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Voyager aux États-Unis, c’est renoncer à sa vie privée

Voyager aux États-Unis, c’est renoncer à sa vie privée

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Par Thibault Prévost

Publié le

Quoi que vous ferez, vous serez une menace potentielle

Parmi ces trois cas de figure, le plus problématique est évidemment le troisième, qui engage la subjectivité de l’agent de police aux frontières dans un processus de sélection totalement arbitraire… ou presque. Car en 2007,  l’Agence de sécurité dans les transports américaine a bien transmis aux agents une checklist, le programme SPOT, permettant, en théorie, de distinguer un potentiel terroriste d’un banal touriste grâce à des “signes” dans son comportement, signes qui vous envoient ensuite directement à la case “fouille”.
Grâce à The Intercept, qui s’est procuré cette liste de comportements suspects, on sait désormais que bailler trop souvent, se racler la gorge, se plaindre des contrôles trop longs, être rasé de frais, siffloter, avoir les yeux grands ouverts ou, à l’inverse, regarder ses pompes dans une file d’attente trahit une volonté de compromettre la sécurité du territoire américain. En tout, cette liste comprend 92 points, divisés en plusieurs catégories. Autant dire que si l’agent en face de vous veut trouver une bonne raison de vous fouiller, il n’aura pas vraiment à se fouler.
Une fois accompagné par votre nouveau meilleur ami dans une salle exiguë éclairée au néon (bon, d’accord, peut-être pas), vous taillerez le bout de gras avec, au choix, un agent de police aux frontières ou un officier des Douanes et de l’Immigration. C’est alors que ceux-ci pourront examiner le contenu de votre téléphone, tablette ou ordinateur portable à loisir et copier vos données sans vous en informer. Le document précise : “aucun reçu ne sera donné au voyageur si le contenu de ses appareils est conservé pour inspection, mais l’appareil lui sera rendu”. Quand même. Et les mots de passe dans tout ça, me direz-vous? Sur ce point, le document reste assez évasif: s’il rien n’indique votre l’obligation à transmettre la combinaison aux autorités, il est quand même précisé que “les agents pourront demander une assistance technique, incluant une traduction ou un déchiffrement”. Sachant qu’il suffit d’une clé USB pour accéder à un ordinateur sans entrer de mot de passe…

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Un ordinateur n’est pas un porte-documents

Dans ce document, la loi américaine confirme qu’elle considère les appareils électroniques au même titre que les effets personnels que vous transportez lors de votre voyage. Et c’est là tout le problème. Comme le dit Motherboard, “un ordinateur portable n’est pas un attaché-case”, en ce qu’il contient infiniment plus d’informations sur la vie d’une personne que les quelques documents contenus dans une pochette.
En conférant à ses agences douanières le droit de saisir, conserver et examiner un appareil électronique de la même façon qu’un sac à dos, les législateurs américains ont par la même considérablement augmenté leur pouvoir de surveillance et de fichage individuel, bien plus – et c’est paradoxal – qu’à l’intérieur du pays.
Les premiers visés sont évidemment les journalistes, dont les données sensibles peuvent être (et sont déjà) interceptées et dévoilées sans motif préalable, mais les touristes doivent également en avoir conscience. Pour reprendre la métaphore de John Oliver au sujet de la vie privée, dites-vous que si vous prévoyez un voyage aux États-Unis avec votre ordinateur, l’affable douanier que vous avez devant vous sera peut-être en train de consulter vos photos et vidéos intimes – pourtant si soigneusement cachées dans votre disque dur – dans quelques minutes, sans que vous puissiez y faire quoi que ce soit. Et que cela n’est pas prêt de changer.
Publié le 10 avril 2015, modifié le 13 avril 2015.