Mika Sperling raconte l’inceste dont elle a été victime dans un projet photo poignant

Publié le par Donnia Ghezlane-Lala,

© Mika Sperling

Victime de son grand-père qui l’agressait sexuellement quand elle était petite, la photographe Mika Sperling livre aujourd’hui une série déchirante et cathartique.

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“Comment briser un tabou familial et sociétal ?” C’est à cette question que la photographe Mika Sperling tente de répondre, en toute vulnérabilité et résilience, dans son projet Je n’ai rien fait de mal. Un projet intime qui raconte l’inceste dont elle a été victime durant son enfance.

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À travers ce titre fort et au sens double, la photographe porte deux voix : celle des victimes d’inceste rongées par la culpabilité et le silence, et celle de son grand-père qui a toujours nié les accusations. C’est non sans émotion que nous avons découvert cette œuvre bouleversante aux Rencontres photographiques d’Arles, à l’Église des Frères Prêcheurs, aux côtés d’autres projets du Prix Découverte Louis Roederer.

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Mon grand-père sur sa terrasse, 1994, série “Je n’ai rien fait de mal”. Avec l’aimable autorisation de Mika Sperling. (© Mika Sperling)

Histoire de la violence

Dans son travail, Mika Sperling aime s’inspirer de son vécu, de son histoire familiale et de son enfance : de la mort de son père à ses origines russes, ses liens avec sa fratrie et les multiples déplacements de sa famille. Dans chacun de ses projets personnels qui défient les tabous et les peurs, elle apporte sa voix et son récit.

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Explorant un traumatisme d’enfance, Je n’ai rien fait de mal est composée de trois parties. D’abord, des images réalisées avec sa propre fille dans la maison du grand-père et “sur le chemin de sa maison d’enfance” : sa main innocente caressant une fleur, une cicatrice sur un front… Tout pour renvoyer à une mémoire familiale traumatique, qui se passe de mère en fille.

Avec toi, à 55 mètres, 2021, série “Je n’ai rien fait de mal”. Avec l’aimable autorisation de Mika Sperling. (© Mika Sperling)

Ensuite, une installation composée de pièces d’un échiquier dispersées sur une table, rappelant les parties qu’elle faisait avec lui, et d’un scénario-dialogue fictif entre lui, décédé et silencieux, et elle, “en quête de réponses”. Un mouchoir en tissu est également accroché, en écho à celui que son grand-père possédait. Des dessins d’enfance dans lesquels ce dernier est présent ou effacé jalonnent l’exposition.

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Pour finir, des photos de famille desquelles Mika Sperling a découpé la silhouette menaçante de son grand-père. Parfois, ces photos sont retournées, comme pour figurer le tabou de l’inceste, que les familles préfèrent souvent ne pas voir et dire.

Découpages de mon grand-père que je ne veux pas regarder, 2021, série “Je n’ai rien fait de mal”. Avec l’aimable autorisation de Mika Sperling. (© Mika Sperling)

Des légendes glaçantes servent de descriptions à ces images dissimulées que le public ne peut qu’imaginer : “Sa main droite repose sur l’arrière de ma chaise, sa main gauche pend dans le vide”, “Il y a cinq filles sur cette photo. […] Je suis assise à côté de lui. Son bras entoure mes épaules”, “Il est assis dans son fauteuil et porte deux filles sur ses genoux. Je suis l’une d’entre elles. Sa main droite est posée sur ma hanche, sa main gauche sur la poitrine de l’autre fille. Nous portons toutes les deux […] des shorts moulants. Je croise mes mains sur mes cuisses.”

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Mais Mika Sperling aura beau cacher ses photos de famille, les découper, effacer sa silhouette et tout ce qu’elle charrie de violent et de honteux, la présence du grand-père, ici “convoqué sur le banc des accusés”, est “symbolique et spectrale”, écrit à juste titre Taous Dahmani à propos de la série. Exposant le mal et son passé douloureux, l’artiste livre un projet protéiforme qui illustre les différentes aspérités du traumatisme et les différentes conséquences qui découlent des crimes insoutenables de son grand-père.

Dans ma chambre, 2000, série “Je n’ai rien fait de mal”. Avec l’aimable autorisation de Mika Sperling. (© Mika Sperling)

Vous pouvez suivre Mika Sperling sur son site et sur son compte Instagram. La série Je n’ai rien fait de mal est à voir lors des Rencontres photographiques d’Arles, dans le cadre du Prix Découverte Louis Roederer, à l’Église des Frères Prêcheurs, jusqu’au 25 septembre 2022.

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Konbini, partenaire des Rencontres photographiques d’Arles 2022.