Rencontre avec Sasha Nassar, styliste israélo-palestinienne

Rencontre avec Sasha Nassar, styliste israélo-palestinienne

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Par Anaïs Chatellier

Publié le

De Jaffa à Paris

D’un père juif et d’une mère musulmane, Sasha grandit dans la mixité des deux cultures à Jaffa, cité d’Israël située au sud de Tel Aviv où se côtoient les deux communautés.

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Chez nous, c’était normal de faire aussi bien le Ramadan que Pessa’h. Je pense que j’ai eu de la chance que tout se passe bien dans ma famille. Je crois aussi que je n’ai pas compris que c’était rare et atypique avant d’avoir 18 ans. Avant, je n’avais jamais ressenti que nous étions une famille différente. Mais pour moi, c’était normal, des personnes qui vivent sur le même territoire peuvent tomber amoureux, même sans avoir la même religion, nous raconte-t-elle.

Attirée par la mode dès le plus jeune âge, Sasha a véritablement le déclic lors d’un séjour en Italie à l’âge de 19 ans. “Je suis tombée amoureuse de ce pays et j’ai eu envie d’étudier là-bas, se remémore-t-elle. L’institut Morangoni est très connu là-bas et c’était mon rêve ! Je suis donc partie étudier à Milan pendant un an avant d’aller à Londres“.
Dans la capitale anglaise, Sasha découvre réellement le milieu de la mode, au point d’en devenir presque dégoûtée. “J’ai eu du mal avec les personnes que j’avais dans ma classe, il y avait toujours plein d’histoires, les gens étaient très superficiels, très riches aussi“. Alors qu’elle envisage de tout arrêter, Sasha part se ressourcer à Tel Aviv et économise assez d’argent pour éventuellement se rendre à Paris. Dans la capitale de la mode par excellence, la jeune femme, bien occupée par son Master pour lequel elle a reçu une bourse, reprend petit à petit goût à ce monde dont elle se sent toujours un peu à part.

La collection “Printemps personnel”, un tournant dans la carrière de Sasha

J’avais vraiment peur de la réaction des personnes, qu’ils ne comprennent pas ce que j’avais voulu faire. J’ai mis beaucoup de moi-même dans cette collection.
Alors quand j’ai vu que des journalistes s’intéressaient à mon travail, que des femmes de plusieurs pays dans le monde, des femmes juives ou arabes, m’envoyaient des messages de soutien, que j’avais des demandes pour que des acteurs à Tel Aviv portent mes vêtements, ça m’a un peu réconciliée avec le monde de la mode car cela m’a confirmé qu’au-delà d’assembler des bouts de tissus, on pouvait vraiment créer des collections qui avaient un sens, un message.

Peu de temps après, la marque Muuse, séduite par sa collection, lui propose un contrat pour réaliser une collection de prêt-à-porter reprenant les mêmes imprimés. La date du 17 décembre se retrouve ainsi déclinée sur plusieurs robes, T-shirts et shorts. De quoi lui redonner envie de poursuivre dans la mode.

Siti, la nouvelle collection de Sasha inspirée de six villes israélo-palestiniennes

Pour sa dernière collection, Sasha a décidé cette fois-ci de s’inspirer de l’histoire de son pays et notamment de la culture de la broderie qui, au 19ème siècle, assurait un revenu convenable à de nombreuses femmes. En 1948, la création de l’ɐtat Israël entraîna de nombreux changements, la marchandisation de la broderie s’arrêtant quelque temps pour laisser place à plusieurs années de guerre.

Avant, la Palestine était connue pour sa broderie. Une tradition qui malheureusement se perd, qui ne se transmet plus de générations en générations, ce que je trouve dommage, c’est pourquoi j’ai voulu faire une collection avec de la broderie.

C’était très important pour moi d’apprendre à broder, parce que ça fait partie de ma culture, mais je voulais aussi travailler avec des femmes qui savent broder de manière traditionnelle. Elles sont d’ailleurs très patientes et font un travail formidable !

J’adore Paris, mais mon cœur reste à Jaffa ! Je pense que je vais essayer de travailler dans une grande maison de couture pour continuer à progresser et après j’aimerais contribuer à la mode dans mon pays, travailler aussi bien avec des Israéliens qu’avec des Palestiniens. Je crois que beaucoup de personnes ne se rendent ou ne veulent pas se rendre compte qu’ils sont tous les deux influencés l’un par l’autre. Et c’est ça qui m’intéresse !