidément rien comme tout le monde, Pierre Soulages n’a jamais hésité à se détourner des outils et matériaux traditionnels de la peinture. Auprès de Nowness, il se remémorait en 2015 avoir commencé à peindre avec “un morceau de bois qui traînait” alors qu’il était “très désespéré” et [n’arrivait] pas à produire ce [qu’il voulait]. D’ailleurs pour le peintre, la question du matériel n’en est pas vraiment une puisque “c’est la lumière, le véritable outil”.

Il était radical

Pierre Soulages a été un peintre très prolifique. On parle de plus de 1 550 œuvres signées de l’artiste. Cependant, il en a créé bien plus, qu’il faisait disparaître lorsqu’elles ne correspondaient pas à ses exigences : “Quand je travaille pendant longtemps sur une toile qui ne me convient pas, qui ne correspond pas à ce que j’aimerais qu’elle soit, je la détruis. Et pour la détruire, je la brûle. Toutes les toiles qu’on voit sont des toiles que j’accepte, il y a beaucoup de toiles que je fais et que je n’aime pas”, rapportait-il devant la caméra de Nowness.

Cette radicalité s’accompagne de règles auxquelles l’artiste ne dérogeait pas. Par exemple, il refusait de se laisser embarquer dans des plans de création. Le Monde rapporte que c’est “l’inattendu et l’accident” qui motivaient plutôt les élans créatifs du peintre.

C’est d’ailleurs alors qu’il croyait “être en pleine débâcle” parce que “le noir avait tout envahi” sur une de ses œuvres qu’il a entamé une de ses périodes les plus célèbres, celle de ses immenses toiles noires. “Alors que j’étais dans la catastrophe, j’ai vu apparaître un autre type de peinture”, décrivait-il au micro de France Culture en 1986.

Il laissait toute sa place au public

Pierre Soulages affirmait que “celui qui la regarde fait partie de l’œuvre”. C’est en partie pour laisser toute sa force au regard du public que le peintre refusait de donner des noms trop poétiques ou explicatifs à ses œuvres. Ces dernières sont toutes nommées selon le même modèle : le matériau utilisé, leur dimension, leur date de création. Par exemple : “Peinture, 237 x 81 cm, 23 février 1990” ou “Brou de noix, 74,5 x 52, 5 cm, 1999”. Le peintre ne voulait pas influencer le regard de son public, il voulait le laisser complètement maître de ses ressentis, sans se laisser submerger par l’intellect et le monde physique.

En visite de son musée à Rodez en 2014, avec le Huffington Post, il conseillait au public de “regarder [ses toiles] avec les yeux et non pas avec ce qu’ils ont dans la tête” : “S’ils regardent avec ce qu’il y a dans la tête, ils se disent que c’est noir. S’ils regardent avec les yeux, ils se rendent compte que ce n’est pas noir, que c’est tout autre chose.”

Il a refusé d’entrer aux Beaux-Arts

À 18 ans, le jeune Pierre Soulages se rend à Paris afin de passer le concours de l’école des Beaux-Arts. Par “hasard”, il traverse une salle où il voit ce à quoi travaillaient les élèves : “J’étais absolument horrifié, c’était absolument, vraiment à l’opposé de ce que j’aimais, mais je n’ai pas osé partir”, racontait-il à Arte. Le souvenir amer de ces cours bien trop conformistes en tête, il refuse d’entrer aux Beaux-Arts : “Lorsque j’ai su que j’étais admis, je ne suis jamais entré dans cette école et j’ai pris immédiatement le train pour Rodez.”

Le peintre suivra son cœur et l’Histoire lui donnera raison. Malgré ce refus de suivre un cursus artistique classique, il deviendra l’un des plus grands peintres du XXe siècle. Nombre de musées à travers le monde lui ont consacré de grandes rétrospectives.

Pour son 90e anniversaire, le Centre Pompidou lui avait organisé “la plus grande rétrospective jamais consacrée à un artiste vivant par le Centre depuis le début des années 1980, avec plus de 2 000 mètres carré d’exposition”, note son site. Sa mort a sonné un tel glas dans le cœur des amoureux·ses de l’art que le musée du Louvre lui a organisé ce mercredi 2 novembre un bel hommage national en présence du président de la République. Grâce à Pierre Soulages, le noir de nos vies se teinte d’espoir et d’élégance et ça, sa mort n’y changera rien.