Au Michigan, la découverte de 11 341 kits post-viol non analysés a permis d’identifier 817 violeurs en série

Publié le par Mélissa Perraudeau,

ME.Rape.0605.CC; The kit used to test victims of sexual assault at UCLA Hospital in Santa Monica where Gail Abarbanel is the director of the Rape Treatment center. (Photo by Carolyn Cole/Los Angeles Times via Getty Images)

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11 341, c’est le nombre de kits de prélèvements post-viol abandonnés qui ont été retrouvés en 2009, lors d’une visite de routine dans un entrepôt de stockage de la police du comté de Wayne (au sud-est de l’État du Michigan). Ces kits, dont certains dataient de 1984, y étaient rangés sans avoir été analysés, depuis des années.

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Ces “rape kit” sont composés de supports permettant de recueillir des prélèvements effectués sur la victime de viol présumée, afin d’obtenir des preuves pouvant identifier et condamner le violeur. L’abandon signifiait donc que ces 11 341 viols présumés n’avaient pas fait l’objet d’enquêtes, et que les plaintes des victimes étaient restées sans suite.

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817 violeurs en série identifiés

Grâce à la détermination de la procureure du comté de Wayne Kym Worthy et son équipe, décidées à rendre justice aux victimes, 10 000 de ces kits ont depuis été exploités, et 1 947 cas ont donné lieu à des enquêtes. Au final, ils ont permis d’identifier 817 violeurs en série dans le comté, et 127 agresseurs ont été condamnés.

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Le chemin a été long pour arriver à ces résultats : pour lever les fonds nécessaires, la procureure et son équipe ont dû lancer Enough SAID (Enough Sexual Assault in Detroit, “stop aux agressions sexuelles à Détroit”), une collaboration indépendante entre la fondation pour les femmes du Michigan, le bureau de la procureure du comté de Wayne et la commission du crime de Détroit.

Interviewée par le site Detroit Free Press, la procureure Kym Worthy est revenue sur l’abandon des kits — et des victimes présumées. Et a tenu à alerter sur toutes les autres affaires de viols présumés abandonnées par la police :

“On estime qu’il y a 400 000 kits post-viol qui ne sont pas analysés dans le pays. Dans une seule ville, un seul comté, dans un État, nous en avions 11 341. Cela veut dire deux choses : tout d’abord, que ce problème est bien plus répandu qu’on aurait jamais pu l’imaginer. Et ensuite, que ce chiffre est à ajouter au taux extrêmement bas que les gens signalent à la base.

Cela veut donc dire qu’il y a bien plus d’agressions sexuelles qu’on ne le croit, que c’est bien plus répandu qu’on ne le pense. Je crois qu’à l’échelle nationale, il n’y a qu’environ 20 % des viols qui sont signalés, et que très, très peu de poursuites judiciaires sont engagées… C’est quelque chose qui donne vraiment à réfléchir, qui est très triste et vraiment lamentable.”

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Une négligence massive aux graves conséquences

Preuve s’il en fallait des conséquences gravissimes de la négligence, les 817 violeurs en série auraient pu être arrêtés plus tôt si les kits avaient été analysés en temps voulu. La procureure a constaté qu’un violeur “viole en moyenne onze fois avant d’être attrapé… Parmi notre groupe de 817, plus de 50 d’entre eux ont frappé 10 à 15 fois chacun”.

La négligence est d’autant plus grave que pour certaines affaires, des innocents avaient été jugés coupables, et pas que dans le comté de Wayne. L’exploitation des kits a établi des liens avec des scènes de crime dans 39 autres états, d’où l’importance aussi de reporter les résultats ADN trouvés dans la base de données du FBI.

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“La police peut résoudre plus qu’une agression sexuelle. Ils peuvent résoudre des homicides, des cambriolages, parce que les crimes commis dans d’autres États auxquels nous faisons référence ne sont pas que des agressions sexuelles”, a précisé la procureure.

L’argument est important, parce qu’en enquêtant sur les raisons pour lesquelles les kits n’avaient pas été analysés, Kym Worthy a été forcée de constater à quel point les affaires d’agressions sexuelles étaient déconsidérées par la police. La procureure a expliqué à Detroit Free Press que de nombreuses autres juridictions avaient trouvé des kits abandonnés, mais ne comptaient pas les analyser, rejetant la faute sur leurs prédécesseurs.

Ce manque d’implication ne se retrouve que face aux agressions sexuelles selon la procureure, qui les qualifie de “l’enfant négligé de la famille”. Dans son comté, une précédente administration ne voulait d’ailleurs pas financer leurs enquêtes.

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Culture du viol et racisme

Des traitements différents étaient toutefois réservés à certaines victimes, qui avaient plus de chance de voir leur plainte traitée si elles étaient blanches : 86 % des victimes des kits abandonnés étaient en effet racisées, soit non-blanches. “La race est au centre du problème de différentes façons, comme, malheureusement, nous savons qu’elle l’est dans le système de la justice criminelle”, a remarqué la procureure.

Les plaignantes étaient également victimes des idées reçues entourant les agressions sexuelles, relevant de la culture du viol : si les policiers ne les trouvaient pas suffisamment visiblement traumatisées, ou qu’elles s’étaient auparavant prostituées, avaient des troubles mentaux ou consommé de la drogue, ils ne les “croyaient pas, s’en fichaient, et c’était l’un des problèmes qui a conduit à l’accumulation de ces kits”.

En plus de travailler à analyser les kits et engager les poursuites judiciaires nécessaires, la procureure et son équipe ont travaillé à changer la considération des victimes présumées de viol, et le traitement des kits. Résultat : en 2014, le gouverneur du Michigan a signé une loi établissant des standards de traitement des kits post-viol. Depuis, dans tout l’État, les policiers doivent les transmettre au laboratoire dans un délai de 14 jours, où ils doivent être traités dans les 90 jours.

Le comté de Wayne forme également différemment ses officiers de police, à qui on apprend comment les traumatismes fonctionnent pour lutter contre les préjugés autour du viol.

Le travail accompli par le bureau de la procureure est également un modèle pour les juridictions du pays trouvant des kits non traités. Autant de chemin parcouru depuis 2009, qui n’est toutefois pas encore près de s’achever, et ce à plusieurs niveaux.

Il reste en effet des kits à analyser et des enquêtes voire poursuites judiciaires à mener, qui devraient encore prendre trois ans selon la procureure. Pour elle, les choses ne pourront toutefois vraiment s’améliorer qu’avec une évolution générale de la société. “Comme vous le savez, les changements culturels sont les plus difficiles à effectuer”, a-t-elle conclu, tout en précisant qu’elle restait “optimiste”.