Témoignages : comment de jeunes Français expatriés à Londres vivent le Brexit

Témoignages : comment de jeunes Français expatriés à Londres vivent le Brexit

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Les poupées russes

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Par Rachid Majdoub

Publié le

Entre déception et craintes, de jeunes Français expatriés à Londres ou au lien fort avec l’Angleterre nous ont, à chaud, fait part de leurs émotions. 

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Clap de fin. Après 43 années de relation avec l’UE, le Royaume-Uni a décidé de se séparer de l’Europe des 28.

Alors que les sondages ne les donnaient pas gagnants, les électeurs favorables au Brexit ont été près de 52 % à bousculer un référendum historique, faisant de leur nation la première de l’histoire à quitter l’Union européenne (si l’on ne compte pas le cas particulier du Groenland).

David Cameron, Premier ministre britannique, a annoncé sa démission dans la foulée. Et ce n’est pas la seule conséquence immédiate. La livre sterling a chuté. La fin de l’assurance maladie pour les expatriés britanniques devrait probablement prendre fin. Et qu’en est-il pour les Français qui vivent de l’autre côté de la Manche ?

Ils sont 300 000 à résider sur le sol british ; certains l’ont foulé, d’autres s’apprêtent à y retourner. Parmi eux, Hélaine, Clémence, Charlotte, Mathilde, Isma, Gwenn, Rooksana et Carole, qui ont bien voulu nous faire part de leurs émotions, entre déception et craintes pour l’avenir. Voici leurs témoignages.

Rooksana, 32 ans

Je suis retournée en France il y a neuf ans, mais me sens complètement anglaise et me rends souvent en Angleterre. Je suis née et ai grandi à Londres, et j’ai fait mes études à Manchester.

Reculer dans un monde où l’on essaie de progresser. L’Angleterre est un modèle d’intégration de toutes cultures, un exemple d’ouverture d’esprit. Voter pour la fermeture des frontières, contre l’immigration, alors que notre pays est bâti là-dessus, ça me fait HONTE. Honte aussi que 52 % des Anglais soient manipulables à ce point.

Se refermer sur soi est bien loin de l’Angleterre que je connais et que j’aime. Un pays où le curry est l’aliment national. Je suis aussi triste car qu’est-ce que cela veut dire pour les étrangers qui vivent à Londres ? Comme les Espagnols par exemple, qui étaient en grosse partie obligés d’immigrer après la crise chez eux, pour trouver du boulot. Et pour nous, les expatriés vivant en Europe, cela pourrait aussi se compliquer.

Farage et Johnson disent que nous donnons 350 millions de livres par semaine à l’UE. Ils ont manipulé les gens en gambadant dans le pays en bus rouge, disant : “On donne 350 millions à l’UE par semaine, mettons-les dans notre service de santé publique à la place”… Mais ceci n’est que de la propagande car, ce matin, Farage a avoué que cet argent n’est pas garanti pour le NHS (système de santé publique). Quand s’ajoutent à ça les tendances de votes, qui montrent que la majorité des personnes qui ont voulu sortir de l’UE ont plus de 50 ans et que les jeunes veulent rester…

En tout cas, personnellement, je me sens tout à coup étrangère dans un pays où j’habite depuis presque dix ans… d’un coup, comme ça, mon pays natal n’est plus le même. Il y a aussi quelque chose d’intangible là-dedans. Un sentiment de grande tristesse. Et tous mes amis ressentent cette même tristesse… O n veut s’ouvrir au monde, pas se fermer. On veut faire partie de quelque chose, pas être isolé.

Et on a peur au niveau de la défense aussi. Qu’est-ce que cela voudra dire – se protéger sans l’appui de l’Europe ?

Carole, 28 ans

Je suis de Toulouse, ai vécu à Paris pendant cinq ans et suis actuellement basée à Londres depuis un an et demi. J’ai décidé de m’installer là-bas pour mon travail. Je bosse dans l’architecture en tant que designeuse d’intérieur dans une boîte anglaise qui compte 300 employés dont la moitié sont européens (d’Italie, de Pologne, de Grèce, de France, etc.).

La nuit a été courte, l’information très matinale et la claque assez forte. J’étais pourtant hier de ceux qui tenaient comme discours que le Royaume-Uni allait sortir. Parce que j’avais ces derniers temps beaucoup échangé, avec des Anglais de toutes classes sociales et de tous âges. Je me suis rendue compte à travers ces échanges que, malgré mes convictions d’unité et de solidarité européenne, rien n’était gagné.

Moi qui pensais que les jeunes seraient pour le melting-pot européen, ouverts d’esprit et engagés dans des valeurs politiques modernes, je me suis retrouvée face à des gens souvent mal informés, ne prenant en compte que certains éléments récents de l’histoire de l’UE et oubliant sa formation et ses valeurs. Mon premier sentiment a été l’impuissance, bien avant cette journée de vote. La décision finale de ce référendum appartient aux Anglais, mais est-ce qu’il n’appartient pas aussi un peu à ceux qui y résident, paient des taxes et font fonctionner l’économie et la vie de ce pays ? J’avais envie que mon opinion compte parce que je sentais que l’issue allait être décevante.

Et puis, d’un coup, hier, peut être parce que l’été avait enfin pointé le bout de son nez et que les beaux jours rendent heureux et positifs, je me suis finalement résignée à y croire. Je me suis dit que comme à la veille d’un second tour face au FN, les gens allaient y réfléchir à deux fois, peser le pour et le contre et choisir de rester. J’en étais assez persuadée en fait, et me suis endormie l’esprit serein. J’ai suivi les évènements depuis la France, où j’étais en vacances pour la semaine. C’est la première chose que j’ai faite le matin, regarder les infos pour connaître les résultats. J’ai reçu la nouvelle comme une douche froide.

Très déçue de ce pays pour lequel j’ai quitté la France. Un pays que je pensais fort de ses unions passées, ouvert, libre mais sûrement pas lâche et égoïste. Il faudra attendre pour réellement comprendre les changements que cela impliquera mais, symboliquement, je pense que cela changera beaucoup. Aux yeux des Européens qui y vivent et travaillent, aux yeux des Européens qui envisageaient de s’y rendre, des étudiants qui pensaient y continuer leurs études…

Chaque pays a une part de lâcheté et d’égoïsme mais aucun ne le montre au grand jour. Parce qu’on ne sait jamais de quoi demain sera fait et qu’un lien brisé ne se renouera jamais. Je pense que pour le coup, les Anglais n’ont pas si bien joué la partie cette fois-ci… Ce qui me donne envie de vomir, ici en France, c’est que des gens comme Marine Le Pen se réjouissent de cette nouvelle et prévoient la même issue pour la France. J’ai écouté et regardé son discours ce matin, et je l’ai trouvé très cohérent et construit (deuxième vomi) parce qu’elle se sert du Brexit pour rassembler ses électeurs. Pour prouver aux Français que sortir de l’UE, c’est possible, et que des gens très bien le font. Gros niveau en matière de lavage de cerveau. Je rentre en Angleterre aujourd’hui, donc je verrai la nouvelle d’un autre point de vue et suis même impatiente de connaître les réactions de mes collègues et amis.

Cela m’a pas mal travaillé aujourd’hui. Je me dis aussi que cette décision leur appartient et qu’au lieu de les blâmer il faudrait peut-être tout simplement s’en tenir au fait, revoir les bases de cette union (qui n’en est pas une à mon goût, sauf sur le plan économique) et apprendre de ce choix.

Hélaine, 25 ans

Je vis à Londres depuis presque deux ans (un an et dix mois pour être exacte), et suis journaliste freelance. 

Je m’étais couchée en me disant “c’est bon ça passe”, vu que Nigel Farage avait à moitié concédé sa défaite. Alors le réveil (à 4 h 30) a été un peu violent. Moi qui ne suis pas matinale les notifications sur mon téléphone m’ont bien réveillée. J’ai suivi la fin du décompte (il restait quelques circonscriptions quand je me suis levée) sans espoir, et j’ai pas trop eu le temps d’y penser car je bossais ensuite.

Mais là je suis triste car :

1. J’ai peur pour l’UE : la réaction de Le Pen m’a franchement agacée, et c’est triste à dire mais j’espère (un peu) que le Royaume-Uni traversera une mauvaise période juste pour donner le mauvais exemple.

2. Je pense qu’il faut tendre vers quelque chose de global pour lutter contre les problème comme le terrorisme, le changement climatique, la pauvreté, etc. Je suis pour le revenu universel par exemple. C’est un peu idéaliste mais ce Brexit va peut être donner de mauvaises idées aux autres pays, et même le Royaume-Uni tel qu’on le connait va peut-être exploser (l’Écosse va peut-être faire un second référendum).

3. Ça confirme mon impression que tout fout le camp dans le monde principalement à cause des politiques (ce référendum était une simple promesse électorale pour gagner une élection) et que si le Brexit est possible alors Trump et Le Pen sont des possibilités… ça me déprime. Je ne sais pas encore comment ce Brexit va m’affecter en tant qu’expatriée.

Charlotte, 26 ans

J’habite à Londres depuis six mois et suis élève avocate.

Je n’en reviens pas, je suis choquée et profondément déçue. Ce vote est la preuve d’un pays divisé entre Londres, l’Écosse et même l’Irlande du Nord contre le reste. Je ne suis là que depuis six mois mais j’ai fait une partie de mes études au Royaume-Uni, et rentre en France définitivement dans une semaine, avec un goût amer. Je me sens Européenne mais j’ai le sentiment que beaucoup d’Anglais n’ont jamais partagé ce sentiment.

Au-delà des conséquences économiques et financières, c’est quand même la campagne “Leave” menée par le UKIP, un parti politique extrémiste, qui en dit finalement beaucoup sur les Britanniques.

Gwenn, 28 ans

Je vis à Londres depuis plus de deux ans et travaille dans le monde du sport.

C’est un sentiment très étrange. Je tiens d’abord à dire que Cameron a été très courageux de proposer ce référendum. Cela démontre que le Royaume-Uni est certainement la plus grande démocratie au monde. Et il part avec les honneurs, il décide de se retirer parce qu’il a perdu. Et ça, ça fait vraiment partie de la mentalité anglo-saxonne.

D’un autre côté ce qui arrive est très triste. La nation est divisée, avec d’une part les jeunes et de l’autre les personnes plus âgées. Et là, c’est la peur qui l’a emporté dans une cité pourtant multi-culturelle. Il y a un mois, lorsque le “Remain” l’emportait encore dans les sondages, on parlait des avantages économiques d’être dans l’UE. Puis il y a deux semaines le débat a changé de ton et s’est dirigé vers l’immigration, la peur de l’étranger, et on a vu le “Leave” prendre l’avantage.

Et c’est très inquiétant de comprendre cela. Il suffit de regarder qui sont les personnes derrière ce Brexit, qui sont ces personnes qui ont la parole, ou qui sont les personnes qui s’en réjouissent. Il s’agit de Nigel Farage au Royaume-Uni, Marine Le Pen en France, les partis européens d’extrême droite… ou encore Trump.

Personnellement, je ne me sens pas exclue ou en danger. Le Royaume-Uni veut le beurre et l’argent du beurre, donc sera toujours très content de faire affaire avec la France et avoir des Français dans ses pays.

Le Royaume-Uni avait l’impression d’être piégé dans l’UE… Je retiendrai la phrase de Johnson à la fin du débat de la BBC : “Let’s have our independence day again !” [“Faisons de ce jour notre nouveau jour d’indépendance”, ndlr] Mais c’est triste en fait. Comme disent tous les Anglais en ce moment : wait and see.

Mathilde, 23 ans

On tapissait nos vitres d’affiches pro-“Remain”, en sentant qu’il y avait un malaise. Mais on se disait que ça n’allait jamais passer. La veille au soir on a vu que c’était très serré, puis on a appris la nouvelle. Je vis à Londres avec quatre autres Français, on était tous sous le choc et très sonnés.

J’ai deux boulots, je bosse dans un média où il y a trois Français, trois Italiens, des Anglais, des Espagnols… et dans un café où il n’y a pratiquement aucun Anglais non plus. Tous les Européens qui habitent ici sont des gens qui travaillent très dur et qui sont hyper intégrés. Et personnellement j’ai toujours eu envie d’habiter ici, justement, pour cette liberté qu’on retrouve en Angleterre. Ici, tout le monde est très choqué, les Anglais encore plus je pense. Un rassemblement pro-“Remain” est déjà prévu pour le 28 juin. Ils ne vont pas laisser passer ça sans rien faire.

La dernière fois j’ai vu une mamie qui distribuait des tracts pro-Brexit et je lui ai demandé pourquoi : elle m’a dit que ça concernait principalement les riches, pas les pauvres et qu’ils en avaient marre de payer les conneries des autres pays de l’Europe. Je lui ai dit qu’au contraire, l’Europe donnait beaucoup d’argent aux Anglais : elle m’a répondu qu’elle ne savait pas trop, elle n’avait pas l’air d’être bien renseignée. Comme elle, beaucoup de gens qui ont voté en faveur du Brexit ne sont pas au courant des conséquences et surtout des points positifs de l’Europe. C’est un vote émotif, sentimental, patriotique, mais ce n’est pas du tout réfléchi.

Isma, 30 ans

Je vis à Londres depuis un an et trois mois. 

La sortie de l’UE est une erreur et ce référendum étant juste consultatif, elle pourrait être évitée. L’idée même de soumettre une question si importante au référendum est vraiment inconsciente. La preuve. Quand j’ai pris connaissance des résultats à 5 heures, accrochée à mon téléphone, j’étais plus triste que ce que je pensais. En fait, je ne pensais pas que cela me toucherait vraiment et je croyais surtout que le “Remain” allait l’emporter… donc grosse claque.

Je suis journaliste freelance donc professionnellement ça ne change pas grand chose pour moi, sauf si un jour je veux trouver un emploi en tant que salariée. Pour le moment tout est obscur et personne ne sait vraiment ce qui peut advenir des trois millions de non-britanniques. Après, je me sens triste parce que j’aime vraiment vivre à Londres mais cette décision m’oblige un peu à me poser des questions.

Ai-je envie de ne plus vivre dans l’UE ? Le réponse est non mais… en partant de l’Union européenne, le Royaume-Uni a comme pris la décision à ma place.