Pourquoi une fresque raciste va-t-elle rester au célèbre musée Tate Britain ?

Pourquoi une fresque raciste va-t-elle rester au célèbre musée Tate Britain ?

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© Keith Piper

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Par Lise Lanot

Publié le , modifié le

Selon l’artiste Keith Piper, il est nécessaire de se confronter aux imageries du passé, même lorsqu’elles peuvent "traumatiser".

Pendant près d’un siècle, la fresque de 17 mètres de long, The Expedition in Pursuit of Rare Meats, a habillé le restaurant du Tate Britain. Il a fallu attendre 2018 pour que le musée britannique ajoute un cartel explicatif concernant la “teneur raciale” de cette fresque où sont notamment représentées des personnes noires réduites en esclavage, tenues par des cordes, en plus de caricatures racistes. En 2020, le comité d’éthique du musée demandait que la salle ne soit plus utilisée comme restaurant, arguant que cet usage banalisait la gravité d’une fresque jugée “offensante” et ce “sans équivoque”. Quelques mois plus tard, le musée effaçait de son site une mention décrivant la pièce comme “la salle la plus amusante d’Europe”.

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Le célèbre musée annonçait alors dans un communiqué qu’“un artiste contemporain [allait être] invité à créer une nouvelle installation spécifique au lieu, qui sera ouverte au public en tant qu’espace d’exposition. Cette nouvelle œuvre sera exposée à côté et en dialogue avec la fresque, redéfinissant la façon dont le lieu est vécu.” Cette décision avait à l’époque fait polémique. Plusieurs critiques estimaient que la fresque devait tout simplement être détruite ou cachée du public et que ce genre d’œuvre ne permettait aucunement d’éduquer le public sur l’histoire de l’esclavage.

Vue de la fresque peinte par Rex Whistler lorsque la pièce faisait encore office de restaurant, 2018. (© Jeffrey Greenberg/Education Images/Universal Images Group via Getty Images)

Keith Piper fait partie des défenseurs de la décision du Tate – en toute logique, puisqu’il est l’artiste que le musée a choisi pour répondre à la fresque de Rex Whistler. L’artiste fondateur du Blk Art Group, une association de jeunes artistes d’origine africaine-caribéenne”, a déclaré qu’il était “important de voir des représentations historiques afin de comprendre l’histoire” : “Je sais qu’il existe un débat au sein des jeunes générations que ces images retraumatisent, mais je pense que soit on regarde, soit on oublie. On est très forts pour oublier de nos jours et les choses qui sont hors de notre vue finissent par disparaître de notre esprit. Pour conserver une vision claire de l’histoire, on doit regarder ces choses”, rapporte The Guardian.

Un choc générationnel ?

Dans le cadre de son argumentation, Keith Piper appuie également sur “l’importance”, selon lui, “des images difficiles” dans “les luttes noires” : “Si on revient à la lutte contre l’apartheid ou la vidéo traumatisante et très graphique de George Floyd pendant Black Lives Matter, la vie qui quitte son corps. Sans ces images très problématiques, il n’est pas certain que le mouvement aurait eu le même écho, et c’est la même chose pour les images du mouvement des droits civiques.”

Keith Piper. (© Joel Chester Fildes/The Artists Information Company)

En réponse à la fresque de Rex Whistler, Keith Piper a installé depuis le 12 mars dernier une installation appelée Viva Voce. L’œuvre, visible à côté de la fresque originale, consiste en un film d’une vingtaine de minutes diffusé sur deux larges panneaux rectangulaires.

Le public du Tate Britain y entend une professeure imaginaire poser des questions au jeune Whistler, âgé de 21 ans au moment de la réalisation de sa fresque. Elle le confronte notamment concernant “l’imagerie raciste qu’elle contient”. Keith Piper s’est inspiré d’un pamphlet “qui expliquait l’idée derrière la fresque”, rédigé par Edith Olivier, “figure littéraire amie de Whistler”, détaille le Tate.

Keith Piper, Viva Voce 2024, photographie de l’installation. (© Tate/Photo : Joe Humphrys)

Des débats continus

Si les critiques concernant la fresque raciste de Whistler ne datent pas de 2020 mais d’années auparavant, elles ont été amplifiées grâce au mouvement Black Lives Matter. Les discussions concernant les statues coloniales et racistes disséminées à travers le monde ont notamment été accélérées à ce moment.

Tandis qu’une partie d’entre elles ont été déboulonnées, internautes, artistes et institutions continuent de s’interroger quant à leur futur : faut-il les détruire, les cacher ou les exposer avec une mise en contexte ? En juin 2021, la ville de Bristol avait par exemple décidé d’exposer la statue de l’esclavagiste britannique Edward Colston, déboulonnée l’année précédente, afin derecueillir l’avis des habitant·e·s sur l’avenir de la statue”.

Keith Piper, Viva Voce 2024. (© Keith Piper)