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Quand la haute couture vole les jeunes designers

Quand la haute couture vole les jeunes designers

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Par Manon Baeza

Publié le

Nous avons rencontré deux jeunes créateurs, tous deux victimes de vol par des marques de luxe.

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Le plagiat semble être devenu un problème récurrent dans le milieu de la mode. Récemment, Gucci était accusé d’avoir reproduit une veste très similaire à l’une des créations de Dapper Dan, tandis que Zara est connu pour ses très nombreux plagiats. Alors que les jeunes créateurs triment pour réussir à vivre de leur passion, il n’est pas rare de surprendre des marques, notamment de haute couture, voler leurs idées. Et des accusations de la sorte, on en compte de plus en plus.
C’est pourquoi nous avons voulu rencontrer deux jeunes designers qui ont été victimes de plagiat, afin de mieux comprendre comment les maisons de haute couture peuvent aussi facilement voler le design de ces créateurs.

Une idée et un design volés

Pierre-Louis Auvray est étudiant à l’école de mode Central Saint Martins, à Londres. Après des études de droit, il décide de tout plaquer et de repartir à zéro pour se lancer dans ce qui l’a toujours passionné : la mode et l’art. Dans son travail, il essaie de comprendre ce que représente le fait de se sentir différent. Il a par exemple joué avec la figure de l’alien car il trouvait que grimer ses modèles permettait de se questionner sur la représentation que l’on en fait aujourd’hui.
“Quand on est enfant, raconte-t-il, on est exposé très tôt à tout cet imaginaire, mais quand on grandit, on se rend compte qu’il y a toujours plus chez ces créatures que la simple apparence physique.” Ce sont pour toutes ces raisons que le jeune designer a décidé d’exploiter les aliens comme mannequins ambulants dans plusieurs projets. Une idée qui semble beaucoup plaire à la maison Gucci, puisque celle-ci ne s’est apparemment pas gênée pour la reprendre à son compte lors de sa dernière campagne.
Sarah Diouf est la fondatrice de Tongoro, qu’elle définit comme étant la première marque de mode abordable fabriquée en Afrique. La créatrice explique que la représentation de la communauté africaine a toujours tenu une place très importante dans son travail. En effet, c’est en 2009 que tout commence, lorsqu’elle crée sa première entreprise, Ghubar, un magazine digital de mode s’intéressant tout particulièrement au métissage culturel. Celui-ci gagne peu à peu en notoriété, et l’amène à lancer son activité de production visuelle et de contenus : IfrenMediaGroup.
Aujourd’hui, c’est à Dakar, au Sénégal, qu’elle a choisi de s’installer pour développer ses deux entreprises. Elle aussi aurait été victime de contrefaçon : en effet, le sac “fourre-tout” en forme de baguette de la marque de luxe Yves Saint Laurent n’est pas sans rappeler le modèle Mburu Bag conçu par ses soins.

De jeunes designers démunis face aux géants du luxe

Après avoir découvert la supercherie, Pierre-Louis a tenté de contacter Gucci, en vain. Le jeune étudiant nous a expliqué que son école avait tenu à l’aider et à prendre les choses en main. Pour cela, la Central Saint Martins a décidé d’exposer les faits sur les réseaux sociaux ainsi que dans son magazine, 1 Granary. De nombreux médias ont ensuite relayé l’information. Tout d’abord, le Women’s Wear Daily, qui a tenté de contacter Gucci pour avoir une interview, sans succès. Le magazine Business of Fashion a ensuite tenté sa chance. Cette fois-ci, la marque a répondu et a tout bonnement nié en bloc les accusations.
Pierre-Louis nous a précisé ne pas avoir contacté d’avocats par manque de moyens, et qu’il n’y avait de toute façon pas encore de loi qui protégeait les concepts. Finalement, tout le soutien reçu durant cette épreuve, que ce soit de la part de ses amis ou de parfaits inconnus, n’a fait qu’encourager le jeune homme à avancer dans ses projets.

Au regard de la loi

Pour un peu mieux comprendre le cas de Pierre-Louis Auvray, nous avons demandé à une avocate de nous éclairer sur la situation. La jeune femme nous a expliqué qu’en matière d’idées et de concepts, la protection par le droit d’auteur n’était pas assurée. On les qualifie de “libres parcours”, ce qui signifie que certains contenus, tels les concepts, sont libres d’utilisation et qu’ils peuvent être réutilisés sans devoir nécessairement rémunérer l’auteur. La seule défense que Pierre-Louis peut envisager serait d’affirmer qu’il s’agit d’une concurrence déloyale. Malheureusement, pour cela, il lui faudrait apporter la preuve d’un préjudice économique. Et pour de jeunes créateurs qui ont peu de notoriété, il est difficile de prouver ce désagrément économique. L’action reste donc délicate et la protection de ces derniers paraît assez limitée.

De son côté, Sarah Diouf a décidé de ne pas contacter Yves Saint Laurent car, pour elle, les grandes marques de haute couture n’ont que faire des petits créateurs émergents. Elle a donc préféré laisser des professionnels s’en occuper en prenant un avocat. Elle estime qu’il est important de ne pas se laisser intimider par les “plus forts”, d’agir de la bonne façon, en suivant les règles. Pour elle, on laisse souvent couler parce que l’on doute de notre légitimité, alors que l’on ne devrait pas, et plus on laisse passer ce genre de choses, plus on se retrouvera dans ce type de situations. Sarah est encore en plein procès, et a préféré ne pas trop en dire sur la situation tant que celui-ci n’était pas terminé.

Au regard de la loi

L’avocate nous a expliqué que cela relevait du droit des dessins et des modèles. Celui-ci permet de protéger les créations artistiques et, si besoin est, de s’opposer à une reproduction. Lorsque l’on crée un sac à main par exemple, on doit effectuer un dépôt auprès de l’INPI (Institut national de la propriété intellectuelle). Ledit dépôt permettra par la suite de protéger son modèle pendant cinq ans renouvelables. Cependant, pour que tout dépôt soit valable, il est impératif que son modèle soit “nouveau”, ce qui signifie qu’aucune création antérieure similaire ne soit déjà répertoriée auprès de l’INPI. Lorsqu’il y a reproduction d’un modèle, comme pour Sarah, nous pouvons parler de contrefaçon. Néanmoins, la protection n’est pas totale, car il faut que le créateur puisse démontrer l’originalité de son modèle. Pour mieux protéger les créations, l’idéal dans ce genre de situation est de déposer une marque associée, cela assure une plus grande protection des modèles et des pièces.