Lumière sur Ruth Orkin, la photographe qui rendait le quotidien extraordinaire

Publié le par Lise Lanot,

© Ruth Orkin/Courtesy Bonhams

Retour sur le travail résolument précurseur de cette grande photographe guidée par sa détermination.

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Ruth Orkin a grandi dans les “Roaring Twenties”, l’équivalent américain des Années folles, à Hollywood. Très jeune, elle se met à rêver de raconter le monde à travers un objectif de caméra ou d’appareil photo. À 20 ans, alors qu’elle travaille comme petite main aux studios de production cinématographique Metro-Goldwyn-Mayer, elle découvre qu’elle ne pourra pas devenir directrice de la photo, puisque leur syndicat interdit les femmes…

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Qu’à cela ne tienne, elle embarque son appareil photo autour du monde et se fait rapidement une place de choix dans le paysage très masculin des photographes célèbres de l’époque. À ses 29 ans, en Italie, elle prend une photo déterminante pour sa carrière. Elle y rencontre une jeune compatriote états-unienne, Jinx Allen, qu’elle prend en photo dans une rue de Florence :

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“J’ai rencontré Jinx Allen, qui voyageait seule à travers l’Europe, comme moi, dans notre hôtel de Florence, en 1951, et lui ai demandé de jouer une scène. La première fois qu’elle a traversé ce groupe d’hommes qui traînaient au coin de la rue, elle s’est cramponnée à elle-même et avait l’air terriblement effrayée. Je lui ai demandé de repasser une seconde fois, ‘comme si ça te tuait mais que tu allais le faire quand même’. C’est tout ce dont j’avais besoin. Deux poses. C’était un an avant que quiconque ne publie [la photo]. Elle paraissait sans doute trop risquée à l’époque.”

“Une Américaine à Florence, en Italie”, 1951. (© Ruth Orkin/Courtesy Bonhams)

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Lorsque l’image est enfin publiée, elle rencontre un succès immense. Elle accompagne un article du magazine Cosmopolitan intitulé “Quand vous voyagez seule… Des conseils sur l’argent, les hommes et la morale”. Elle est ensuite utilisée pour une campagne publicitaire de la marque Kodak. “An American Girl in Italy” devient tellement connue qu’on finit par croire qu’elle a été prise par Robert Doisneau.

Orkin inspirera des discussions concernant l’émancipation des femmes et le harcèlement de rue – bien avant que cela devienne un sujet de société – à travers les époques. Dans les années 1970, la photo suscite un regain d’intérêt, en même temps que le travail de Ruth Orkin commence à faire l’objet de rétrospectives et que les mouvements féministes se font entendre.

“Portrait de Ruth Orkin à Londres”, 1951. (© Alfred Eisenstaedt/Courtesy Bonhams)

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Un monde moderne

Déterminée, Ruth Orkin ne s’arrête pas là. Elle voyage à travers l’Europe et est envoyée en Israël-Palestine par le magazine Life pour y photographier l’orchestre philharmonique. Pendant ses voyages, puis de retour aux États-Unis ravagés par la ségrégation raciale, elle traite ses modèles de façon égale, qu’il s’agisse d’Albert Einstein, d’Orson Welles ou d’anonymes. Elle part à la recherche d’une pose chez un badaud qui lui rappelle le David de Michel-Ange ou d’une expression chez un enfant qui le transforme instantanément en grand conteur.

Loin du sentimentalisme, elle travaille à la croisée du photojournalisme et de la photo d’art. La force de ses images en noir et blanc ne réside pas dans leur témoignage d’une époque révolue ; elles sont au contraire résolument modernes, à son image.

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“Le Conteur d’histoires”. (© Ruth Orkin/Courtesy Bonhams)

Ruth Orkin viendra à bout de ses rêves de cinéma. En 1953, elle réalise son premier film aux côtés de son époux, Morris Engel, et de Raymond Abrashkin. Le Petit Fugitif suit les aventures d’un petit garçon au milieu des attractions de Coney Island, effrayé parce qu’il croit avoir tué son grand frère. Le jeune acteur est filmé au milieu des badaud·e·s, comme si personne ne le voyait, grâce à une caméra portative 35 millimètres. Selon François Truffaut, Le Petit Fugitif aurait contribué à la naissance de la Nouvelle Vague, souligne la maison de vente aux enchères Bonhams.

C’est pour célébrer ce regard moderne que, cent ans pile après sa naissance, Bonhams organise justement une vente aux enchères virtuelle des œuvres de Ruth Orkin. Un hommage bienvenu pour cette grande photographe dont la philosophie d’“avoir toujours fait ce qu’[elle] voulai[t] faire” émane à travers ses photos.

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“Un petit garçon fatigué à la sortie du cirque”, 1948. (© Ruth Orkin/Courtesy Bonhams)
“Couple à Florence, en Italie”, 1951. (© Ruth Orkin/Courtesy Bonhams)
“Albert Einstein à un déjeuner organisé à Princeton, dans le New Jersey”, 1955. (© Ruth Orkin/Courtesy Bonhams)
“Les Joueurs de cartes, à New York”. (© Ruth Orkin/Courtesy Bonhams)
“Portrait en pied d’un homme (David ?) debout, tenant un paquet, un sac et un journal devant les vestiaires de Penn Station, à New York. Sa posture rappelle celle du <em>David</em> de Michel-Ange”, 1947. (© Ruth Orkin/Hulton Archive/Getty Images)
“Des lectrices de bandes dessinées”, 1947. (© Ruth Orkin/Courtesy Bonhams)
“Des frères à Hyde Park à Londres, en Angleterre”, 1951. (© Ruth Orkin/Courtesy Bonhams)
“Des réfugiés juifs”. (© Ruth Orkin/Courtesy Bonhams)
“Leonard Bernstein et Marian Anderson au stade Lewisohn”, 1947. (© Ruth Orkin/Courtesy Bonhams)
“Une mère et sa fille à Penn Station”. (© Ruth Orkin/Courtesy Bonhams)
“Un couple à la plage, à New York”, 1947. (© Ruth Orkin/Courtesy Bonhams)
“Un homme sous la pluie à New York”, 1952. (© Ruth Orkin/Courtesy Bonhams)
“Trois garçons sur des valises à Penn Station”, 1947. (© Ruth Orkin/Courtesy Bonhams)
“Des femmes nourrissent des chats à Rome, en Italie”. (© Ruth Orkin/Courtesy Bonhams)
“L’acteur et réalisateur américain Orson Welles (1915-1985), portant un élégant chapeau, regarde une femme non identifiée, vue de profil au premier plan, lors du bal du comte Beistegui à Venise en Italie”, 1954. (© Ruth Orkin/Hulton Archive/Getty Images)