Entretien : avant Michel Gondry, il y avait Michel Gondry

Publié le par Louis Lepron,

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Batterie, clips et David Fincher

K | Vous avez donc été batteur…
Mon père vendait des instruments de musique, et il m’avait un jour ramené des éléments d’une batterie. Petit à petit, j’ai eu un vrai set. J’écoutais les Rolling Stones, pour apprendre. Puis on a joué avec mes frères. On n’était pas les Jackson Five, mais bon.
K | Cette expérience de batteur, ça vous a aidé lorsque vous avez commencé à monter des vidéos ? 
Ça m’a joué des tours. À un moment donné, plus récemment, ça m’a aidé. Mais au départ, je montais les plans sur des temps de batterie, et c’était très lourd. J’ai dû désapprendre ça, oublier la cadence, et travailler avec des monteurs pour faire en fonction du rythme de l’image et non de la musique.
Après, je suis revenu à ça pour des clips comme celui des Daft Punk – décalqué de la musique, ou les Chemical Brothers, ou même les White Stripes – où la batterie se démultiplie en fonction du rythme. Pour les Daft Punk, le montage était classique et le mouvement des personnages était complètement en phase avec le titre “Around The World”.

K | Comment les idées de clip venaient ?
En général, je rencontre l’artiste, je discute avec lui et parfois un mot suffit à déclencher l’idée. Pour les Daft, on s’était retrouvés dans un hôtel à Londres, on a discuté brièvement. Ils m’ont parlé de chorégraphie en disant qu’ils n’avaient jamais fait ça. Tout de suite ça a fait écho dans ma tête : j’avais jamais essayé, et on est partis dessus. J’avais écouté la chanson et la rythmique comportait ce côté très carré que j’aimais bien.

K | Même principe pour les Chemical Brothers ?
Eux, je les avais eus au téléphone, ils m’avaient dit : “oui, on voit une sorte de départ”. Et comme je revenais d’un voyage avec ma copine de l’époque et qu’on avait pris le train à travers la France, j’avais des souvenirs qui passaient à côté d’usines chimiques et des décors avec des rangées de maisons. Je me suis dit, tiens, en reprenant ce parcours-là et en appliquant à chaque élément de décor un  élément de la musique, que je pouvais recréer une partition de paysages et d’architecture.
K | Finalement, comment décririez-vous votre identité de clippeur ?
Je cherche des concepts les plus personnels possibles, tout en servant l’intérêt de la chanson, en explorant des choses un peu géométriques.
K | Quand vous parlez des Chemical Brothers ou des Daft Punk, c’est souvent très personnel, vous n’évoquez pas d’influences. Vous basez parfois votre travail sur une réappropriation du travail d’autres artistes ? 
Je l’ai fait deux trois fois. Le clip de Kylie Minogue était un peu inspiré du film Tango de Zbig [film de 1980 réalisé par Zbigniew Rybczyński, ndlr] : mais j’essaie d’éviter, j’essaie vraiment d’inventer des choses.

K | Vous avez dû vous y remettre récemment avec le dernier clip des Chemical Brothers.
Des gens ont un peu critiqué. C’est plus simple que ce que j’avais fait avant, mais j’aime beaucoup.
K | Vous sentez qu’il y a une génération de clippeurs devenus cinéaste ?
Bien sûr. Je crois qu’il y a autant de différences entre les clips que j’ai réalisés et ceux que David Fincher faisait que les films que je fais actuellement et ceux que fait désormais David Fincher. Il a shooté des clips qui valaient des millions pour Madonna, Michael Jackson, et il tourne aujourd’hui des films énormes qui ont beaucoup de succès et qui sont très bons.
Inversement, je faisais des clips avec des gens moins populaires avec peu de budget, puis des films avec de petits budgets. C’est pas obligatoire que ça aille dans ce sens là, mais il y a un lien.
K | Les clips, c’était un tremplin ?
Je l’ai pas vu comme ça : à l’époque, je n’avais pas la moindre idée que j’allais réaliser des films. J’ai pas utilisé ça pour faire des faux films comme beaucoup de réalisateurs, avec un faux CinémaScope, de grands paysages dans le désert pour avoir cette grandiloquence.

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Réalisme, auto-critique et conseils

K | Dans Microbe et Gasoil, vous revenez sur vos souvenirs d’enfance mais vous êtes loin du bricolage que vous organisiez dans vos films précédents : pourquoi ce réalisme ?
Je voulais peut-être être pris comme un cinéaste, normal ou classique. J’ai pensé à des films très simples pour parler de l’enfance. Et pour traiter ce sujet, il me semble que la simplicité permettait d’aller plus loin dans les sentiments, dans le fait de raconter l’histoire. C’est vraiment les acteurs, Ange et Théophile, qui portent le film. Je voulais surtout garder ça : quand je les ai découverts, je me suis dit que j’allais mettre une seule caméra et avoir le sentiment de capturer une réalité.
K | Sans l’alourdir avec un trop-plein de créativité…
Je ne dirais pas “alourdir”, parce que ce serait me renier, mais dans ce cas-là, j’avais envie de proposer une narration et une manière épurée en m’appuyant sur les acteurs.
K | Après Human Nature en 2001, votre premier film, vous avez écrit un carnet d’autocritique. Vous faites ça après chaque film ?
Je devrais. J’ai commencé à le faire après L’Écume des jours, mais j’ai pas tenu. Mais c’est vrai que j’avais été tenace sur ce cahier à l’époque de Human Nature, et il m’avait beaucoup servi. D’un côté, j’écrivais tout ce qui n’avait pas fonctionné : les critiques qui m’avaient vexé, parce qu’elles étaient probablement réelles, justifiées ou la manière dont j’ai réagi par rapport à certains commentaires.
De l’autre, je proposais des solutions. Par exemple, ne pas rejeter une idée sous pretexte que la personne qui me la donne me paraît suspecte. Je voulais essayer de trouver ce qui était bon dans chaque idée, quelle que soit son origine. Parmi les problèmes, il y avait la façon de cadrer qui était trop storyboardée pour Human Nature et la solution a été de la faire exploser pour Eternal Sunshine of the Spotless Mind. Je lisais tous les matins mes notes, quand j’allais sur le tournage de Eternal Sunshine. Ce cahier, je le garde, il est sur une étagère.

K | Est-ce qu’on peut dire que Microbe et Gasoil est une auto-critique de L’Écume des jours ?
On va dire que je peins dans la direction opposée. J’ai pas envie de cracher sur L’Écume des jours, mais j’avais la volonté de faire quelque chose de vraiment différent. Je voulais me libérer en parlant de moi, de ma jeunesse. J’avais quand même Boris Vian au-dessus de ma tête qui m’effrayait.
K | Qu’est-ce que vous conseillerez à un réalisateur en devenir ?
Il y a des réalisateurs qui vont faire leur premier film, aller à Cannes avec et recevoir la Palme d’or. Donc je ne me sens pas en position de juger. En revanche, il y a beaucoup de gens qui disent qu’ils vont faire des choses mais qui ne les font pas. Mon conseil, c’est de passer à l’action. Aussi, il faut dire des choses personnelles et bien observer. Faut pas trop regarder Kubrick ou Citizen Kane. C’est mon conseil principal.

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