Entre enfants morts et girl power, découverte des rêves de l’illustratrice Rebecka Tollens

Publié le par Dora Moutot,

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Rencontre avec Rebecka Tollens et son univers étrange et onirique, à l’occasion de l’exposition Daydream/Darkness/Disgrace de la galerie Arts Factory.

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Du haut de ses 26 ans, l’artiste Rebecka Tollens est un véritable message d’espoir pour tous les gens qui dessinent extrêmement mal. Ne jetez pas l’éponge : ne pas savoir dessiner n’est vraiment pas une fatalité. Il y a moins de six ans, cette jeune artiste suédoise dessinait elle aussi comme un pied.

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Dur à croire, quand on regarde le niveau de détail des incroyables dessins qu’elle réalise à la mine de plomb. Pourtant, il n’y a pas si longtemps, Rebecka ne s’intéressait absolument pas à l’illustration. Son talent à elle, c’était le chant. À Stockholm, elle chantait dans dans un groupe de jazz et son entourage l’imaginait volontiers faire une carrière musicale. Mais sa vie a pris un tournant totalement différent.

Un subconscient qui a des choses à dire

Longtemps, cette très jolie blonde, née d’un père français et d’une mère suédoise, ne s’est pas rendue compte de la valeur artistique de l’univers à la fois mystique, étrange et onirique qui habitait son âme et son esprit. Cette illustratrice qui vit à Paris depuis huit ans réalise la plupart de ses dessins à partir de ses rêves – des rêves qu’elle fait endormie ou parfois éveillée, sous la forme de flashes.

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Rebecka, qui a passé son enfance en Suède, a un inconscient qui déborde de surprises ou d’histoires poétiques et bizarres. Elle rêve de groupes de femmes – un peu sorcières, un peu magiques – qui feraient pipi toutes ensemble, d’enfants morts qui gambadent et de fantômes qui la suivent.

Le matin, avant même d’ouvrir les yeux  et de checker son téléphone, l’artiste attrape le petit carnet qui se cache dans son lit et note ses rêves. Elle me conte l’un des derniers à l’avoir marquée :

“J’ai rêvé que j’étais dans un château qui était aussi un hôtel. D’un coup, je vois une grande famille qui débarque : il s’agit de six sœurs avec leur mère. La mère est hyper fatiguée, les sœurs ont toutes des caractères différents. L’une des sœurs avait très peur, elle était extrêmement nerveuse et se collait à moi. Dans mon rêve, elle et moi on va vivre une histoire d’amour. Il y a l’une des sœurs qui est possédée et qui se met à nous suivre. Je vois alors une fête qui se déroule dans le jardin de l’hôtel, tout le monde est habillé en blanc, avec de grands chapeaux à fleurs. La sœur avec qui je vis une histoire d’amour et moi, on court dans les champs pour échapper à la sœur possédée. Et puis, à la fin du rêve, je fais l’amour avec mon ex-copain et la sœur possédée nous regarde dans le coin de la pièce en rigolant.”

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Rebecka a repris des bribes de ce rêve dans certaines de ses œuvres. L’un de ses dessins représente ainsi une femme au chapeau blanc fleuri, qui tient un vagin dans la main. Dans un autre, on voit le visage d’une jeune femme mi-nordique mi-japonaise, un hybride entre son physique de scandinave et celui de son ex-copain asiatique.

Rebecka se rappelle de ses rêves en détail, au point de se souvenir, de façon totalement surprenante, des prénoms des personnages de ses rêves : “La sœur peureuse s’appelle Villanueva”, dit-elle avec le plus grand naturel, comme si tout le monde pouvait mettre un nom sur les gens de ses rêves.

“Il y a un an et demi, j’ai arrêté de boire de l’alcool à cause de la prise d’un traitement médicamenteux et je me suis rendue compte rapidement que je me souvenais de manière flagrante, de couleurs, de phrases et de formes. J’ai pris conscience de toutes les images étranges que j’ai en tête”, explique-t-elle.

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Honnêteté, pureté, fragilité

Allant d’œuvre en œuvre dans la galerie, je questionne Rebecka sur le motif des enfants morts dans ses dessins. “Quelque part, ils évoquent pour moi l’amour. Les histoires d’amour ne meurent jamais – elles peuvent se finir, mais elles restent éternelles. Et puis les enfants représentent l’honnêteté pure”, explique-t-elle. À propos des œufs qui sont souvent présents dans ses œuvres, elle me dit : “Je me vois souvent danser avec des œufs, ça représente la fertilité et la protection de quelque chose qui est très fragile mais en vie.”

Longtemps, Rebecka a pensé que tout le monde avait plus ou moins ce genre de visions. “Je ne me rendais pas compte que j’avais cet univers en moi et que c’était spécial. Pourtant les gens me disaient que j’avais un côté très noir, que j’avais des ‘humeurs’, mais je ne voyais pas quoi en faire sur le plan créatif”, se souvient-elle.

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Les œuvres de Rebecka regorgent d’éléments quasi mystiques, spirituels ou religieux – comme des Vierges Marie, par exemple. Même si la dessinatrice dit ne pas avoir été éduquée dans la religion et ne pas être croyante, elle a une certaine fascination pour l’occulte : “Il y a trop de forces qu’on ne comprend pas, ça m’intrigue mais ça ne me fait pas trop peur.” Elle confesse pourtant voir des fantômes dans son sommeil et être habitée par l’envie de mourir depuis son adolescence. “Je crois que je n’ai jamais été aussi adulte qu’à 13 ans. Je pensais que j’avais tout compris mais ça m’a tellement déprimée que je ne voulais plus vivre. Je rêvais de ma propre mort et de comment serait l’enterrement”, détaille-t-elle.

La découverte de l’illustration à travers son parcours humanitaire

À cette époque, Rebecka ne dessine pas, mais elle s’intéresse à l’humanitaire. C’est d’ailleurs l’humanitaire qui la mettra sur la voie du dessin. À 14 ans, elle fait un stage à Amnesty International, dans le département qui s’occupe de la question des réfugiés. Elle se lance alors dans le volontariat, avec l’idée de faire des études de droit dans le futur. Finalement, c’est pendant un séjour au Ghana dans un orphelinat illégal qu’elle se rend compte de l’importance des murs peints dans le pays et de la puissance de l’illustration.

Réalisées par des peintres anonymes, ces fresques ont pour vocation d’informer la population sur les droits sexuels et de faire passer des messages : “Mettre des préservatifs par exemple, sans mots, juste en dessin.” Et soudainement, c’est l’évidence pour Rebecka. Dégoûtée par ses nombreuses expériences dans l’humanitaire – dans l’orphelinat mais aussi dans un camp de réfugiés pour Libériens où elle s’est rendue compte que rien ne fonctionnait – le dessin devient pour elle une révélation. “C’était flagrant, les dessins expliquaient tout, ç’était plus efficace que le travail de l’ONU !”, s’exclame-t-elle. Loin de la paperasse administrative des ONG, c’est l’immédiateté du dessin, d’humain à humain, qui l’a séduite.

Sororité et union des femmes

Dans les dessins de Rebecka, les femmes et les petites filles traînent souvent en bande. On ressent l’influence de l’artiste autodidacte Henry Darger, que Rebecka avoue adorer, et on devine aussi une sorte de fascination pour la sororité. C’est aussi lors d’un voyage, en Colombie cette fois, qu’elle a développé son intérêt pour cette volonté militante d’union des femmes – en rencontrant un groupe de sept sœurs qui se sont toutes soutenues pour aller à l’université.

“La seule différence entre les hommes et les femmes est que les femmes ont dû subir un long processus de conditionnement. En se libérant, on a cette force de pouvoir fleurir ensemble : nous avons un combat commun”, soutient Rebecka que je ressens féministe. “Au lieu de perdre mon temps à scruter les autres femmes, j’essaye de voir leur potentiel. Je veux parler de l’union des femmes et des droits des femmes”, revendique-t-elle.

Le dessin à corps perdu

Forte de ses expériences, Rebecka va abandonner son projet d’études de droit, laisser tomber le chant et se lancer à corps perdu dans le dessin. Alors qu’elle n’avait presque jamais touché un crayon à papier jusque là, elle a tout simplement décidé qu’elle apprendrait à communiquer à travers le dessin.

Pour ça, elle fait une prépa art plastique à l’école LISAA, puis une formation d’illustratrice à l’école de Condé, avant de devenir stagiaire pour la galerie Arts Factory où elle est actuellement exposée – et où elle travaille encore en tant qu’assistante, à côté de son activité d’artiste.

Toute sa détermination dans l’apprentissage du dessin ainsi que sa volonté de partager son subconscient et ses émotions se résument dans cette phrase qui nous servira de conclusion : “Les expressions artistiques sont pour moi plus marquantes que la morale.”

Particulièrement connue pour son défrichage de la scène graphique contemporaine, la galerie Arts Factory présente du 31 janvier au 25 février une exposition intitulée Daydream/Darkness/Disgrace. Celle-ci réunit trois artistes : le Japonais Wataru Kasahara, la Française Marie Pierre Brunel & la Suédoise Rebecka Tollens.

27 rue de Charonne 75011 paris
Métro : Ledru-Rollin et Bastille
Du lundi au samedi de 12h30 à 19h30