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La Thaïlande connaît une pénurie de vêtements noirs, obligatoires pendant le deuil national

La Thaïlande connaît une pénurie de vêtements noirs, obligatoires pendant le deuil national

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Pendant la procession funéraire du roi Rama IX… (© YouTube)

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Par Théo Mercadier

Publié le

La 13 octobre dernier s’éteignait le roi Bhumibol Adulyadej après soixante-dix ans de règne. Le “père de la nation”, figure de stabilité dans un pays profondément divisé et sujet à de nombreuses crises politiques, laisse derrière lui un pays en deuil, tout de noir vêtu. 

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Un an, c’est la période pour laquelle les Thaïlandais sont tenus de respecter le deuil national après la mort du roi Rama IX. Alors que des milices citoyennes traquent  (à la demande du gouvernement) les personnes “non respectueuses” de la mémoire du roi, la population s’habille de noir et de blanc. Sans surprise, de nombreux commerçants tentent de profiter de la situation et n’hésitent pas à multiplier le prix des habits de deuil par deux, alors que la pénurie s’installe dans certaines régions.

Face à la situation, le gouvernement a décidé de sévir et menace les profiteurs d’une peine pouvant aller jusqu’à sept ans d’emprisonnement et une amende 140 000 baths (environ 3 670 euros), une fortune au vu du salaire moyen thaïlandais (350 euros). Malgré tout, un T-shirt noir tout ce qu’il y a de plus basique qui coûtait auparavant l’équivalent de 3 euros s’arrache maintenant pour 12. Un somme que les plus pauvres sont en incapacité de sortir, au risque de s’exposer à la vindicte populaire… Autre initiative gouvernementale : la mise en place de centres de teinture, où le citoyen lambda peut aller tremper gratuitement sa garde-robe dans des vasques remplies de colorant noir.

Heurts en pleine rue

Depuis la mort du roi, de nombreuses vidéos pullulent sur le Net et montrent des scènes assez hallucinantes. Par exemple, des gens sont forcés de se prosterner pour s’excuser d’avoir été irrespectueux envers le roi (une application très stricte de la loi sur le crime de lèse-majesté, la “loi 112”). Sur celle-ci, relayée par Ouest-France, on peut voir une vieille dame se faire tout simplement gifler en pleine rue pour avoir porté une robe bleu ciel et réagi de manière “insultante” aux remarques qui lui étaient faites. La gifleuse, elle, lui hurle : “Je te suis depuis Yaowarat (un autre quartier de la ville), tu vas aller en prison.” Cette scène, loin d’être un cas isolé, est représentative de l’ambiance qui règne dans un pays où la délation est devenue un sport national, largement encouragée par les pouvoirs publics.

Mais pourquoi une tel dévotion du peuple pour son roi ? Mireille Boisson, coordinatrice pour l’Asie du Sud d’Amnesty International, explique à RFI que “la population approuve et adore son roi comme facteur d’unité, alors que les partis, et même les militaires, sont divisés”. Trois autres éléments ont contribué à renforcer son image : une propagande orchestrée par l’armée, un bouddhisme affiché qui lui permet de bénéficier d’une aura religieuse et un culte de la personnalité nationaliste présent dès les premiers manuels scolaires. L’image du roi demi-dieu a donc accompagné les Thaïlandais tout au long de leur vie et le déchirement est d’autant plus intense que la succession est loin d’être assurée.

En principe, c’est le fils du roi, le prince Maha Vajiralongkorn, qui doit monter sur le trône, mais celui-ci a demandé un délai d’un an avant de commencer son règne, une situation incertaine qui trouble une grande partie de la population thaïlandaise. En attendant, la régence a été confiée à un conseiller du roi… âgé de 96 ans.

“On est les seuls à être habillés en couleurs”

Delphine, touriste française de 26 ans, nous a un peu raconté l’ambiance qui règne dans le pays :

“À Bangkok, la population est très attachée à la famille royale, au roi en particulier, et ça se voit énormément. Quasiment l’intégralité des Thaïlandais porte des vêtements aux couleurs du deuil, on ne trouve plus que ça dans les magasins. Tous les bâtiments publics sont ornés de draps noirs et blancs.

En revanche dans le nord du pays, les habitants sont moins attachés à la monarchie. On m’a expliqué que c’était dû à l’histoire du pays, cette région ayant été rattachée plus tardivement à la Thaïlande. Peu de gens y portent un deuil strict : c’est plutôt un ruban noir, ou rien du tout et les vêtements habituels”.

La période de deuil a également inquiété à l’international, pour une tout autre raison. Dès la mort du roi, les réseaux sociaux se sont enflammés à l’annonce de la fermeture des boîtes et bars de nuit, principales attractions pour les jeunes touristes.

Thibault, 25 ans, relativise : “Je devais sortir en boîte le lendemain de la mort du roi mais j’ai dû annuler car la plupart ont fermé au moins une semaine pour le deuil (aucune n’était obligée de le faire), en vrai ça ne nous a pas dérangé plus que ça. Maintenant tout est open !”. Tout de même, la Full Moon du 17 octobre a été annulée.

Et les habits ? Maé, 23 ans, raconte :

“On essaie de s’y plier un peu, soit en foncé soit en blanc. Ici les touristes comme nous se crament à 10 kilomètres, on est les seuls à être habillés en couleurs. Ça la fout mal en se baladant dans les temples avec tous les Thaïlandais vêtus en noir ou blanc”.