De l’art avec des bactéries, ou quand les créateurs s’arment d’un microscope

Publié le par Kirkis,

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Petit tour d’horizon de ces artistes qui manipulent les microbes.

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De Fleming à l’Agar Art Competition

Si vous pensiez que l’utilisation des bactéries dans l’art est une lubie d’artiste contemporain∙e, vous faites fausse route ! Il y a déjà presque cent ans, Alexander Flemming, à l’origine du premier antibiotique (la pénicilline), faisait de l’art avec ses sujets d’expérience. En effet, en plus d’avoir fait partie du Chelsea Art Club, on a retrouvé dans ses archives des croquis de dessins qu’il réalisait dans des boîtes de Pétri, à l’aide de différentes espèces de bactéries aux couleurs différentes.

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En 2015, l’American Society for Microbiology lance l’Agar Art Competition, qui rassemble des scientifiques et artistes dans un concours pour lequel ils doivent présenter une œuvre faite à partir de bactéries cultivées sur de la gélose, un milieu composé d’agar agar classiquement utilisé pour la culture de bactérie. L’artiste espagnole Maria Peñil Cobo, en collaboration avec le microbiologiste Mehmet Berkmen, sont les premiers∙ères à avoir remporté ce prix avec Neurons, une composition de bactéries jaunes et oranges.

Bactériographie

L’œuvre de Zachary Copfer est l’exemple d’”art bactérien” le plus connu. Microbiologiste de formation, il se met à pratiquer l’art après des années d’ennui passé dans une entreprise pharmaceutique. Ce passé scientifique lui permet alors de développer en 2012 une technique de création d’image à partir de bactéries de couleur rouge : Serratia marcescens.

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La Bacteriography s’appuie sur le principe de la sérigraphie : l’image est d’abord transformée en négatif dans un logiciel, et va servir de pochoir. Ce pochoir est disposé sur une boîte de Pétri ensemencée de bactéries. L’ensemble est ensuite exposé à un rayonnement UV qui va tuer toutes les bactéries, sauf celles protégées par le pochoir. Les bactéries survivantes se développent alors jusqu’à former l’image, avant d’être tuées pour les conserver.

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La manipulation génétique des bactéries

Certain∙e∙s artistes vont jusqu’à manipuler génétiquement les bactéries. C’est le cas d’Eduardo Kac, qui en 1999 met en place le dispositif de Genesis, une œuvre qui ambitionne de modifier les écrits bibliques. L’artiste a sélectionné un extrait de la Genèse, choisi car il témoigne de la supériorité de l’homme sur toute autre créature : “Que l’homme domine sur le poisson de la mer, sur les oiseaux de l’air et sur tout ce qui vit sur la Terre.” Cette phrase est ensuite transcrite en morse, puis en séquence ADN, formant alors un gène. Ce gène est alors intégré à l’ADN d’une bactérie Escherichia coli, avant d’être mise en culture, et placé sous une lampe à rayonnement ultraviolets.

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Le système d’activation de la lampe est mis en ligne sur Internet, et soumis à l’action des utilisateurs∙trices qui peuvent actionner ou éteindre la lampe. Sous l’effet des rayons, les bactéries subissent des mutations génétiques. À la fin de l’exposition, le gène de la “Genèse” est extrait, codé, puis retranscrit dans notre alphabet : on peut ainsi apercevoir des modifications dans le texte. Si les écrits bibliques disent que l’homme est supérieur à toute vie sur Terre, des bactéries réussissent à modifier les textes sacrés…

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Des milliards de bactéries (et bien plus encore) vivent sur nous (et en nous)

Depuis quelques années, les recherches scientifiques s’intéressent au microbiome. Employé et définit la première fois en 2001 par le biologiste Joshua Lederberg, le microbiome est la totalité des micro-organismes présents dans ou sur le corps humain, ou dans un autre environnement. Ces “communautés bactériennes” vivent principalement dans l’intestin où elles aident à la digestion, mais on les retrouve aussi dans la bouche, le nez, les parties génitales ou à la surface de la peau.

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Le microbiome humain se compose d’environ 2 000 espèces différentes, et représente quelques millions de milliards de micro-organismes, soit presque deux kilogrammes, le poids de notre cerveau. Pour une cellule humaine, nous abritons 1,3 cellule non-humaine, de quoi s’interroger sur ce que c’est réellement “être humain”.

Les artistes n’ont pas tardé à s’emparer du microbiome, et l’ont mis en œuvre de différentes manières. L’artiste britannique Rebecca D. Harris réalise Symbiosis en 2015, en utilisant la broderie pour traduire visuellement la grande diversité de microbes sur notre corps. À l’aide d’un microbiologiste, elle a reproduit à échelle réelle l’image d’un corps de femme, qu’elle a rempli de points de broderies de couleurs, chaque couleur représentant un type de microbe différent. Représentant une femme enceinte, la pièce met en évidence la différence entre le corps adulte recouvert de microbes et le corps exempt de micro-organismes du bébé à naître. D’une certaine manière, l’acquisition de notre propre microbiome fait partie du processus de croissance.

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Avec Microbial Me (2015), Mellissa Fischer prélève des micro-organismes sur son propre visage, qu’elle met en culture sur un moule en agar de son visage. De cette manière, elle met en lumière le microbiome invisible qui vit sur notre peau et nous invite à changer notre perception des microbes, souvent associé à quelque chose de mauvais et pathogène.

Tarah Rhoda aborde le microbiome de manière poétique, faisant de son visage moulé dans de la gélose une nuit étoilée dans laquelle brillent des bactéries phosphorescentes. Skinfinity (2016) est une métaphore du monde bactérien, microscopique, qui existe sur notre propre corps, sous nos yeux, sans qu’on ne puisse le voir.

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Je touche donc je suis

Notre microbiome évolue en permanence, en fonction de la nourriture, des médicaments, des contacts avec d’autres organismes vivants. Si entre deux personnes l’ADN est similaire à 99,9 %, leur microbiome ne le sera qu’à 10 %. Notre identité pourrait donc être liée aussi à notre microbiome, bien plus qu’à notre génome.

C’est en tout cas sur ce postulat que se base le travail de François-Joseph Lapointe, microbiologiste québécois, également artiste. Il décline la formule de Descartes, “Je pense donc je suis” en une série de performances (“Je mange donc je suis”, “Je chie donc je suis”, “Je baise donc je suis”, etc.) dans lesquelles il interroge l’évolution perpétuelle de notre microbiome.

Avec Je touche donc je suis (2014), l’artiste aidé de ses assistant∙e∙s, procède à 1 000 poignées de mains dans un institut danois. Son microbiome palmaire est prélevé au début de l’expérience, à la fin, et toutes les cinquante poignées de mains. Les échantillons sont ensuite analysés en laboratoire, et mis en image sous forme de diagrammes qui mettent en évidence les différents types de bactéries (les différentes couleurs), et les systèmes de réseaux qui les lient. Plus l’artiste a serré de mains, plus son microbiome s’enrichit de ceux des autres.

Transfert de microbiome

De récentes études visent à démontrer que le microbiome peut affecter notre humeur, notre poids, voire notre intelligence et notre personnalité. Fin 2016, l’artiste française Marion Laval-Jeantet décide de procéder à la transplantation du microbiome d’un Pygmée — qu’elle a rencontré lors d’une de ses expéditions — dans son propre corps, et voir si elle peut ressentir la personnalité du Pygmée s’exprimer en elle, de quelque façon que ce soit.

Appelée Que le Pygmée vive en moi, cette performance consiste en une transplantation de microbiome intestinal, par le biais d’une transplantation fécale. La transplantation fécale est un acte médical pratiqué depuis des siècles visant à rétablir une flore intestinale faible. On introduit dans l’intestin du malade des excréments venant d’une personne “saine” au microbiome plus riche, afin que les bactéries contenues dans l’intestin du donneur colonisent l’intestin du receveur.

Depuis la transplantation effectuée dans un hôpital parisien, elle note quotidiennement les changements qu’elle observe dans son corps, et elle procède à des prélèvements réguliers afin d’observer l’évolution de son microbiome. La performance est encore en cours, mais il nous tarde de voir les résultats !