Et si on laissait Elon Musk fumer de la weed tranquillement ?

Publié le par Thibault Prévost,

“Hey, man, il t’arrive jamais de te demander si on vit pas dans un ordinateur alien?” Crédit : Youtube

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Car Musk, ne l’oublions pas, est toujours en pleine annus horribilis, tant sur le plan personnel que professionnel. Pour tenter de satisfaire le demi-million de clients en liste d’attente pour leur Model S à l’été 2017 (un chiffre qui pourrait être en réalité bien inférieur aujourd’hui), le PDG impose des méthodes de management de plus en plus critiquées. Le 5 septembre, 42 employés de la firme décrivaient à Business Insider, sous couvert d’anonymat, une ambiance de “secte”, des employés qui “vouent un culte” au patron et travaillent 12 heures par jour avec le sentiment de “marquer l’histoire”. Lui passe désormais une partie de sa vie dans son usine de Fremont, à dormir sous son bureau pour régler ce qu’il décrit comme “l’enfer de la production”. Un rythme stakhanovien qui a fini par atteindre durablement sa santé nerveuse.
Si vous êtes familiers du personnage, vous savez probablement qu’en l’espace de quelques mois, le PDG a réussi l’exploit de s’embrouiller avec Azealia Banks, insulter les analystes financiers qui prédisaient des heures sombres à son entreprise, insulter les journalistes qui selon lui décrivent Tesla sous un jour peu flatteur, et traiter gratuitement un des sauveteurs des enfants thaïlandais de “pédophile” après que celui-ci a osé critiquer le sous-marin qu’il proposait. Une série de bourdes qui, bien que condamnables, n’avaient pas trop entamé sa popularité aux yeux des observateurs, du grand public et – plus important – de ses investisseurs, qui voient toujours en lui une sorte de Tony Stark aussi génial qu’imprévisible. D’autant que, le rythme de 5 000 Model 3 par semaine atteint, Tesla allait enfin réaliser des profits.
Et puis, patatras : le 7 août, le PDG tweete qu’il va rendre la compagnie privée en rachetant toutes les parts des investisseurs à 420 dollars l’action, soit 18 % de bénéfices, grâce à l’appui financier de l’Arabie Saoudite. Le prix de l’action s’envole. Le 24 août après deux semaines de spéculations, Musk se rétracte. On apprendra, le 7 septembre, que son tweet visait simplement à énerver les short sellers, ces boursicoteurs qui vendent des actions qu’ils ne possèdent pas encore en tablant sur la baisse de leur valeur. Tesla est le titre le plus “shorté” au monde. Après l’annonce de la privatisation, les short sellers, pris de court, ont perdu 1,3 milliard (oui, milliard) de dollars. Un mauvais coup qui pourrait être malin… s’il n’était pas potentiellement illégal. Le régulateur des échanges commerciaux américain, la SEC, doit encore décider s’il y a eu, ou non, manipulation intentionnelle des cours.

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Une taffe et une tornade

Pour paraphraser le titre d’un article de Wired paru le 18 mai, “Elon Musk est un homme brisé”. Tony Stark s’est transformé en un patron violent, recroquevillé dans une paranoïa grandissante, dont les saillies menacent la survie économique de ses entreprises et fragilisent chaque jour son poste. À tel point qu’à la rentrée, certains investisseurs posent désormais la question jusque-là inconcevable : faut-il virer le CEO de Tesla, qui refuse obstinément de déléguer ? Réponse de l’intéressé, le 10 septembre : l’embauche d’un bras droit français, Jérôme Guillen, promu “président de la division automobile.” Une manière pour Musk de donner aux investisseurs ce qu’ils réclamaient depuis “l’incident du joint” et de montrer qu’il n’est plus seul à la barre.
Le 7 septembre, donc, Elon Musk, un type qui avouait récemment “travailler 120 heures par semaine”, décrit en août par le New York Times comme une épave émotionnelle au bord du burn-out, a fumé un joint et bu du whisky avec un type débonnaire, le tout devant 90 000 spectateurs incrédules sur YouTube. Le Musk stoner est immédiatement devenu un mème. Pour Vice, le PDG de Tesla, coincé comme jamais – “est-ce que c’est un joint de marijuana ?”, demandera-t-il à Joe Rogan – a “réussi à rendre la weed craignos”. Le podcast en question est devenu le plus visionné de l’histoire de l’émission, pourtant considérée comme l’un des dix podcasts les plus populaires au monde. Le titre Tesla a chuté de 10 %, permettant – ironie ultime – aux shorts sellers d’empocher 510 millions de dollars en une journée. L’Air Force, avec qui SpaceX est sous contrat, réfléchit à ouvrir une enquête. Bref, Musk a tiré une taffe, et le monde a encaissé la bourrasque.

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Laissez-le fumer de la weed !

Nous devrions pourtant nous féliciter de cette scène, tant le CEO change de comportement tout au long de l’interview : des 45 premières minutes gênantes à souhait, durant lesquelles son langage corporel évoque celui d’un superordinateur piégé dans un corps d’androïde et obligé de dévoyer sa pensée pour communiquer avec le primate en face de lui, à la fin de l’interview, où son débit devient quasiment normal et son regard accroche enfin son interlocuteur, la mutation est radicale.
Comme le suggère Quartz, nous pensons que Musk, qui a déjà dû répéter plusieurs fois qu’il ne prenait pas de weed pour des questions de “productivité” – difficile de le contredire –, devrait clairement lâcher du lest et taquiner la skunk un peu plus souvent. Histoire de rendre au monde, l’espace de quelques minutes, le “Cool Elon” décrit par Wired, ce type dans la lune qui invente des trucs pendant ses rêves, apparaît dans Les Simpson et Iron Man 2 et fait rêver son monde (à raison ou à tort) en parlant de tunnels, de réalités simulées, de conscience cybernétique, d’avions électriques, d’une IA malfaisante, de voitures autonomes et de colonisation martienne. Son image a perdu de sa superbe, et c’est tant mieux – idolâtrer un patron, que ce soit Musk, Steve Jobs ou Trump, a toujours quelque chose de dérangeant –, mais il est encore un peu tôt pour le lynchage en place publique.
Tant pis si, la plupart du temps, ses prédictions tombent à l’eau. Tant pis si, le 10 septembre, des investisseurs appelaient une nouvelle fois à sa démission et des hackers révélaient concomitamment la vulnérabilité des Tesla aux attaques à distance. Tant pis, au fond, si l’avenir de Tesla se fait sans lui (et tant mieux, même, si ça permet d’améliorer les conditions de travail déplorables de ses salariés américains). Elon Musk, saint patron des “disrupteurs”, parangon du capitalisme dérégulé, est loin d’être tout blanc, mais lui aussi mérite qu’on lui foute un peu la paix. Et tant mieux si ça passe par de la weed et quelques digressions apocalyptiques sur le futur de l’espèce. Leave Elon alone.
 

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https://youtu.be/ycPr5-27vSI