Pourquoi il y a du Black Mirror dans l’iPhone X

Publié le par Pierre Schneidermann,

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Quand mes rédacteurs en chef m’ont demandé hier, en fin d’aprèm, si je voulais bien regarder la keynote d’Apple et en faire un petit compte rendu factuel, j’ai répondu présent non sans gaieté de cœur. Même si l’on savait déjà beaucoup de choses sur l’iPhone X, ce serait une bonne occasion de se repaître de techno-religion et de découvrir en live l’objet que le monde s’arracherait bientôt. Ce serait aussi l’occasion, pour mon vieil Android et moi-même, de faire le point sur notre relation bien entamée et de discuter de la suite de notre histoire.

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Le principe d’une keynote d’Apple est toujours le même : le produit le plus intéressant est présenté à la fin, rituel de faux suspense créé par le fameux gimmick de Steve Jobs : “Oh, and one more thing.” Hier soir, donc, après la modernisation des Apple Stores, l’arrivée du GSM et GPS sur les Apple Watch, le passage de l’Apple TV en 4K, la présentation des iPhone 8 et iPhone 8 plus, l’iPhone X est enfin arrivé. Mon Android et moi n’avons pas été déçus. L’iPhone X remplissait la même fonction que ses prédécesseurs : il les terrassait en capacité, en fonctionnalités, en beauté et en prix. Du pur Apple.

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Le Face ID, version sécurité

Les paillettes de l’iPhone X défilaient quand Apple s’est arrêté assez longtemps sur le bijou dont il était le plus fier, son système de reconnaissance faciale, baptisé “Face ID”. Alors oui, direz-vous, la reconnaissance faciale existait déjà chez Samsung. Mais là, le package était tellement bien ficelé et la démonstration si fluide (malgré un fail à la toute première tentative) que l’on pouvait vraiment parler de nouveauté. Et d’ailleurs, des articles (comme celui-ci, de 01Net) expliquent pourquoi le Face ID est de loin bien supérieur à ce qui se faisait déjà.

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Le Face ID a d’abord une fonction sécuritaire. Dès que l’iPhone nous reconnaît, il se déverrouille. Exit les codes à quatre chiffres, les dessins à points et l’empreinte digitale. Le Face ID permettra aussi de payer en ligne avec le système d’Apple sur certains sites. Avec sa capacité à créer une modélisation reposant sur 30 000 points du visage et de déjouer les tentatives de piratage à l’aide de masques réalistes en cire ou silicone et de reconnaître l’utilisateur de propriétaire de l’iPhone (même s’il change de coupe de cheveux, de lentilles ou décide de porter des lunettes), c’est peu de dire que le Face ID représente un bond en avant immense dans la miniaturisation de la biométrie. Mon Android et moi étions bluffés. Mais à ce stade, nous n’étions pas encore inquiets.

Le Face ID, version fun

C’est alors qu’est arrivée, comme un cheveu sur la soupe, la facette fun du Face ID, bien loin des considérations sécuritaires. La reconnaissance faciale permettra aussi de faire des “animojis” – magnifique néologisme sorti de la tête bien faite d’Apple. Reprenant les traits des émojis classiques, les animojis sont des petites animations qui reproduisent, à l’envi, les mimiques et les contorsions de notre visage. La procédure est simple : on se filme de face grâce aux capteurs sophistiqués du Face ID, on édite un petit animoji et on l’envoie à qui de droit. Tout simplement stupéfiant.

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Il faut croire que cette tendance à “s’émojiser” est dans l’air du temps, comme pourrait l’indiquer l’arrivée de Polygram sur l’Apple Store. Il s’agit d’un réseau social où l’on peut réagir aux publications des autres avec un émoji “interactif” qui correspond à la tête que nous avons faite à la lecture du message. Mais en comparaison avec le Face ID, Polygram, c’est du pipi de chat. Cela marche avec le plus basique des appareils photo de smartphone, et même mon vieil Android pourrait s’en charger si l’appli existait chez Google. L’iPhone X, lui, utilise une batterie de capteurs intelligents, des “neurones artificiels” et un processeur surpuissant. Bref, ça n’a vraiment rien à voir.

Quand débarque Black Mirror

À la fin de la keynote, je me suis donc naturellement fait la réflexion que les animojis étaient sans conteste le truc le plus ouf de la soirée. Car il ne fait aucun doute que le concept va cartonner. Que tous les smartphones d’après et toutes les applis incontournables (Facebook, Insta, Snap, WhatsApp) emboîteront le pas. L’animoji sera un moyen d’expression tout à fait nouveau, quelque part entre l’émoji et le selfie, ludique, déployable et détournable à l’infini. Et du fait même qu’on puisse le coupler à un enregistrement vocal, l’animoji fera aussi office de messagerie interposée.

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Je m’enflammais doucement et commençais à jeter un œil mauvais sur mon vieil Android, lui qui ne me procurerait jamais de joies animojiques. J’ai beau détester l’obsolescence et sacraliser la fidélité, il faudra bien vivre avec son temps. Puis, en prenant la température de la keynote sur Twitter, j’ai vu passer ceci :

Vu le nombre de likes et de retweets, il faut croire que le tweet vise juste – même si au début je n’ai pas saisi l’intention. J’ai collé mes yeux à l’écran : c’est alors que j’ai reconnu ce petit animoji bleu, dans la rangée du milieu. Il n’avait rien à faire là. Il avait été rajouté. Ce petit bonhomme bleu, c’est Waldo. Il apparaît dans le troisième épisode de la saison 2 de Black Mirror, une série de SF et d’anticipation créée par Channel 4 et produite désormais par Netflix. Waldo est, au départ, un petit avatar mignon et sarcastique, aux allures toonesques, animé par un comédien qui, rapidement, est dépassé par les événements. Car le petit Waldo devient si populaire que, de fil en aiguille, il se présente aux élections législatives britanniques et acquiert une stature internationale. Du spectacle bon enfant, on glisse à la politique, et enfin à la politique-spectacle animée.

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Les animojis seront partout

Bien joué Black Mirror. Les animojis seront partout. Les youtubeurs les détourneront pour faire des vidéos marrantes. Les marques auront des animojis sponsorisés. L’Élysée et la Maison-Blanche posteront probablement, de temps en temps, un animoji cool pour séduire les jeunes. Et puis ça ne sera que le début. Les animojis d’après, boostés par l’intelligence artificielle, seront des avatars mignons et plus aboutis comme Waldo. Et l’on s’arrachera l’élite des comédiens et des créatifs pour, quelle que soit l’institution que l’on représente, déployer et répliquer son Waldo au monde entier.

Personne n’avait prévu Facebook ou Twitter. Personne n’avait anticipé les émojis. Black Mirror, en revanche, avait pressenti les animojis. Il faut donc (re)regarder l’épisode “The Waldo Moment” pour voir dans quoi nous allons subtilement glisser. Les émojis, avec leurs traits naïfs et sympathiques, ont déjà adouci l’épaisseur et la brutalité du réel. Les animojis en rajouteront une sacrée couche. En ce sens, l’innovation d’Apple est terriblement fascinante. Je crains que dans ce monde animojisé, il me faudra faire comme tout le monde : suivre la foule pour ne pas devenir ringard. Et sans aucun doute, ces bestioles séduisantes et animées détruiront cette relation si calme que j’avais construite avec mon vieil Android.