3 comptes Instagram féministes à suivre pour déconstruire l’histoire de l’art

Publié le par Anna Finot,

© Gerhard Rauch/Maxppp

On a discuté de féminisme et d’art avec trois expertes : Margaux Brugvin, Eva Kirilof et Ludivine Gaillard.

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On ne vous apprend rien : l’histoire de l’art a occulté ses grandes figures féminines. Si vous preniez quelques secondes pour énumérer quelques noms de célèbres artistes, il y a de grandes chances pour que vous citiez des Van Gogh, des Matisse et des Klimt avant des Frida Kahlo, des Niki de Saint Phalle et des Louise Bourgeois.

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Cette invisibilisation est compliquée à déconstruire quand on a été biberonnés depuis toujours (et encore aujourd’hui dans les écoles d’art) aux artistes masculins. C’est sur ce constat glaçant que Margaux Brugvin, Eva Kirilof et Ludivine Gaillard, trois passionnées d’histoire de l’art, se sont emparées d’Instagram pour lever le voile sur le manque de représentation des artistes femmes dans l’histoire de l’art.

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Un défi qu’elles relèvent haut la main, si l’on en croit le nombre croissant de leurs abonné·e·s et la qualité de leurs publications Instagram minutieusement travaillées. Pour Konbini arts, les trois expertes sont revenues sur leur parcours, leurs engagements et leur vision du monde de l’art aujourd’hui.

Margaux Brugvin

Si l’on cherche à revisiter l’histoire de l’art au féminin, impossible de passer à côté du compte de Margaux Brugvin. Cette jeune diplômée de l’École du Louvre se rend compte qu’en cinq ans d’études d’histoire de l’art, elle n’a jamais étudié une seule artiste femme. “Sur le coup, ça ne m’avait même pas choquée, j’étais persuadée que si les professeurs ne les abordaient pas, c’est qu’elles ne devaient pas avoir tant marqué l’histoire que ça”, nous confie-t-elle.

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C’est dans le cadre de son mémoire de fin d’études qu’elle découvre “des dizaines puis des centaines d’artistes femmes dont elle n’avait jamais entendu parler”. Pour “rattraper son retard”, Margaux n’a jamais cessé de se documenter, notamment grâce à des sources anglo-saxonnes, pour en apprendre plus sur ces artistes femmes que l’histoire a gommées au fil du temps. Mais encore fallait-il les rendre visibles.

C’est alors que le monde entier se confine et que Margaux Brugvin poste ses premières vidéos IGTV, depuis chez elle. En quelques mois seulement, elle voit son nombre d’abonné·e·s grimper. Elle décide de faire de ses portraits d’artistes un rendez-vous à ne pas manquer, tous les derniers dimanches du mois.

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Face caméra, l’experte décrypte l’art et ses figures féminines pour un public de 7 à 77 ans. Car là est également tout le défi : rendre l’art accessible et briser ses codes élitistes. La tâche devient d’autant plus épineuse lorsqu’il s’agit d’art contemporain.

“C’est absolument normal de se sentir totalement exclu·e de l’art contemporain parce que rien n’est fait pour le rendre accessible […]. Ça m’est déjà arrivé de me retrouver devant des textes dans des expos où la syntaxe n’est même pas correcte, les phrases sont tellement longues et pleines de mots sur lesquels tu butes que tu ne te rends même pas compte que ça ne veut rien dire […].

Quand je travaillais en galerie, j’ai eu, moi aussi, affaire à cette déformation professionnelle où l’on devait écrire des textes qui se transforment en concours de celui ou celle qui est capable de faire des phrases plus complexes, jusqu’à devenir complètement imbuvables pour le grand public.”

À l’inverse, Margaux Brugvin offre des explications accessibles à tout public, une visibilité nouvelle à certaines artistes comme Tracey Emin ou Carrie Mae Weems et une approche féministe indispensable, en tout temps.

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Eva Kirilof

C’est à travers un fil Instagram soigneusement pensé qu’Eva Kirilof déconstruit ce qui paraissait jusqu’ici évident. “Qui va remettre en question un Godard ou un Matisse ?”, ironise-t-elle. Remettre en question des œuvres culturelles sacralisées, voilà le travail délicat auquel elle s’attelle avec brio dans ses stories quotidiennes.

Consciente des préjugés qui engluent l’art dans une bulle mondaine, Eva Kirilof nous offre une porte d’entrée dans cette discipline qui est en réalité loin d’être inaccessible. Grâce à un vocabulaire simple, ses publications proposent de courtes enquêtes sur les artistes et leurs œuvres, en prenant le soin de toujours les contextualiser.

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Ses analyses nous suggèrent ainsi des axes d’interprétation libres face à des œuvres qu’on a l’habitude de tenir à distance de “monsieur et madame Tout-le-Monde”“Dans mes DM, il y a plein de gens qui me disaient qu’ils n’allaient jamais au musée parce qu’ils pensaient que ce n’était pas pour eux, ou qu’ils ne se sentaient pas assez bien habillés pour entrer dans une galerie”, nous explique-t-elle.

Après plusieurs stages décevants en galeries d’art, Eva Kirilof confie avoir dû écrire des textes “lunaires”, “pseudo-philosophiques” pour créer cette distance élitiste propre à l’entre-soi puissant du monde de l’art. “Je me souviens que je ne comprenais rien, pas parce que je n’en avais pas les connaissances mais parce que ça ne voulait rien dire.” Sur Instagram, la spécialiste prend donc le contrepied : “Mon idée, c’est d’utiliser un langage qui peut parler à tout le monde.”

C’est pendant le confinement qu’elle lance son compte Instagram en commençant à parler d’histoire de l’art à travers le corps des mères, des madones, des vierges à l’enfant. Un sujet qui résonne en elle, à cette époque, puisqu’elle venait tout juste d’accoucher de sa première fille. Une maternité qu’elle raconte comme un déclic féministe : “Tout à coup, c’était évident qu’il y avait un fossé énorme entre les hommes et les femmes.”

Une prise de conscience qu’elle finira par croiser avec sa passion pour l’art. À défaut d’avoir été correctement formée à l’art, de manière inclusive, pendant ces études, Eva Kirilof compte bien changer les choses à son échelle : “Quand ma fille sera plus grande, elle n’aura pas à se demander pourquoi elle n’a pas étudié tout ça.”

On retiendra son judicieux conseil : défier les personnes qui travaillent dans des musées ou des galeries (“Excusez-moi, où sont les artistes femmes dans cette exposition ?”). Oser poser des questions est un bon moyen de provoquer une prise de conscience nécessaire pour réveiller les institutions poussiéreuses dans leur programmation.

Ludivine Gaillard (“Mieux vaut art que jamais”)

Sous le nom de “Mieux vaut art que jamais”, Ludivine Gaillard a lancé, elle aussi, son compte Instagram pendant le confinement, après avoir tenu pendant des années un blog sur l’art et le féminisme. Un engagement qu’elle porte depuis son mémoire de fin d’études sur la représentation des modèles du peintre Renoir : érotisation, bouches en cœur, figures virginales… Elle nous raconte avoir ouvert les yeux sur la représentation des femmes par des artistes hommes.

Aujourd’hui médiatrice culturelle, Ludivine Gaillard questionne le male gaze présent dans des peintures classiques et dans la mythologie, sur un ton décalé. Interprétée comme le mythe de l’amour impossible, l’histoire d’Apollon et Daphné est en réalité un énième conte sur un harcèlement et une agression sexuelle.

Pour aller plus loin, l’experte propose également des visioconférences mensuelles afin d’apporter des clés d’analyse sur des œuvres d’art, récits bibliques et mythes. Lorsqu’elle regarde ses statistiques Instagram, la médiatrice culturelle regrette ne pas toucher autant d’hommes que de femmes.

“Mon audience est composée à 87 % de femmes. Certes, je parle aux principales concernées car j’analyse leur représentation dans l’histoire de l’art par des artistes hommes, mais je trouve ça dommage qu’il n’y ait pas assez d’hommes, la déconstruction passe aussi par eux”, nous dit-elle.

Quand nous lui demandons si la visibilité des femmes est meilleure aujourd’hui, au sein de nos institutions muséales, elle nous répond spontanément qu’il faudrait cesser de distinguer artistes masculins et féminins, que la mission sera accomplie lorsqu’on commencera à parler “d’artistes tout court”.