Série culte : Misfits, ou comment bousculer les codes du genre super-héros

Série culte : Misfits, ou comment bousculer les codes du genre super-héros

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Par Pauline Delestre

Publié le

De 2009 à 2013, les super-ados britanniques se sont appliqués à transgresser tout ce qu’on croyait savoir sur les super-héros.

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À première vue, les cinq délinquants réunis dans la petite bourgade fictive de Wertham n’inspirent ni confiance, ni sympathie. Pourquoi se retrouvent-ils à faire des travaux d’intérêt général, tels des taulards en sursis dans leur tenue orange criard ?

Pour le comprendre, cela n’aide en rien que chacun réponde à un stéréotype bien particulier : Kelly est l’archétype même de la chav surmaquillée au fort accent et au parler argotique ; Curtis est un athlète tombé pour consommation de drogues ; Alisha, party girl invétérée, a été condamnée pour conduite en état d’ivresse ; Nathan a l’insulte facile et pour passion de pousser les autres à bout. Seul Simon ne répond pas à un cliché spécifique et reste à l’écart, du fait d’une timidité maladive. Et pourtant… Les apparences sont bien trompeuses, et c’est là que la série se détache des préceptes habituels.

En instaurant entre ses protagonistes une solidarité en béton armé, en les forçant à s’apprivoiser et remettre en question tout ce qu’ils se croient capables d’accomplir, Misfits offre une approche totalement inédite du traitement des super-héros et s’engage dans une fresque au réalisme social cru, où les super-pouvoirs sont plus un fardeau qu’autre chose. A priori, aucune rédemption n’attend les cinq compères, qui se trouvent plus marginalisés encore avec les nouvelles capacités qui leur incombent.

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S’ensuit un savoureux mélange d’intrigues fantastiques, de situations cocasses, de péripéties grotesques, le tout dans une irrévérence qui n’est pas sans rappeler celle de Skins. Ça pisse le sang, ça parle cul sans détour, ça jure, ça se drogue, ça se bastonne… Mais toujours pour un effet étonnamment jubilatoire.

Ces Misfits doivent faire face à un festival de grand n’importe quoi provoqué par des individus malveillants et complètement barrés, parfois eux aussi doués de pouvoirs surnaturels : des ex vengeurs, des voleurs de pénis, des fanatiques, des métamorphes, des zombies… Mention spéciale au Milk Guy, télékinésiste spécialisé dans les produits laitiers devenu serial killer. Fait insolite : des intrigues résulte bien souvent la mort plus ou moins accidentelle des agents de probation de la bande… Un métier à risques, il faut croire.

Dès le début, l’une des forces de la série a été de s’approprier les réseaux sociaux naissants, afin de lancer une campagne de promotion parfaitement adaptée à sa cible de jeunes téléspectateurs. Il a notamment été très ingénieux de créer les profils de Simon et Kelly sur Twitter et Facebook, et de les faire réagir aux épisodes à mesure qu’ils étaient diffusés. Autre idée brillante : proposer des jeux interactifs en ligne où l’on pouvait camper son personnage favori, lancer des cacahuètes pour étrangler Vince ou prendre des bains de lait avec Curtis (si, si).

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Le format court permet d’instaurer un rythme nerveux et électrique soutenu par une chouette bande originale (The Rapture !), où l’humour décalé se mêle au suspense et ne laisse aucune place à l’ennui. Les références à la pop culture ne sont également pas en reste, avec de beaux clins d’œil à Spider-Man, Souviens-toi… l’été dernier, Shining et même au street-artiste Banksy.

Côté récompenses, la série a été sacrée du BAFTA de la Meilleure série dramatique en 2010 et Lauren Socha, l’interprète de Kelly, y décrochera également un trophée l’année suivante. Bel honneur !

“I’m gonna make a girl fall in love with me”

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La plus grande réussite de Misfits, cependant, réside dans son traitement de la manière dont ses personnages se rapprochent peu à peu, se dévoilent, découvrent leurs aspérités respectives et s’appliquent à panser leurs blessures (en prenant quelques coups au passage) au travers de leurs folles aventures. D’un groupe de criminels à la petite semaine, ils évoluent en une famille quelque peu dysfonctionnelle mais tenue par un but commun, celui d’être prêt à tout pour les autres.

Le plus bel exemple étant sans aucun doute la romance sans retour entre Simon et Alisha, deux personnages qui, on l’aurait juré, étaient si diamétralement opposés qu’ils n’avaient rien à faire ensemble. Et pourtant, le temps faisant son œuvre, et du fait d’un subtil jeu de bonds temporels, de sauvetages in extremis et de petits pas esquissés, leur histoire d’amour presque uniquement suggérée a atteint des sommets de finesse et d’audace. Son issue à la fois tragique et terriblement romantique a fait palpiter le cœur de bien des fans. 

Le Club des cinq se reforme

Il est bien sûr impossible de ne pas mentionner les changements de casting, dûs aux nombreux départs au fil des saisons : tout d’abord Nathan, qui s’était imposé comme le personnage préféré des spectateurs, suivi évidemment de celui combiné de Simon et d’Alisha, laissant Curtis seul survivant du casting d’origine.

Ces départs ont obligé la production à introduire de nouveaux personnages suscitant un moindre engouement. Nathan a été remplacé par Rudy, un trublion à l’humour crasse qui apparaît comme sa copie conforme. Jouant encore plus sur la vulgarité, il peine cependant à faire oublier son prédécesseur. Seul point positif : son pouvoir particulièrement inspiré. Atteint de troubles identitaires, il peut se dédoubler (littéralement !) en des entités distinctes. Joseph Gilgun s’en donne par ailleurs à cœur joie, et nous offre quelques moments jubilatoires.

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La crédibilité n’ayant pour autant jamais été la préoccupation des scénaristes, les intrigues des dernières saisons font peine à voir et le manque d’inspiration cruellement sentir. Bientôt, à l’équipe de Curtis et Rudy s’ajoutent de nouveaux protagonistes : Finn, Jess et Alex (et plus tard, Abbey). L’ennui, c’est que Jess est en quelque sorte le double de Kelly, et que Finn est aussi timide que le Simon des débuts.

Plutôt que d’engager un nouveau départ, les scénaristes nous servent les mêmes profils, et la série se met à tourner en rond. Même si ceux-ci bénéficient de plus de place pour s’exprimer — Rudy n’étant pas aussi imposant que Nathan –, à quelques exceptions près, ils ne sont pas malheureusement pas servis par de bonnes storylines.

– What if we are meant to be, like, superheroes ? (“Et si on était censés jouer les super-héros ?”)

– No, that kind of thing only happens in America. This will fade away. I’m telling you, by this time next week, it’ll be back to the same old boring shit. (“- Nan, ce genre de truc n’arrive qu’en Amérique. Nos pouvoirs vont disparaître. Je vous le dis, la semaine prochaine tout sera redevenu aussi chiant qu’avant.”)

Au cours de la saison 4, suite à un départ précipité de Kelly (Lauren Socha ayant des démêlés avec la justice), Curtis (Nathan Stewart-Jarrett) quitte lui aussi la série, à la surprise générale des téléspectateurs. Sa chute, joliment orchestrée, est une ode à la carrière de coureur qu’il n’aura jamais pu vivre. Finalement, la série se termine avec un manque de moyens évident, entraînant des effets spéciaux bas de gamme. Tristesse.

La scène culte : “We were sooooo beautiful !”

Avant de jouer un medium dans The Umbrella Academy, Robert Sheehan a perfectionné l’extravagance revendicative sous les traits de Nathan Young. Quand on pense à sa petite bouille échevelée, toute une panoplie de sobriquets affectueux et de répliques cultes vient en tête : “Melon-fucker !”, “Save me Barry !”.

Poumon comique et énergétique de la série, Nathan est un électron libre provocateur, au manque de tact flagrant et qui s’amuse à déverser moqueries et sarcasme sur les autres. Pourtant, il est le premier à essayer de créer un lien avec eux (Simon mis à part) et semble ravi de traîner avec d’autres paumés comme lui.

Seul personnage à avoir été frappé par la foudre et à se retrouver sans pouvoir (ce qui l’énerve prodigieusement), il s’applique à trouver sa place autrement, en mettant son esprit vif, ses remarques lubriques et ses déductions excentriques au service des quatre autres, avec qui il entretient une relation quelque peu antagonique.

Dans le final de la première saison, une organisation s’apparentant à une secte prend possession de leurs esprits afin de les rendre dociles et vertueux. Dans un sursaut désespéré, Nathan réussit à s’y infiltrer, et prend en otage l’instigatrice du mouvement qu’il amène sur le toit. La menaçant d’un pistolet à eau, il se lance alors dans un plaidoyer enlevé et passionné sur le pouvoir de l’individualité… comme il la voit.

Un discours qui a résonné chez beaucoup de jeunes britanniques de la working class à l’époque, laissés-pour-compte et mis au ban d’une société qui avance sans eux.

“Nous sommes jeunes, nous sommes censés trop boire, mal nous comporter et baiser les uns avec les autres. Nous sommes nés pour faire la fête. Nous le devons à nous-même, nous nous le devons les uns aux autres. C’est tout. Oui, certains mourront d’overdose ou deviendront fous. Mais Charles Darwin a dit : ‘On ne peut pas faire d’omelette sans casser d’œufs.’ Voilà de quoi il s’agit ! On casse des œufs. Et je parle bien sûr de se défoncer le crâne avec de la bonne. […] On avait tout. On a tout foiré, et encore mieux que les générations avant nous. Nous étions si magnifiques…”

La mort accidentelle de Nathan lui permettra alors de se découvrir un pouvoir d’immortalité… en se réveillant dans son cercueil avec pour seule distraction son iPod. Un-fucking-believable.

Les héritiers

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La comédie The Aliens, portée par Michael Socha (frère de), est centrée sur un héros qui déteste les aliens jusqu’à ce qu’il se rende compte qu’il en est à moitié un… La série, qui s’était annoncée comme une digne héritière de Misfits, n’a finalement pas été renouvelée.

On pense aussi à Crazyhead, une comédie horrifique de courte durée, elle aussi créée par Howard Overman. Elle raconte l’histoire de jeunes adultes qui ont le pouvoir de voir des démons, et tentent malgré tout d’installer un semblant de normalité dans une vie qui a vrillé. Mais ces deux séries n’ont pas atteint leur seconde saison.

Pour sa part, Misfits entend bien rester à l’antenne avec la récente annonce d’un remake à la sauce américaine emmené par Diane Ruggiero et Josh Schwartz, respectivement producteurs et scénaristes pour iZombie et Gossip Girl. Réussiront-ils à transformer l’essai ? Le pari est lancé.

En France, les cinq saisons de Misfits sont disponibles en intégralité sur Netflix.