Ces archives photo intimes racontent le Ghana des années 1960 à nos jours

Publié le par Sirine Azouaoui,

"C’est surtout un travail d’amour." Rencontre avec la curatrice Adjoa Armah qui a rassemblé 30 000 images familiales et touchantes.

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Vacances au bord de la mer, rassemblements autour d’un défunt, fêtes en boîte de nuit, baptêmes, mariages, portraits de famille… Adjoa Armah rassemble les archives photographiques du Ghana, son pays d’origine, témoins d’une époque, d’un style et d’une culture. Depuis 2015, la curatrice vivant à Londres voyage à travers le pays pour récupérer des négatifs dont personne ne veut. Elle détient maintenant 30 000 images, capturées entre 1963 et 2010.

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Il s’agit du fascinant projet Saman Archive, à la croisée de l’histoire, de l’anthropologie et de l’art, à l’image de sa fondatrice qui a travaillé des années dans la mode avant de se lancer dans la recherche. En akan, une des langues ghanéennes, “saman” signifie “fantôme”. Mais ce terme était aussi utilisé pour qualifier les négatifs. Une façon de donner corps à des histoires, de faire revivre des souvenirs oubliés et d’offrir une plateforme aux personnes qui ont un lien avec le Ghana. Rencontre avec Adjoa Armah qui a sorti un livre autour de cet ambitieux projet.

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Konbini arts | Quel est le point de départ de ces archives ? Pourquoi avoir choisi de collecter ces photos ?

Adjoa Armah | Je n’ai pas vraiment choisi de commencer une archive photographique. J’ai découvert un problème urgent par accident. Je collecte des photos de studios ou de photographes itinérants, pas de photographes d’art ou de photojournalistes. J’ai compris que ces négatifs allaient être détruits, donc j’ai demandé à un photographe de me donner ceux qu’il allait jeter.

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Plutôt que d’en rester à une collection personnelle, j’ai commencé à penser à construire des archives. Cela me semblait important, au-delà de mes propres besoins. Il y a aussi de super enregistrements audio, des interviews, des histoires, à travers tout le pays : des chansons de pêcheurs à Keta au bruit d’une station de trotro [petit bus, ndlr] à Tamale.

En quoi ces archives reflètent-elles ton histoire personnelle ?

Je suis née au Ghana et j’ai emménagé à Londres à 8 ans. Une bonne partie des archives remplit un vide pré-réseaux sociaux, entre mon départ quand j’étais enfant et quand je suis revenue en tant qu’adulte. Le processus est très personnel : il me permet de redécouvrir ce lieu à travers mes yeux d’adulte et de comprendre quelle est ma place là-bas.

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Quelle était ta méthode pour collecter ces négatifs ? Où les as-tu trouvés et comment as-tu rencontré les photographes ?

Pendant longtemps, j’ai eu l’inquiétude que si j’expliquais comment j’ai collecté ces négatifs, j’allais créer un schéma pour que des gens avec de mauvaises intentions débarquent au Ghana ou dans des pays voisins pour récupérer des photos. Collecter est une grosse responsabilité et il faut savoir ce que l’on cherche, quels sont nos intentions et nos objectifs avant de commencer.

Ce que je fais, c’est aller de ville en ville, parler aux gens, demander où sont les studios photo, qui sont les photographes du coin et essayer d’avoir une discussion sans m’imposer. Neuf fois sur dix, il n’y a rien à récupérer. Mais je vais quand même dans ces lieux pour avoir des histoires et des contacts.

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Quelles histoires collectes-tu en même temps que ces photos ?

J’essaie d’être le plus ouverte possible sur la manière dont j’interagis avec les gens quand je voyage dans le pays. Je suis très intéressée par les histoires locales donc j’essaie de parler aux plus anciens quand je peux. Les DJ ont souvent des histoires géniales, j’aime bien sortir avec le plus vieux DJ du coin et parler de la vie nocturne des années 1960 et 1970, comment la mode et les gens ont changé.

Quelle discussion essaies-tu de lancer avec ces archives ?

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Ces dernières années, il y a eu un grand intérêt pour les productions créatives venant de la diaspora africaine, un intérêt pour les gens qui renversent ou qui redéfinissent les codes visuels africains de façon excitante. Ils défient les valeurs et les goûts africains pour un public africain mais ils défient aussi la vision de l’Afrique pour un public extérieur au continent.

Malheureusement, à part ce qui circule en ligne, une grande partie de ce travail fascinant n’est pas vu en Afrique, ou alors dans des contextes très particuliers. J’aimerais élargir la définition du public africain de l’art et de la création. L’archive est une manière intéressante de créer un nouveau contexte où cela peut se passer, parce que c’est très ordinaire.

Tu as évoqué l’idée de créer une “ancre pour la diaspora africaine”, que veux-tu dire ?

Je vois le terme “ancre” comme une métaphore car c’est quelque chose qui stabilise et donne confiance. Mais littéralement, c’est aussi quelque chose qui permet de rester à un endroit choisi. Je pense que pour la diaspora qui a choisi explicitement d’explorer son africanité, c’est important d’insister pour que le débat ait lieu sur le continent, et pas dans les mêmes termes qu’à Londres ou à New York, par exemple.

Qu’est-ce que tu souhaites que l’on retienne de ces photos ?

Cela dépend vraiment de qui les regarde et de ce que la personne vient chercher. Cela peut être vu de plein de façons différentes et cela devrait l’être. Ce sont des archives sur 45 années, à travers une nation, une douzaine de photographes et de groupes ethniques. C’est trop large pour dire que ça devrait être ça ou ça. C’est tout ce dont on a besoin que ce soit. C’est surtout un travail d’amour.