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Cette veste connectée peut ressentir le son

Cette veste connectée peut ressentir le son

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Par Thibault Prévost

Publié le

Une veste qui permet aux sourds d’entendre à nouveau en traduisant le son en vibrations : c’est l’invention, présentée lors d’une conférence TED le mois dernier, du neuroscientifique David Eagleman. Un dispositif qui confirme la faisabilité d’un vieux rêve scientifique, jusque-là réservé à la science-fiction : la création de l’humain augmenté.
Qu’est-ce que la réalité ? À cette question, posée au hasard dans la rue en revenant du boulot, nous serions instinctivement tentés de répondre ceci : la réalité, c’est ce que je perçois. L’ouïe, la vue, l’odorat, le goût, le toucher : avec cinq sens bien développés, on pourrait penser l’homo sapiens sapiens bien armé pour se faire une idée précise de son environnement.
Il n’en est rien. Malgré notre polyvalence, nous sommes encore très loin  de pouvoir voir comme la crevette-mante, sentir comme l’éléphant ou tout simplement, comme la plupart des animaux, de percevoir les champs magnétiques, et notre expérience quotidienne du monde s’en ressent.
La vue et l’audition humaine ne couvrent ainsi qu’une portion infime du spectre électromagnétique, qui influe pourtant en permanence, et très concrètement, sur notre corps. Imaginons par exemple que nos yeux puissent détecter les rayons UV : c’est bien simple, plus personne n’aurait de coup de soleil. Ou que nous puissions, par exemple, communiquer par ultrasons, à la manière des dauphins. Les conférences de rédaction seraient beaucoup plus marrantes.

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Des vibrations pour “ressentir” le son

David Eagleman est neuroscientifique. En mars dernier, il a été invité à donner une conférence TED pour y présenter son invention, le VEST, un vêtement qui permet aux sourds de compenser la perte d’audition “en la remplaçant par un nouveau sens”. Dans un premier temps, le VEST est connecté par Bluetooth à un smartphone ou une tablette munie d’un micro.
Les sons captés sont ensuite transmis au vêtement qui, grâce à un réseau de transducteurs (un appareil qui convertit les signaux en vibrations), retranscrit l’environnement sonore en séries de vibrations, permettant à un individu de “ressentir” le son dans son dos. Les motifs de vibrations ressentis par le porteur du dispositif correspondent aux différentes fréquences audibles. Comme le précise Eagleman, il ne s’agit pas là d’un code comparable au morse ou, pour les aveugles, au braille, mais d’une véritable “représentation” du son.
Et c’est là que réside la nouveauté.

La conception du prototype part en effet d’une approche radicalement originale : plutôt que d’assigner un code pour chaque mot et chaque intonation, ce qui aurait été quasi-impossible à programmer, Eagleman et son équipe ont pris le problème dans l’autre sens. Leur appareil est simplement conçu pour transformer les fréquences en vibrations; la partie la plus complexe du travail, le traitement des données, est effectuée empiriquement par le cerveau. Plutôt que de chercher à remplacer le sens perdu, Eagleman a décidé d’en créer un, en fournissant au cerveau un nouveau capteur. A lui ensuite d’apprendre comment s’en servir.

Le cerveau, cette machine à décoder

Pour l’instant, cela semble fonctionner : après avoir porté le prototype pendant cinq jours, le sujet sourd de l’équipe d’Eagleman a commencé à comprendre ce que les autres lui disaient grâce aux vibrations, car “son cerveau a commencé à décoder les données”, selon le chercheur. En soi, le cerveau n’est rien d’autre qu’une extraordinaire machine à “comprendre”, comparable en cela à un processeur d’ordinateur.
De la même façon, si vous vous retrouviez bloqué dans une pièce avec plusieurs personnes parlant uniquement une langue totalement étrangère à la votre, il est probable que vous parveniez à comprendre le sens de certains mots, voire d’identifier une partie de la grammaire, au bout de quelques jours. Le processus est exponentiel : plus votre cerveau recevra de données sur cette langue, plus il parviendra facilement à la décoder.
Cette incroyable capacité de décodage n’est pour le moment pas comprise des neuroscientifiques. “Vous pouvez prendre n’importe quel flux de données, le cerveau parviendra à s’en sortir. Je considère que c’est là le plus grand miracle“, s’étonne Eagleman. En attendant, cette approche dite de substitution sensorielle ouvre de fabuleuses possibilités, parmi lesquelles la création de nouveaux sens et, plus largement, l'”amélioration” du corps humain. Une philosophie partagée par de nombreux chercheurs autour du monde.

L’humain augmenté, une réalité

Au crépuscule du millénaire, profitant de la convergence des nanotechnologies, de la biologie, de l’informatique et des sciences cognitives (NBIC), nombreux sont ceux qui ont tenté avec succès d’étendre l’umwelt (le “monde sensoriel”) humain, grâce notamment à l’ajout d’implants permettant d’étendre et d’améliorer nos capacités. Des super-pouvoirs, ni plus ni moins.
Ainsi des transhumanistes, qui considèrent le corps comme une machine que chacun serait libre de “hacker”, s’implantent des aimants dans les doigts et se dotent de vision nocturne. Ou de  Neil Harbisson, le premier “cyborg” officiel de l’humanité dont le dispositif, qui traduit les fréquences lumineuses en ondes sonores, lui permet d’ “écouter” les couleurs. Loin de ses racines DIY et des biohackers tripotant des puces électroniques dans leur garage, l’amélioration des capacités humaines est devenue un enjeu économique majeur pour les décennies à venir, et l’ “humain augmenté” quitte lentement les pages des romans de SF pour venir s’étaler dans celles des revues scientifiques.