Cunnilingus et sang menstruel : Alexandra Rubinstein défie la sexualisation des femmes dans l’art

Cunnilingus et sang menstruel : Alexandra Rubinstein défie la sexualisation des femmes dans l’art

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© Alexandra Rubinstein

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Par Lise Lanot

Publié le

"Je veux des cunnis pendant les règles pour tout le monde." Rencontre avec la peintre qui renverse les représentations et infuse ses œuvres de son sang menstruel.

Avertissement : vous allez voir des pénis, des vulves et du sang dans cet article.

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C’est contre une histoire de l’art remplie de femmes nues peintes par des hommes et jamais le contraire qu’Alexandra Rubinstein a décidé de s’élever. Avec son travail, elle prend le contre-pied d’une histoire de la représentation des corps et de la sexualité qui soumet et objectifie les corps féminins. Au fil de ses années de pratique artistique et de ses prises de conscience, elle a imaginé des séries d’œuvres qui lui permettent de reprendre le contrôle d’un récit déséquilibré. Depuis l’autre côté de l’Atlantique, l’artiste a répondu à nos questions : on a discuté de ses peintures de célébrités lui léchant la vulve, de ses toiles réalisées avec son propre sang menstruel et des représentations de la nudité des femmes.

Konbini | Bonjour Alexandra ! Tu peux nous raconter pourquoi tu t’es mise à peindre des nus ?

Alexandra Rubinstein | Mon travail a toujours été figuratif. J’y explore les intersections du genre et du pouvoir de façons variées. Ayant grandi en tant que femme cisgenre et immigrée russe [aux États-Unis, ndlr], j’ai vécu les toxicités de deux cultures qui sexualisent les jeunes filles et nous assignent notre valeur selon notre jeunesse et notre apparence. Quand on décide d’utiliser ce prétendu “pouvoir” conféré par notre jeunesse et notre “beauté”, on nous humilie et on nous culpabilise. C’est un moyen de contrôle de la culture occidentale.

Alexandra Rubinstein, The Moon Also Rises 1.

“Je représente des nudités masculines dans mon travail pour souligner ces injustices”

Nos institutions artistiques sont remplies d’images de filles et femmes nues. C’est accepté ou rationalisé, sans jamais que ne soient interrogées les conséquences de l’objectification continue des corps des femmes et les dynamiques de pouvoir à l’œuvre derrière ce genre de représentations. La beauté est féminisée et acceptée comme telle, sans qu’on reconnaisse les effets d’une telle étroitesse d’esprit. C’est une idée faussée du pouvoir qui nous soumet, nous occupe et nous distrait.

Je représente des nudités masculines dans mon travail pour souligner ces injustices et parler de masculinité, sachant que la masculinité est souvent définie en opposition à ce qu’elle ne serait pas, à savoir la féminité. Dans certaines de mes œuvres, j’utilise la nudité pour parler de fragilités et d’insécurités masculines ; dans d’autres, je m’attaque à leur vulnérabilité. En peignant des corps glorifiés parce qu’athlétiques, je veux montrer la force physique comme une représentation belle mais inutile de la force.

Alexandra Rubinstein, Don’t Worry About Anything They Said, 2020.

“Tout contenu sexuel était accompagné de nudité féminine, mais jamais de plaisir féminin”

Tu te souviens de la première fois que tu as vu des nus représentés et ce que cela t’a fait ressentir ?

Un de mes premiers souvenirs est lié à un jeu sur ordinateur. En bougeant des pions, on découvrait des images cachées, qui finissaient toujours par montrer une femme nue sexualisée. La plupart des nus dont je me souviens concernent des femmes. Tout contenu sexuel était accompagné de nudité féminine, mais jamais de plaisir féminin. Et évidemment, la grande majorité de ces femmes étaient jeunes, minces et blanches. Ça a fait naître en moi des aspirations complètement irréalistes et un trouble du comportement alimentaire mais, surtout, ça m’a persuadée que c’était ça, le pouvoir. J’ai mis des années à me rendre compte de tout le temps et l’énergie que d’autres femmes et moi-même avions perdu à essayer d’accumuler ce “pouvoir”.

Comment as-tu souhaité te réapproprier l’histoire du nu ?

Au début, je voulais m’approprier ma propre sexualité dans mes œuvres : affirmer que ma sexualité était pour moi, selon mes conditions et qu’elle allait mettre mal à l’aise. Mais au bout d’un moment, j’ai compris qu’exprimer cette rébellion à travers un corps féminin, le mien, ne faisait que me minimiser et perpétuait cette objectification de la forme féminine. Utiliser la forme et les parties génitales masculines dans mon travail déplace le curseur vers le rôle des hommes dans la création de ce système vicieux et permet de se rebeller contre les constructions traditionnelles de la féminité.

Alexandra Rubinstein, Manxious, 2022.

“Au début, je voulais m’approprier ma propre sexualité dans mes œuvres”

Pourquoi montres-tu des hommes célèbres en train de faire des cunnilingus ?

C’est une série qui date de 2015 à 2018. Ça a commencé comme une volonté de représenter le désir féminin hétérosexuel de ma perspective – des gars sexy qui me lèchent – et ça a évolué vers l’idée plus large de ce que veulent les femmes – des hommes en position de pouvoir qui utilisent bien ce dernier. Je représente des tombeurs, des musiciens, des politiques et des figures religieuses.

Quand et comment as-tu eu l’idée d’utiliser ton sang menstruel dans tes œuvres ?

J’ai commencé à expérimenter avec mon sang menstruel pendant la pandémie. Mon copain de l’époque n’était pas très à l’aise avec les règles et j’ai pris ça comme un défi personnel. Comment peut-on être mal à l’aise ou dégoûté par quelque chose de si naturel et intrinsèquement lié à l’expérience des femmes cisgenres ? Comment ça, tu crois pouvoir choisir de quels aspects de ma jeunesse et de mes organes reproducteurs tu veux profiter ? S’il ne voulait pas me faire de cunni pendant mes règles (avec une coupe menstruelle), il y en a d’autres qui l’acceptent.

Alexandra Rubinstein, Second Voming, 2019.

“La biologie féminine a toujours été utilisée pour rationaliser l’oppression subie par les femmes”

Le sexe oral pendant les règles mis de côté, la biologie féminine a toujours été utilisée pour rationaliser l’oppression subie par les femmes. En 2022, la Cour suprême des États-Unis a renversé cinquante années de précédents concernant le droit à l’avortement et des millions de femmes vivent actuellement sans accès sécurisé aux soins génésiques. Au même moment, certaines de mes amies commençaient à avoir des enfants et se rendaient compte de toutes les façons dont notre système rend la grossesse, l’accouchement et l’éducation des enfants inaccessibles, hors de prix, dangereux et traumatisants.

Pourquoi veux-tu infuser tes œuvres de ton sang ?

Grâce à sa connotation et son approvisionnement limité, mon sang menstruel me permet d’explorer ces problématiques sociopolitiques liées à la menstruation, à la création et au pouvoir tout en amenant le public à se confronter directement à ce fluide marginalisé. Créer de belles images avec ce sang défie également les croyances patriarcales qui voudraient que les menstruations soient sales et honteuses.

Alexandra Rubinstein, Bloody Baby, 2023.

“Mon sang menstruel me permet d’explorer ces problématiques sociopolitiques liées à la menstruation, à la création et au pouvoir tout en amenant le public à se confronter directement à ce fluide marginalisé”

Que souhaites-tu transmettre avec ton travail ?

Je veux changer les façons dont on considère les genres, le pouvoir, la beauté et réexaminer la façon dont on comprend l’histoire. Je veux défier les bases de la culture occidentale – dont l’art, la religion et la mythologie – et arrêter de donner du crédit à des dieux masculins pour nous avoir donné la vie sans pour autant offrir aux femmes le soutien systémique dont elles ont besoin. Et je veux des cunnis pendant les règles pour tout le monde.

Vois-tu une évolution dans la façon dont ton travail est reçu ? Une évolution dans la façon dont le nu est perçu dans la culture populaire ?

Je pense que, ces dernières années, il y a eu un bouleversement énorme dans la façon dont les corps et les identités de genre sont représentés. Cela a élargi les types de nus qu’on voit dans l’art et les médias. Je pense que c’est génial et crucial de normaliser la diversité et de combattre la binarité des genres. Cependant, ma préoccupation principale concerne le fait qu’on continue d’utiliser le même cadre genré qui féminise la beauté et la nudité, et que les femmes n’acquièrent toujours pas de pouvoir réel et tangible.

Alexandra Rubinstein, Sans titre, 2022.

Alexandra Rubinstein, Bloody Mary, 2023.

Alexandra Rubinstein, I’d Rather Sink Than Call Brad for Help #3, 2023.

Alexandra Rubinstein, Is There Head On Mars, 2018.

Alexandra Rubinstein, The Venus Trap, 2023.

Vous pouvez retrouver le travail d’Alexandra Rubinstein sur son compte Instagram et sur son site.