Le système de “score social” de la Chine aurait déjà bloqué des millions de trajets

Publié le par Thibault Prévost,

Crédit: Black Mirror/ Netflix

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Nous vous l’annoncions en mars dernier : la Chine s’apprêtait à mettre en place un système de “score social” (SCS, pour social credit system) pour évaluer sa population. Ce score déterminerait les droits des citoyens en fonction d’un ensemble de paramètres tels que leur solvabilité financière, leurs antécédents judiciaires ou encore leur capacité de “nuisance” dans la société (comme la dissémination de fausses informations en rapport avec le terrorisme, la conduise dangereuse ou… l’achat compulsif de jeux vidéo).

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Les “bons citoyens”, dotés d’un score avantageux, seraient récompensés par des avantages dans l’accès aux services publics, tandis que ceux labellisés “mauvais citoyens” subiraient tout un arsenal de châtiments, allant du ralentissement de la connexion Internet à l’interdiction de prendre les transports en commun, en passant par le refus de prêts bancaires — la liste est loin d’être exhaustive, selon les documents gouvernementaux à disposition.

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En Occident, difficile d’échapper au parallèle avec “Black Mirror” tant l’initiative nous renvoie immédiatement aux dystopies de Charlie Brooker dans lesquelles le paradigme sécuritaire, usant de la technologie algorithmique, prend goulûment le pas sur celui des libertés individuelles. D’autant que le système mis en place par le régime de Pékin pioche allègrement dans l’océan de données personnelles fournies volontairement par les citoyens sur les sites d’e-commerce, de messagerie sociale ou de plateformes administratives.

15 millions de trajets bloqués… depuis quand ?

Alors oui, on s’est vaguement inquiétés, mais de loin, pas trop quand même, parce qu’après tout c’est de la Chine qu’on parle, un régime dominé par un Parti unique et omnipotent, un pays capable de déployer le dôme du Grand Firewall numérique au-dessus d’1,4 milliards de citoyens pour contrôler les télécommunications et maintenir coûte que coûte l’illusion d’une paix sociale sur les réseaux du même nom. Un pays, aussi, qui nous a déjà fait le coup du “score social” en 2014 sans que ce soit suivi de faits. Et puis, le 20 mai, quelques chiffres ont fini par sortir, et tout est devenu terriblement réel.

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Selon le site d’information gouvernemental chinois Global Times, le système SCS aurait bloqué 11,14 millions de trajets aériens et 4,25 millions de trajets ferroviaires “fin avril”, sans préciser depuis quand (probablement depuis 2013, selon la Cour suprême). D’autre part, le site d’information ne précise pas pour quelles infractions les citoyens visés ont été interdits de transports.

En attente de publications officielles, ces chiffres sont donc à prendre avec réserve. Ce qui est clair, en revanche, c’est l’intention générale du dispositif : selon Hou Yunchun, ex-responsable du développement cité par le Global Times, “ceux qui sont discrédités doivent être amenés à la faillite.”

“Name and shame”

Et ces “discrédités” dont parle le responsable sont de plus en plus identifiés : ces dernières années, pour lutter contre la corruption et la fraude fiscale endémiques dans le pays, la Cour suprême chinoise a créé des “listes noires” de mauvais payeurs et pratique la stratégie du “name and shame” en rendant publiques, sur son site, les identités des fraudeurs, qui sont en outre privés de certains services de luxe (écoles, hôtels étoilés, location de voitures, achat en ligne, etc..). Dans certaines provinces comme Jiangsu et Henan, rappelle Business Insider, les compagnies téléphoniques vous informent lorsque vous tentez de contacter une personne endettée. En mai, dans la province du Sichuan, des spots publicitaires sont apparus au cinéma montrant les visages des mauvais payeurs avec le slogan “regardez ces laolai”, un terme chinois pour désigner ceux qui ne remboursent pas leurs créances.

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Plus inquiétant encore, le nombre de citoyens et d’entreprises enregistrés dans ces listes noires augmente. Selon les derniers chiffres mis à disposition par la Cour suprême et datés de novembre 2017, 170 000 personnes ont été bannies de postes à responsabilité, 8,8 millions de citoyens ajoutés aux listes et 12 millions de trajets ont été interdits depuis 2013. En avril, le South China Morning Post révélait que la liste comptait 10,5 millions de noms. Lors de son lancement, elle en comptait 31 000. Selon Global Times, 33 000 entreprises supplémentaires viennent également d’apparaître dans les listes noires du Parti. Et malgré tout cela, le système de crédit social chinois n’en est encore qu’à sa phase embryonnaire : pour le moment, selon Business Insider, huit systèmes de crédits sociaux différents sont expérimentés par des compagnies privées. Le seul à utiliser un système de points, Sesame Credit, est une filiale d’Alibaba. Si la Chine suit sa feuille de route, la version publique de ces scores sociaux sera étendue à tous les citoyens d’ici 2020. Et alors, il faudra aller un peu plus loin que la simple analogie sérielle.

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