Websérie : “La Bande du skatepark”, une ode touchante à l’insouciance et à la liberté

Websérie : “La Bande du skatepark”, une ode touchante à l’insouciance et à la liberté

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Par Naomi Clément

Publié le

Pour son nouveau projet, la réalisatrice française Marion Gervais a plongé dans l’intimité d’une bande de jeunes skateurs insouciants. Entretien avec celle qui a fait des rêves et de la liberté son cheval de bataille.

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Lorsqu’on associe les mots “skate” et “vidéo”, on s’imagine instantanément un film dans lequel s’enchaînent sur le bitume kickflips et ollies, le tout rythmé par un bon gros morceau de hip-hop. Mais La Bande du skatepark, le nouveau projet de Marion Gervais, produit par Quark Productions, est tout autre. D’ailleurs, si votre amour pour le skate est né sur les routes de campagne, loin du fracas de la ville, peut-être vous y reconnaîtrez-vous.

Pendant dix mois, la réalisatrice a suivi Enzo, Liam, Pierrot, Ben, Orso, Glen et Louis, sept ados âgés de 12 à 16 ans, et qui vivent dans le petit village de Saint-Suliac, près de Saint-Malo en Bretagne. Ils sont “la bande du skatepark”, et tuent chaque jour l’ennui à coups de virée en skate, d’imagination – et de rêves, surtout.

Comme dans son premier film, Anaïs s’en va-t-en guerre, Marion Gervais a ici souhaité mettre la lumière sur l’intériorité des êtres et la soif de liberté de chacun. Enthousiaste et enjouée, elle nous a conté avec passion son épopée avec ses “p’tits gars“, comme elle aime à les nommer, de la campagne bretonne à la lumineuse Barcelone.

“Le skate est un outil d’affirmation de cette liberté”

Konbini | Comment est née La Bande du skatepark ?

Marion Gervais | J’avance dans la vie comme dans mes films : à l’instinct, donc ce sont mes rencontres qui déterminent à la fois ma vie et mes films. Je connaissais quatre de ces petits gars depuis bien longtemps, que j’ai rencontrés dans mon village en Bretagne, Saint-Suliac.

Ça faisait un an et demi que je les voyais grandir, et je me suis demandé “quels hommes deviendront-ils ?”. Ça m’a émue d’avoir cette pensée. Et puis je voyais qu’ils entamaient un passage de leur vie correspondant à une affirmation de leur personnalité, et à une puissance de liberté très forte – qui finit souvent par s’atténuer avec le conditionnement, l’éducation, les codes et tout ce bazar…

Avec eux, j’étais dans une puissance de vie incroyable. Ils étaient impétueux, malicieux, ils découvraient, faisaient toutes les conneries de la terre… Je les ai trouvés très, très libres. Et donc j’ai illico pris ma caméra (rires).

Finalement, ce sont ces jeunes hommes qui vous ont inspirée, pas le skate ?

Exactement. Je n’ai pas fait ce film parce que j’aime le skate, mais parce que je les aime eux. Un des thèmes chers à mes films et à ma vie, c’est le fait d’être libre, et je crois que le skate est un outil d’affirmation de cette liberté, une métaphore de la liberté, surtout quand ils me disent : “Quand je skate, je vole, je suis libre, j’oublie tout“.

J’aime les personnes qui pratiquent la glisse parce qu’ils sont dans une quête, ils cherchent quelque chose de plus grand que la vie, et ils ont un rapport aux sensations qui me touchent et que je pige bien. Donc mes p’tits gars les deux pieds sur un skate, c’était merveilleux.

Et puis c’est très beau le skate ! Quand ils dévalent la pente, et que l’on voit d’un côté la mer et de l’autre la campagne, avec le coucher du soleil, le crissement des roulements à billes, leurs cheveux longs (rires)… C’était un tout.

“Je me retrouvais embarquée dans des histoires pas possibles, à filmer des braquages de déchetterie !”

Les films de skate classiques nécessitent souvent une réalisation assez technique. Ce n’est pas du tout l’approche que vous avez souhaitée dans votre réalisation ?

Ah ouais, non, moi je ne suis pas du tout dans la technique, je ne fonctionne qu’à l’instinct. Donc je me faisais ma tambouille, j’étais dans le coffre d’un camion, on me tractait… je trouvais mes trucs, je voulais filmer comme je suis. Quand je filme c’est comme une danse, je ne voulais absolument pas mettre d’images performantes.

On dirait que vous avez simplement posé votre caméra au milieu de cette bande, et laissé tourner. Tout paraît très naturel et réel, dans les dialogues notamment. Vous n’avez rien écrit ?

Ah non, surtout pas, les dialogues ne sont pas écrits (elle s’insurge presque, en riant) ! C’est ma manière de filmer. Je suis tellement dans l’intime avec mes p’tits gars… J’étais la filmeuse et à aucun moment je n’ai pris la position de l’adulte morale, sanctionnante. Ils pouvaient tout faire, et ils m’ont ouvert leurs portes. Je faisais partie des leurs – je fais partie des leurs – et je suis devenue leur amie, leur alliée, leur confidente. Il n’y a aucune trahison, un respect absolu, je n’intervenais pas.

La seule chose que j’avais imposée au début c’est qu’il n’y ait pas de violence, ni vis-à-vis d’eux-mêmes ni vis-à-vis des autres. Et puis après on a navigué sur un fil. Ils avaient tendance à toujours repousser les limites, je me retrouvais embarquée dans des histoires pas possibles, à filmer des braquages de déchetterie (rires) ! Par moment c’était chaud, je n’avais que mon instinct pour me dire : “Bon là stop, ça va un peu trop loin.” Mais ça l’a fait (rires).

“Il y en a certains qui replongent dans cet espèce d’état d’insouciance”

Comment ont-ils réagi en découvrant le résultat ?

Je les ai filmés pendant dix mois, puis avec mon monteur, Ronan Sinquin, on a monté pendant deux mois. On avait notre salle de montage et les gars débarquaient pour voir leur épisode, voir ce qui se tramait. Tout a été imbriqué, ils font partie de mon film mais aussi de ma vie.

Évidemment ils avaient peur au collège des réactions, qu’on se moque d’eux. Donc j’ai eu une réunion avec eux pour leur parler, je leur ai dit : “Mais soyez fiers les gars, vous êtes beaux, regardez-vous, écoutez-vous ! Ce sens de l’amitié, de la liberté, toujours chercher plus loin… vous êtes bons.”  Je leur ai dit qu’ils étaient des petits princes pour moi, mes héros, et donc il n’y avait absolument rien qui puisse les heurter.

Et leurs parents ?

Ce qui était bien c’est qu’ils connaissaient tous Anaïs s’en va-t-en guerre, donc ils avaient déjà vu mon cinéma et cette manière très respectueuse que j’ai de filmer les gens que j’aime. Et puis j’en connaissais certains, donc la confiance était là. Mais je les ai vraiment tenus à distance, je ne voulais pas qu’ils mettent leur nez dans nos affaires. À partir du moment où on fait confiance à quelqu’un, on le laisse libre. C’est la base pour tout : des films, de la vie, de tout (rires) ! Ils ont été supers et très heureux. Ils voyaient leurs gars qui vivaient une expérience incroyable, et ils sont très très heureux des épisodes.

Aujourd’hui, avec La Bande du Skatepark, j’ai plein de petits skateurs, des garçons comme des filles, qui m’écrivent. On m’envoie des vidéos, on me demande des conseils, trop mignons (rires) ! Je prends un temps fou à bien leur répondre, ça me touche. Il y a vraiment des gens de tout âge qui regardent, et qui sont émus. Il y en a certains qui replongent dans cet espèce d’état d’insouciance, de fraîcheur et du monde des possibles.

Un long métrage dans les rues de Barcelone

Allez-vous faire une saison 2 ?

En fait, je rentre à nouveau en montage pendant deux mois, en janvier et février, avec les mêmes personnages. Je vais faire un film. Je voulais d’ailleurs faire un film à la base, parce que l’écriture sur du long permet de rentrer en profondeur, de prendre du temps – là c’était quand même difficile comme travail, découper les épisodes etc. – mais je suis très heureuse de cette expérience, c’était passionnant !

Dans La Bande du skatepark, les gars ont un rêve, c’est d’aller à Barcelone : ce sera l’objet de ce film. On les voit d’ailleurs décoller dans le huitième épisode, dans l’avion – que j’ai pris avec eux. Le film s’appellera La Belle Vie.

Vous avez réalisé leur rêve, quelque part ?

C’est eux qui l’ont réalisé ! Moi je leur ai permis, je les ai aidés, on a fait ça ensemble. C’est extraordinaire d’avoir une idée, une envie, un rêve, de s’échapper, quitter la campagne, la bouse et les bouseux, et puis d’aller vers la grande ville, les lumières, le skate libre… Ils débarquent à Barcelone, ils skatent jour et nuit et moi je les filme, dans les rues, avec les lumières, marcher, skater…

On est allé dans tous les lieux cultes, et moi je leur courais après avec ma caméra (rires). Et puis là c’était vraiment du live ! Autant parfois, quand je veux qu’ils me parlent de certaines choses, je mets un cadre ; autant là c’était du live live live (rires) !

En attendant de découvrir La Belle Vie, les épisodes 5 et 6 de La Bande du skatepark sont à découvrir sur SomaSkate. Les épisodes 7 et 8 seront prochainement mis en ligne.