Récit : Deborah de Robertis, ou l’art de montrer sa chatte dans les musées

Publié le par Alice Gautreau,

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L’artiste luxembourgeoise qui s’expose nue devant des œuvres d’art a encore frappé, dimanche 24 septembre, au Louvre. J’ai suivi son équipe depuis les préparatifs matinaux de la performance jusqu’à l’arrestation de l’artiste au sein du musée.

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Dernièrement, j’ai été contactée sur Facebook par Deborah de Robertis, une performeuse qui s’intéresse à l’utilisation du corps féminin dans l’histoire de l’art. Celle-ci me proposait de venir à la sortie de son clip expérimental Ma chatte mon copyright, le 29 septembre dans un lieu tenu secret à Paris, mais surtout à sa prochaine performance au Louvre, le dimanche 24. Intriguée par le personnage et ses revendications féministes, j’accepte de la suivre jusque dans les coulisses de sa performance.

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Phase 1 : les préparatifs

11 heures 50 : J’arrive chez Cyrille, un ami de Deborah qui héberge une équipe de quatre personnes. C’est clairement l’effervescence dans cet appartement du XVe arrondissement. Agenouillée dans le salon, Caty, la stagiaire en communication, tente désespérément de faire fonctionner l’imprimante pour sortir des copies du texte que Deborah déclamera tout à l’heure.

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Sur le balcon, Miguel, designer, et Abigail, styliste, préparent la tenue que portera l’artiste : un gros Perfecto en cuir noir et un pantalon noir troué à l’entrejambe, recouvert du slogan imaginé par Deborah de Robertis, “MA CHATTE MON ©”. Avec ce costume, elle revendique clairement son inscription dans la lignée artistique de Valie Export, performeuse autrichienne connue pour ses actions provoc’ dans les années 1970. Enfermée dans la salle de bains, dont elle ne sortira qu’une heure après, Deborah s’isole pour se concentrer et répéter son texte.

12 heures 30 : Guillaume, le photographe officiel de Deborah, nous rejoint dans le salon. Il est en charge de documenter les préparatifs et la performance. L’artiste exige de lui des clichés argentiques uniquement, et j’ai au préalable été informée que je ne devais pas prendre de photographies de la performeuse.

12h50 : Au téléphone sur le canapé rouge, Deborah indique à Caty d’acheter des billets d’entrée pour “tout le monde”, soit onze personnes. En plus de l’équipe technique, il y aura aussi un “faux public” constitué d’une dizaine de personnes briefées pour faire de cette performance un événement festif et soutenir l’action de l’artiste. Elles distribueront notamment des flyers contenant ses revendications et un lien vers sa campagne de crowdfunding, dont l’objectif s’élève à 5000 euros. 

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13 heures 20 : Arrivée du cameraman, David “Le Chimiste”, censé réaliser un deuxième teaser pour la sortie du court-métrage de Deborah, le 29.

14 heures : Arrivée d’Oeno, pionner du graffiti. En 1991, Oeno a été arrêté et incarcéré un an à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis pour avoir tagué la station de métro Louvre-Rivoli, avec un autre graffeur répondant au blaze de Chaze. Il a contacté Deborah après sa première performance devant La Joconde, le 15 avril dernier, dans la volonté de “récidiver dans le vandalisme” à ses côtés, selon ses mots. Oeno et Chaze seront les “gardes du corps” de Deborah pendant l’action au Louvre. lls dissuaderont les gardiens de s’approcher d’elle, en plus de leur présence symbolique qui marque leur affiliation à la démarche de l’artiste, vandale elle aussi. 

14 heures 50 : Dans le salon a lieu une séance photo reproduisant un célèbre portrait de Valie Export. Deborah de Robertis, assise sur une chaise en bois, vêtue d’un soutien-gorge noir, d’un Perfecto en cuir et d’un pantalon troué à l’entrejambe, écarte ses cuisses, laissant apparaître une toison aussi fournie que celle de L’Origine du Monde de Courbet, œuvre devant laquelle elle a fait sa première action en mai 2014. Inquiète et perfectionniste, elle questionne l’équipe : “Est-ce qu’on voit bien ma chatte ?” Abigail répond : “Ouais, attends, je te la brosse”.

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Phase 2 : départ pour le Louvre

15 heures 10 : Le départ est imminent et la pression monte. Deborah, qui porte son pantalon troué, demande : “Qu’est-ce que je mets sur ma teucha là ?” On trouve un grand pull jaune moutarde pour cacher son origine du monde. Elle enfile ensuite un Bomber noir XXL, un bonnet et une écharpe, alors qu’il fait 20 degrés dehors, mais elle a peur que les gardiens reconnaissent celle qui avait déjà exposé son sexe devant La Joconde en avril dernier. Abigail interroge Deborah : “T’as fait ton sac pour la garde à vue ? T’as une culotte, t’as une bouteille d’eau ?”

15 heures 20 : Toute l’équipe quitte l’appartement. Je monte dans la voiture du photographe en compagnie de Miguel, direction le Louvre. Deborah et Abigail prennent un taxi.

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15 heures 45 : Arrivée place Colette, devant la Comédie Française. L’équipe est au complet, le faux public présent et composé d’une dizaine de personnes, majoritairement des étudiants. Je fais la connaissance de Jan Bucquoy, réalisateur de La Vie sexuelle des Belges 1950-1978, venu exprès de Belgique.

Phase 3 : passage à l’acte

16 heures : Le stress de Deborah et Abigail est palpable alors qu’on pénètre dans le Louvre. L’équipe s’est séparée en petits groupes : pour ma part, je suis avec Deborah. Abigail et Caty nous suivent de près. On passe le contrôle de sécurité sans entrave.

16 heures 20 : Arrivées au premier étage, on repère la salle de Mona Lisa et on file aux WC. Deborah et Abigail s’y enferment pendant 15 longues minutes. La performeuse doit enlever ses couches d’habits superflus, libérer sa touffe de cheveux crêpés et de poils pubiens. J’attends.

16 heures 40 : On entre enfin dans la salle de La Joconde. Il y a un peu de monde, comme d’habitude, peut-être 70 personnes, mais on parvient assez rapidement à se frayer un chemin au travers de la masse humaine pour finir aux premières loges, devant le célèbre portrait. Abigail donne le top départ à Deborah qui court s’asseoir sur une sorte de présentoir en bois, sous le tableau tant convoité, suivie de près par ses deux graffeurs-gardes du corps, Oeno et Chaze. Les gardiens dans la salle, pris par surprise, ne parviennent pas à les retenir. Munie d’un mégaphone doré, assise confortablement, les cuisses écartées, en womanspreading pourrait-on dire, la performeuse déclame son texte face à un public étonné, mais plutôt souriant.

GoPro accrochée sur son front, elle tient à filmer les réactions du public, et par là même elle incarne une œuvre vivante, active, pour aller au-delà du statut figé et passif de modèle. Elle est Mona Lisa, elle est Valie Export, elle est Deborah de Robertis, une femme artiste engagée pour les droits des femmes. Deborah me disait plus tôt qu’elle envisageait sa performance comme une fête, et en effet, son faux public met l’ambiance en scandant son leitmotiv – “Mona, Lisa, Ma chatte mon copyright !” – et en jetant en l’air des flyers à plusieurs reprises. Les gardiens, débordés par la situation, appellent du renfort. Le “vrai” public a l’air d’être assez content d’assister à cet événement inhabituel : les gens filment, prennent des photos et rient. Des touristes me posent des questions en anglais, auxquelles j’essaie de répondre par-dessus le brouhaha ambiant.

16 heures 50 : Les gardiens arrivés en renfort font évacuer la salle, progressivement, en éloignant la foule de Deborah, toujours déchaînée, debout sur le présentoir en bois. Toute cette masse humaine est rejetée par les deux sorties de la salle de La Joconde, tandis qu’on entend encore l’artiste crier en boucle dans son mégaphone : “Ma chatte, mon copyright !” Les portes sont ensuite fermées et gardées. La foule reste devant, un peu éberluée et curieuse de connaître le dénouement de la situation. Une dame blonde d’un certain âge s’indigne auprès de Miguel : “Trouvez un vrai travail ! Vous n’êtes pas des artistes, vous êtes des imposteurs communistes qui profanez un lieu rempli de chefs-d’œuvre… Je sais de quoi je parle, je suis conférencière, voyez-vous !”

17 heures : Dans le hall non loin de la salle, on trouve la performeuse en train de se débattre contre cinq gardiens. Des policiers finissent par arriver. Ils ont des rollers aux pieds et les voir ainsi monter les escaliers constitue une scène plutôt surréaliste. Deborah de Robertis est appréhendée et emmenée au poste de police. Elle se trouve encore en garde à vue aujourd’hui, mardi 26 septembre.