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Les requins, victimes d’un délit de sale gueule

Les requins, victimes d’un délit de sale gueule

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Par Naomi Clément

Publié le

Les attaques de requins sont rares, et pourtant, chacune d’entre elles est surmédiatisée. Bien plus que la pêche industrielle ou la crise écologique qui pourraient aisément engendrer sa disparition. Deux poids, deux mesures.
Depuis hier, la Toile se dresse contre les requins. Au beau milieu de la finale du J-Bay Open, qui se déroulait ce week-end sur le spot de Jeffreys Bay en Afrique du Sud, le surfeur australien Mike Fanning a manqué de se faire croquer par un requin qui passait dans le coin.
La vidéo de cette attaque, qui cumule presque un million de vues sur YouTube en vingt-quatre heures, montre en effet le triple champion du monde échapper à la mâchoire menaçante d’un requin. À Fox, voilà comment le sportif décrivait ce moment intense :

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J’ai senti quelque chose se coincer dans mon leash, et j’ai donné des coups de pieds pour qu’il s’en aille. J’ai vu sa nageoire. J’attendais les dents […] Je lui ai mis un coup de pied dans le dos.


C’est loin d’être la première fois que l’on relate l’histoire d’un surfeur attaqué par ces gros poissons. Les surfeurs sont d’ailleurs plutôt de grands habitués. Il suffit d’aller faire un tour sur Google Actu pour se rendre compte de la surmédiatisation de ce fait divers, repris dans près de 269 articles en moins de 24 heures et rien que sur la Toile francophone.
Aussi, on ne compte plus le nombre de reportages et fictions liés au sujet. Sans compter Les Dents de la mer, le tout premier blockbuster de l’histoire du cinéma réalisé par Steven Spielberg, qui a marqué le septième art du poids de sa bande de requins mençants, invoquant ce que certains journalistes appellent une “squalophobie”.

Les requins victimes d’une mauvaise réputation ?

En revanche, peu nombreux sont les documents et articles qui soulignent à quel point le requin est un être menacé. Bien sûr, il ne faut pas minimiser le risque : les attaques de requins sont bel et bien réelles. Comme le rappelle le blog Sauvegarde des Requins, en l’espace de dix années, 63 personnes dans le monde sont décédées après avoir été attaquées par un requin et ces attaques ont parfois contraint certaines plages à interdire la baignade, notamment à la Réunion, région qui recense 15% des attaques mondiales depuis 2011.
Mais lorsqu’on y regarde de plus près, ces chiffres sont dérisoires. On dénombre en moyenne 6,3 décès par an, tandis que 100 millions de requins sont pêchés chaque année dans les eaux du globe. En cinquante ans, 90% de la population a été supprimée de la planète.
Deux cause sont notamment pointées du doigt. La première, c’est que les requins possèdent des ailerons très prisés. La deuxième, c’est qu’ils sont la victime corrolaire d’une autre pêche, celle du thon. En cause, le procédé dit de la “palangre” qui voit des immenses filets attraper des poissons sans aucune discrimination.

L’envers du décor

Cette problématique de la disparition de l’espèce, c’est l’objet de Les Requins de la colère, un documentaire réalisé par le Français Jérôme Delafosse et diffusé en avril dernier sur Canal +. Dans ce docu-thriller, ce journaliste et scaphandrier professionnel démontre à quel point cette espèce qui peuple nos océans depuis 450 millions d’années et s’avère essentielle à notre écosystème, est menacée par la pêche massive pratiquée par les hommes ainsi que la crise écologique désastreuse que nous traversons.
Son constat peut se résumer en une phrase qu’on retrouve dans un entretien pour Télérama :

Ils sont apparus sur Terre il y a 420 millions d’années, mais il aura fallu moins de cinquante ans à l’homme pour les décimer.


Dans une interview pour l’hebdo Paris Match, le réalisateur du documentaire évoque à la fois la lente diminution numérique d’une espèce et les conséquences de sa disparition.

À ma petite échelle, je me suis rendu compte qu’en 20 ans, on voyait beaucoup, beaucoup moins de requins. Pour en voir, il faut aller dans un sanctuaire, aux Bahamas ou au Costa Rica. Ce sont des populations qui ont chuté en masse […]. Ils sont essentiels aux chaînes alimentaires, au système marin. Si on ne sauve pas les requins, on ne sauve pas les océans.

Au cours de ses interviews, Jérôme Delafosse n’hésite pas à user d’une comparaison en forme de trait d’humour noir : si chaque année 6,3 personnes sont tuées par des requins, on en comptabilise 600 qui meurent assommées par… une noix de coco. Mieux vaut donc avoir les pieds dans l’eau que la tête sous un cocotier.