Réseaux sociaux et djihadisme : ce qui a changé depuis les attentats

Réseaux sociaux et djihadisme : ce qui a changé depuis les attentats

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Par Arnaud Pagès

Publié le

Facebook, Twitter et autres ont mis du temps avant de prendre des mesures contre le djihad 2.0. Pourquoi cette lenteur ? Et qu’est-ce qui a changé depuis les attentats de janvier ? Explications. 

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Tout le monde garde en tête la grande réactivité de Facebook le 13 novembre, avec la mise en place d’un bouton “Safety check” ainsi que celle de Twitter avec les hashtags #rechercherparis et #portesouvertes. Ça c’est le côté pile, celui des dispositifs d’aide que les réseaux sociaux peuvent déployer rapidement.

Côté face, celui de la traque des djihadistes sur leurs différentes plateformes, la situation est plus compliquée. Sans qu’ils y soient préparés, les réseaux sociaux sont devenus le principal vecteur du djihadisme 2.0. Quel rôle jouent-ils dans la lutte contre le terrorisme et à quoi sont-ils tenus ?

Des réseaux sociaux longtemps peu réactifs

Les djihadistes utilisent les réseaux sociaux à trois niveaux : propagande (diffusion d’un document depuis un compte personnel), recrutement via les messageries instantanées, échanges sur zone de combat ou d’attentat. Les réseaux sociaux jouent malgré eux un rôle déterminant dans la capacité de l’Etat islamique à communiquer, comme le précise pour nous Olivier Toscer, auteur du documentaire Djihad 2.0 :

Les djihadistes ont choisi les réseaux sociaux pour toucher plus de monde et parce qu’ils sont modernes. Ce sont des vecteurs d’information beaucoup plus larges et beaucoup plus rapides que les sites internet classiques. Leur viralité les rend extrêmement efficaces.

Contrairement au GIA algérien par exemple, qui cherchait à rester au maximum hors de portée des radars, le terrorisme de Daech cherche à recruter le plus de monde possible. Ils ont un territoire et le but du jeu c’est de faire venir le plus de sympathisants possible pour en faire des combattants et de futurs terroristes.

On peut s’étonner que ces plateformes n’aient pas mis en place plus rapidement des mesures drastiques de contrôle de leurs utilisateurs. C’est que les réseaux sociaux ne se sont pas immédiatement sentis concernés par le problème, d’après Raphaël Berger, directeur “média et numérique” de l’Ifop et ancien directeur de l’Observatoire des réseaux sociaux :

Les réseaux sociaux ont pour vocation de permettre à tous les individus qui en sont membres de discuter et d’échanger librement. En ce sens, ils sont neutres. Ce sont des entreprises privées, qui n’ont normalement pas à être “pour” ou “contre” telle ou telle chose, aussi grave soit-elle. Certes, les djihadistes se servent de leurs plateformes à des fins de recrutement, mais doivent-ils contrôler l’usage qui est fait de leurs services ? Est-ce à eux de le faire, et si oui, comment ?

Un dialogue naissant avec les pouvoirs publics

Sur ce point juridique, et malgré la neutralité revendiquée de Facebook et Twitter, il y a du changement. La France a explicitement demandé à ces plateformes d’agir contre le terrorisme. Le cabinet d’Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat chargée du Numérique, détaille pour Konbini cette démarche :

Certains acteurs estiment qu’ils sont contraints par le droit américain, qui diffère du droit français, sur les questions liées à la liberté d’expression. Mais ces acteurs ont une responsabilité reconnue par la loi, qui est de retirer les contenus manifestement illicites qui leurs sont signalés.

En France, la jurisprudence des tribunaux rappelle constamment que c’est bien le droit français et tout le droit français qui est applicable. L’amélioration de la collaboration avec ces acteurs montre que les choses évoluent positivement.

Si la collaboration avec les services de renseignement a mis du temps à s’organiser, c’est aussi parce que la France n’a pas toujours eu la même position sur le sujet. Olivier Toscer rappelle :

Depuis la rentrée 2014, la stratégie des services de renseignement a fait un virage à 180 degrés. Jusqu’à présent, ces services étaient très contents de voir les terroristes s’égayer sur les réseaux sociaux, car cela permettait de les suivre et de collecter des informations. Puis ils se sont aperçus que cette “tolérance” de la part des autorités permettait à Daech de recruter.

Une stratégie de fermeture de comptes s’est alors mise en place, formulée directement par les autorités françaises. Et depuis les attentats de janvier, la chasse a été intensifiée. Mais étant donné que les cellules de renseignement opèrent sous couvert du secret défense, il est difficile de connaître avec précision l’étendu de la collaboration mise en place.

Avec les attentats de janvier puis de novembre, la position des réseaux sociaux a ainsi évolué. Un exemple parmi d’autres : en octobre 2014, Francetv info avait mené une enquête sur de multiples comptes Twitter et Facebook faisant de l’apologie de Daech. Ils sont depuis tous fermés. Axelle Lemaire se félicite de ce tour de vis :

Ces entreprises ont montré qu’elles avaient pris la mesure de leurs responsabilités sociétales. Lors des attentats du 13 novembre, elles ont répondu spontanément présentes. Leurs effectifs ont été renforcés en quelques heures, ce qui a permis de traiter dans un délai de moins de 90 minutes la plupart des demandes des autorités, de relayer les messages de sécurité de la Préfecture de police, de mettre en place des outils très utiles pour les personnes.

Des difficultés persistantes

Une action plus offensive est en train de voir le jour : la traque directe des djihadistes. Axelle Lemaire développe les raisons qui expliquent là aussi la lenteur de cette traque :

Les géants du net sont de jeunes entreprises, nées pour la plupart dans les années 2000. Jusqu’il y a peu elles n’avaient pas encore acquis une culture de dialogue avec les pouvoirs publics et de collaboration avec les gouvernements. Nous aussi nous apprenons progressivement à les connaître, à comprendre leurs contraintes pour mieux travailler avec eux.

Depuis janvier, les choses bougent. Le déplacement de Bernard Cazeneuve dans la Silicon Valley au printemps a permis de nouer un dialogue constructif avec les responsables de ces entreprises. Un groupe de contact a été mis en place et se réunit régulièrement. Aujourd’hui, la coopération de ces acteurs a réellement progressé avec les services de police et de justice, notamment pour ce qui est de la lutte anti-terroriste ou des retraits de contenus illicites.

Si traquer les djihadistes sur Facebook et Twitter peut sembler en apparence très simple, ces derniers savent parfaitement tirer partie de ces plateformes. Différents obstacles rendent par ailleurs difficile un nettoyage rapide et complet des contenus djihadistes, comme le rappelle Olivier Toscer :

Quand les services de renseignement demandent la suppression d’une vidéo ou d’un compte, les réseaux sociaux collaborent automatiquement. Des vidéos djihadistes d’égorgement sur des Américains ont été nettoyées très rapidement. Celles concernant des Français l’ont été aussi, quoique un peu moins vite.

Les efforts de nettoyage mis en place par les réseaux sociaux sont bien réels mais à degrés variables. Parfois, ce sont les pays du Maghreb qui demandent aux Américains de supprimer une vidéo dont ces derniers n’ont pas pris la mesure car elle était en arabe et qu’elle ne concernait pas un Américain. Par ailleurs, les réseaux sociaux peuvent facilement retirer une vidéo et bloquer le compte de celui qui l’a postée, mais remonter tous les partages annexes prend nettement plus de temps.

Après, si un compte Facebook ou Twitter est fermé, les djihadistes peuvent en rouvrir un autre presque automatiquement en rajoutant un chiffre à leur nom d’origine. Les gens qui les suivent peuvent les retrouver facilement du coup. Et cela peut durer indéfiniment comme ça.

Même si cette lutte contre le djihadisme 2.0 semble quelque peu épuisante, un plan d’action est bien en marche. Dernière mesure en date, Twitter a annoncé qu’il allait modifier ses dispositions contre les discours de haine. Le site de micro-blogging précise désormais :

Vous ne devez pas proférer de menaces ni inciter quiconque à la violence, ce qui inclut les menaces terroristes et l’apologie du terrorisme.

Il faudra néanmoins plusieurs mois pour s’assurer de l’efficacité d’un tel discours.