Ailées et monumentales, les installations surréalistes de Rebecca Horn exposées à Metz

Publié le par Donnia Ghezlane-Lala,

© Rebecca Horn

Entre souffrance et poésie, retour sur la force créatrice de l'artiste allemande.

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Au croisement des arts, quelque part entre le body art, la performance, l’installation, la photographie et la vidéo, Rebecca Horn explore son corps souffrant à la manière d’une Frida Kahlo. Née en 1944, l’artiste allemande a prolongé le mouvement du surréalisme en digne héritière toute sa carrière durant, notamment inspirée par des grands noms tels que Dalí, Victor Brauner ou encore Man Ray.

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Rebecca Horn, “Achim Thode”, Mechanischer Körperfächer, © ADAGP, Paris, 1974-1975.

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Jusqu’ici, la France n’avait accueilli que très peu d’expositions sur son travail mais le Centre Pompidou-Metz y remédie avec la rétrospective “Théâtre des métamorphoses” où il est question de performances et de transformations. “C’est un exercice autobiographique : comment sortir du carcan social, partir du biographique pour aller vers l’universel”, explique Emma Lavigne, la directrice du centre d’art. Avec une touche en plus : “L’exposition s’attache à intégrer, comme clef d’entrée, son cinéma, moins connu que ses performances mais aussi abouti”, poursuit-elle.

Cette manifestation artistique s’ouvre sur une vidéo d’elle, se coupant les cheveux avec un aplomb et un air de défi dans le regard, qui donne immédiatement le ton de sa pratique artistique et de ce qui va suivre : radicalité, mise à l’épreuve du corps et force poétique.

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Corps souffrant

En 1967, la jeune Allemande attrape, dès ses débuts artistiques, une maladie pulmonaire en respirant des vapeurs toxiques de résine polyester – matière avec laquelle elle travaillait pour ses sculptures. Cette période où son corps se retrouve réduit provoque chez elle un sentiment d’isolement, une urgence de communiquer et une envie de partager l’expérience de ce corps meurtri et emprisonné. Elle libérera ce dernier par le spirituel, en produisant des œuvres prothèses et appendices médicaux.

Rebecca Horn imagine par exemple les Gants-doigts, des sortes de tentacules – similaires à celles d’Edward aux mains d’argent – qui servent à saisir des objets sans avoir à se baisser complètement. Pratique.

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Rebecca Horn, “Gants-doigts”, © ADAGP, Paris, 1972.

Le sentiment d’enfermement qui la saisit pendant sa maladie se retrouve tout particulièrement dans les camisoles Extensions de bras et grâce à La Fiancée chinoise : une installation circulaire exiguë qui fait mouche, dans laquelle le visiteur doit entrer et attendre que les portes se referment. “Lorsqu’on voit mes premiers travaux, on retrouve toujours l’idée d’un cocon dans lequel je cherchais sans cesse à me protéger”, confie l’artiste.

Ses travaux sont alors des outils pour pallier son corps contraint, qu’elle présentera dans un bon nombre de performances dans les années qui suivront sa maladie. Le mouvement et la forme des poumons reviendront dans la plupart de ses œuvres ailées, mécanisées comme des valves qui se contractent et se déploient. À travers ce leitmotiv, l’artiste invente une mythologie du corps fragile, mis à nu et vulnérable.

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Rebecca Horn, “Masque-coq”, © ADAGP, 1971.

Plus le temps passe, plus Rebecca Horn prend goût au monumental et crée des œuvres à grande échelle qui font correspondre l’humain avec l’espace et l’environnement. Désormais, le sujet et l’objet, le corps et la machine, l’humain et l’animal, le désir et la violence sont des thèmes qui l’obsèdent.

Deus ex machina

Dans les années 1970-1980, une volonté se dessine chez elle au rythme de sa convalescence : que ses œuvres circulent dans les mains des autres, qu’elles soient manipulables et utilisées par tou·te·s. Elle ne les considère non plus comme des prothèses mais comme des prolongements de son corps.

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Rebecca Horn, “Achim Thode”, Einhorn, © ADAGP, 1970.

Dans un autre registre que les Gants-doigts, il y a Licorne : une corne de l’animal fantastique à attacher à sa tête, qui symbolise la pureté, l’érotisme, l’animalité et la virilité. Elle finit par remplacer ses prothèses par des masques en tout genre, des éventails et des plumes souvent exploitées pour caresser. Le corps devient ainsi une chimère animale et majestueuse, et l’image du paon revient souvent.

Chaque performance se présente alors comme un renouveau complet de sa pratique artistique qu’elle dirige de plus en plus vers l’art cinétique. Lors de la performance La Douce Prisonnière, Rebecca Horn émerge et disparaît de plumes mécaniques, comme pour se libérer du carcan social qui pèse sur les femmes.

Rebecca Horn, “La Douce Prisonnière”, © ADAGP, Paris, 1978.

La mécanisation de ses œuvres permet à son art de vivre de lui-même sans avoir besoin de son corps et de son mouvement. Ainsi, la queue du paon est automatisée et peut se déployer sans avoir l’action du performeur, comme un store vénitien. Parmi ces êtres ailés, les œufs d’oiseaux, les papillons et libellules la passionnent également.

Dans une démarche poétique, Horn construit Le Lit de l’amant, en hommage à son film La Chambre de Buster qui raconte l’histoire d’une prima donna vieillissante partageant son espace de vie avec des papillons bleus (censés être des réincarnations de ses amants). Dans cette installation, l’image de la star convoitée dont le corps périt est bien là et “seuls les battements d’ailes des papillons mécaniques expriment la pulsation du corps désirant”.

“Le monde des objets a aussi sa vie propre”

Rebecca Horn, “Die preussische Braut”, © ADAGP, 1988.

Progressivement, l’exposition quitte l’univers des plumes pour nous emmener dans le monde des objets. Rebecca Horn s’amuse à détourner des objets du quotidien en s’inscrivant dans la grande tradition surréaliste : des fers, des guéridons, des chaussures, des couteaux animés, des jumelles qui nous regardent – pour illustrer les mots de Marcel Duchamp : “C’est le regardeur qui fait l’œuvre.”

L’installation impressionnante Les Délices des évêques nous frappe par sa violence “Kapoorienne” : est-on devant une scène de crime ou une mise en scène sadomasochiste ? Un violon suspendu joue de lui-même un air dramatique, une chaise se balance violemment dans les bras d’une autre chaise surmontée de deux piques animées (“tentacules de peur”), comme dans un affrontement sacrificiel de chevaliers. Partout, il y a des éclaboussures de sang. Les chaises deviennent des corps ensanglantés, comme un théâtre où les acteurs humains sont absents.

Rebecca Horn, “Les Délices des évêques”, © ADAGP, 1997.

La figure du violon intègre ainsi une parfaite transition vers son cycle musical, où Horn explore le magnétisme, les champs de force, les ondes et vibrations. Hydra Piano représente un “serpent de mercure” vif-argent, qui mue et se meut comme un reptile, rythmé par les impulsions bruyantes venant du ventre du caisson d’acier. Il se déploie comme une longue langue de mercure à travers des ondulations hypnotisantes.

Plus haut, un piano est suspendu à l’envers, au plafond. Ici, l’artiste reprend une scène de son film La Chambre de Buster, dans laquelle un homme joue du piano et voit ses partitions s’envoler à travers la pièce. Sauf que dans cette installation intitulée Concert for Anarchy, le piano joue de lui-même des notes “anarchiques”, entre brutalité et douleur, et les partitions (Floating Souls) se déploient de manière autonome sur un mur, plus bas.

Rebecca Horn, “Concert for Anarchy”, © ADAGP, 1990.

Le parcours se clôt sur une œuvre aussi monumentale que Les Délices des évêques, qui fusionne deux de ses installations passées. Dans les années 1980, Rebecca Horn est plus en prise avec l’histoire. À Weimar, elle imagine une installation nommée Concert pour Buchenwald : “un amas d’instruments à cordes cassés et empilés dans le prolongement des rails d’un dépôt de tramway désaffecté qui rappelle le sort des déportés” durant la Seconde Guerre mondiale, dans le camp du même nom.

Dans la foulée et dans la même ville, dans l’ancienne résidence d’été de Goethe, elle produit Planisphère des abeilles : des ruches évidées sont suspendues aux côtés de lumières éparses qui se reflètent dans des débris de verre et de miroirs par terre. La double installation du musée regroupe ces deux créations et vient témoigner de la vicissitude et du déracinement subis par les personnes exilées, victimes de conflits. Autant de créations inclassables, à découvrir dans une exposition à Metz, qui fait largement honneur à sa vision d’artiste.

Rebecca Horn, “Bee’s Planetary Map”, © ADAGP, 1998.
Rebecca Horn, “Kakadu-Maske”, © ADAGP, 1973.
Rebecca Horn, “La Petite Sirène”, © ADAGP, 1990.
Rebecca Horn, “Buster’s Bedroom”, © ADAGP, 1990.
Rebecca Horn, “Achim Thode”, Mechanischer Körperfächer, © ADAGP, Paris, 1974-1975.
Rebecca Horn, “La Ferdinanda: Sonata for a Medici Villa”, © ADAGP, Paris, 1981.
Rebecca Horn, “Le Buisson ardent”, © ADAGP, Paris, 2001.

“Théâtre des métamorphoses” de Rebecca Horn, une exposition à voir jusqu’au 13 janvier 2020, au Centre Pompidou-Metz. L’artiste allemande fait aussi l’objet d’une exposition au Museum Tinguely à Bâle, jusqu’au 22 septembre 2019.