Décryptage : comment la culture vegan investit la mode européenne

Publié le par Jeanne Pouget,

Lilly Wood & The Prick avec le styliste Roland Mouret

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Stella McCartney, Amélie Pichard, Philippe Starck, Robert Clergerie… On a discuté avec des grands noms de la mode de leur engagement pour une mode plus éthique. “Vegan”, “recyclable” et “durable” deviennent les maîtres-mots de cette industrie qui innove et se rapproche d’une nouvelle génération de consommateurs plus engagés. Décryptage d’un phénomène qui s’inscrit dans l’air du temps.

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Opposé à tout produit issu des animaux ou de leur exploitation, le véganisme fait de plus en plus d’adeptes. Simple tendance pour certains ou véritable idéologie pour d’autres, ce mode de vie balaye nos modes de consommation, de l’assiette au vestiaire, et gagne petit à petit ses lettres de noblesse, notamment chez les grands noms de la mode européenne.

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De la collection de chaussures printemps-été 2016 100 % vegan née de la collaboration entre Amélie Pichard et Pamela Anderson, en passant par les bottines 100 % végétales de la chanteuse Nili Hadida du groupe Lily Wood & The Prick avec le chausseur français Robert Clergerie, à la collection de tongs de la marque brésilienne Ipanema, entièrement recyclables, designées par Philippe Starck… De nombreuses collaborations entre des grands noms de la mode et des personnalités de la culture pop ont vu le jour ces derniers mois, prouvant que la mode vegan peut être aussi désirable et sexy que celle faite de cuir, de laine et de fourrure.

Une nouvelle génération de consommateurs conscientisés et influents

À coup d’enquêtes et de vidéos chocs (comme les caméras cachées de l’association de défense des animaux L214), de livres phénomènes (Faut-il manger des animaux ? de Jonathan Safran Foer, ou le No Steak d’Aymeric Caron) et de stars engagées (Joachim Phoenix vegan depuis sa naissance, Leonardo DiCaprio végétarien de longue date et défenseur de la planète, ou Pamela Anderson qui se décrit comme un écologiste “ingérable“), la culture vegan gagne du terrain auprès de consommateurs soucieux d’agir en phase avec ce que leur dicte leur conscience.

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Tout le monde sait ce que le mot ‘vegan’ veut dire aujourd’hui, s’enthousiasme Isabelle Goetz, porte-parole de Peta France. Il y a cinq ans, cela n’évoquait rien à personne, cette manière de vivre n’était pas du tout répandue en France.” Or, en 2016, plus personne n’ignore ce que l’industrie de la viande et du cuir cause en termes de souffrance animale et de gaz à effet de serre. Le réchauffement climatique n’est plus “un sujet d’écolos” mais bien l’un des enjeux majeurs de notre siècle.

Les consommateurs sont de plus en plus informés, décrypte Isabelle Goetz. Il y a une vraie prise de conscience vis-à-vis de la manière dont sont produites les matières d’origine animale. Avant, les gens ne se posaient pas vraiment la question, on consommait plus par habitude.

De plus en plus de vegans

Une récente enquête menée par Vegan Life Magazine et The Vegan Society vient corroborer ces propos, tout en démontant les clichés selon lesquels le véganisme serait un truc réservé à des soixante-huitards restés coincés à l’époque de Woodstock. Dans cette étude effectuée au Royaume-Uni, les chercheurs ont relevé une hausse de 350 % sur dix ans du nombre de personnes suivant un régime vegan. Parmi elles, 42 % ont entre 15 et 34 ans.

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Ainsi, on constate une effervescence qui fait bouger les lignes : “Je trouve que certains discours vegans sont parfois moralisateurs et que les gens nous voient un peu comme des gens gris et pas fun”, déplore Nili Hadida de Lily Wood & The Prick. “Cette collaboration avec Robert Clergerie était une façon ludique d’aborder un sujet qui me tient à cœur“, explique-t-elle à propos de sa ligne de chaussures. Et d’ajouter : “Je pense que ma génération, et celles à venir, sont de plus en plus conscientes de l’incidence de leur façon de consommer sur la planète [alors] j’essaie de changer les choses comme je peux, à mon petit niveau.”

Du côté de la marque Stella McCartney, la première à avoir adopté une éthique 100 % vegan depuis sa création, l’engagement fait partie de son ADN. “Nous n’avons jamais utilisé de cuir, de peau, de plume ou de fourrure dans nos produits, explique la styliste. L’industrie de la viande et du cuir est l’une des plus dévastatrice de la planète, [leur] production est responsable de 18 % des gaz à effets de serre dans le monde.” Afin de s’engager davantage, la marque s’est associée à l’initiative “Meat Free Monday” (les lundis sans viande), lancée par la famille de la designer en 2009, pour encourager les consommateurs à se passer de steak.

Éthique et écologie : des valeurs montantes dans la société et la mode

Ce début de siècle semble bien être celui d’une prise de conscience généralisée : celle que la planète a ses limites. “Nous sommes heureusement sortis de ce que l’on pourrait appeler la ‘Kleenex Society’ et les mots ‘durabilité’, ‘longévité’ et ‘héritage’ redeviennent d’avant-garde”, se réjouit Philippe Starck.

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“Il y a cette prise de conscience sur le bien-être animal et aussi une prise de conscience écologique, estime Isabelle Goetz. On s’est rendu compte qu’il y a une surconsommation de plein de produits, alors qu’aujourd’hui on a le choix d’utiliser d’autres matières.” De plus en plus de jeunes gens adoptent ainsi un régime végétarien, ce qui les conduit petit à petit à s’interroger sur l’ensemble de leur consommation dont la mode fait partie.

Cette tendance sociétale finit par influencer les créateurs. Isabelle Goetz explique cela par “la loi de l’offre et de la demande” : plus il y a de demande pour des produits vegans, plus l’industrie de la mode s’aligne. Dès lors, les consommateurs apparaissent comme des acteurs déterminants, enclins à faire bouger les lignes en influençant les marques. Ce rôle de plus en plus prédominant du consommateur est confirmé par Johannes Wilbrenninck, directeur du marketing et de la communication chez Robert Clergerie, qui explique la genèse de sa collaboration avec Lilly Wood & The Prick: “Nous souhaitions prendre en compte notre génération et ses aspirations.

Robert Clergerie et Amélie Pichard ne sont pas à l’origine des marques vegans, mais ils ont chacun souhaité créer une ligne de chaussures intégralement végétale, boostées par un jeune public plus engagé pour l’une, et par une star au discours influent pour l’autre. “Depuis les débuts de ma marque, j’avais l’envie de faire une mode différente, plus consciente et durable, explique la créatrice Amélie Pichard. Je suis fière que ma ligne vegan ait reçu le label ‘Peta Approved’ ! Et je continuerai de verser certains bénéfices à la Pamela Anderson Foundation”, se félicite-t-elle.

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La question de la morale et de l’éthique des créateurs apparaît désormais comme un élément déterminant, selon le désigner Philippe Starck : “Aujourd’hui nous n’avons tout simplement pas le choix de penser autrement qu’à travers le prisme de l’écologie. Nous nous trouvons dans une situation environnementale qui n’a rien à voir avec les tendances. Et de prédire : Les marques vont se diviser en deux groupes : celles cyniques et les autres, qui ont compris les mutations et les enjeux auxquels nous devons faire face et pour qui l’écologie est une norme et une évidence.”

Quand la technologie moderne permet de penser la mode de demain

La préoccupation grimpante pour une mode vegan est encouragée par l’arrivée de matériaux novateurs : “L’industrie du textile invente en permanence des matériaux chauds, qui ne polluent pas, synthétiques, légers, résistants et qui durent plus longtemps, se réjouit Isabelle Goetz. Il y a vraiment une technologie du vêtement qui est formidable et, en 2016, cela devient complètement dépassé de porter de l’animal.

On assisterait ainsi aux prémices d’un renversement des mentalités, où les produits synthétiques ne seraient plus considérés comme “bas de gamme” ou appartenant à une catégorie inférieure à celle des fibres d’origine animale. La maille polaire et végétale (lin, chanvre), l’acrylique et les peaux synthétiques remplaceraient alors cuir, angora, cachemire, soie et fourrure.

On pourrait donc parler de l’avènement d’une mode plus démocratique, où le “fake” ne serait plus un sous-produit réservé aux masses, et le “vrai” (cuir, fourrure, écailles…) serait réservé à une élite. Comme le note Isabelle Goetz, le vegan englobe tout : “du haut de gamme, du milieu de gamme, du bas de gamme, même dans les magasins chinois.” “Tout le monde sait faire sans matière animale”, résume la porte-parole de Peta. Attention donc à ne pas confondre le vegan éthique avec le vegan de mauvaise qualité. Si une tong en plastique achetée cinq euros est de facto vegan, elle n’est pas fabriquée de manière éthique pour autant.

Ainsi, plusieurs marques adoptent un positionnement responsable, bien que créer du vegan de luxe ait une incidence sur la fabrication. Cela demande du travail et du temps en amont pour trouver les bons fournisseurs”, concède Johannes Wilbrenninck. Mais le jeu en vaut la chandelle pour la marque Robert Clergerie : “Pour nous, c’était important de montrer que l’on peut créer ces produits pointus, à la mode, de qualité, et qui durent.” Selon le porte-parole du chausseur, il y a une vraie volonté de se diriger vers des solutions nouvelles, comme le cuir synthétique : “Il y a des innovations pertinentes, comme le faux cuir. Beaucoup de boîtes travaillent là-dessus, et leurs faux cuirs ressemblent à 90 % à des cuirs naturels.” Peut-être que d’ici cinq ou dix ans, ce nouveau matériau pourrait alors complètement remplacer le cuir animal.

En définitive, le cap le plus difficile à passer est bien celui des mentalités et chacun a son rôle à jouer : celui du consommateur est de pousser les marques dans leurs retranchements et celui des créateurs est tout simplement de prendre leurs responsabilités. “Tout travail est politique, que vous soyez plombier, journaliste, blogueur ou créateur. Le designer a encore plus de responsabilités, puisqu’il est à l’origine d’idées et de propositions qui sont souvent produites matériellement par la suite”, analyse Philippe Starck.

Si l’émergence de la culture vegan n’en est qu’à ses balbutiements dans l’industrie de la mode européenne, son essor pourrait prendre de l’ampleur grâce à la collaboration fructueuse entre une jeune génération engagée et des créateurs déterminés à s’inscrire dans une dynamique avant-gardiste.

Article écrit en collaboration avec Naomi Clément

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