Quand la presse japonaise minimisait les effets de la bombe à Hiroshima

Quand la presse japonaise minimisait les effets de la bombe à Hiroshima

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Par Théo Chapuis

Publié le

Hiroshima a été attaqué par un petit nombre de Superforts [référence aux bombardiers US B-29 Superfortress, ndlr] lundi à 8h20. L’ennemi a largué des charges explosives et incendiaires. Les dommages sont à l’étude.

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Le Nippon Times était alors un journal de référence. Publié au Japon en langue anglaise, il était certes soumis à la censure, mais avait pour provenances d’informations des sources aussi variées que les déclarations des autorités impériales, des reportages de journaux japonais en langue locale et également des actualités provenant d’agences de presse étrangères. Les journalistes accusent toutefois pour la première fois l’ennemi “d’avoir tué et blessé autant d’innocents que possible en raison d’un désir urgent de terminer la guerre rapidement”.

“Des bombes d’un nouveau type”

Un jour après cet entrefilet évasif (et donc trois jours après le largage de la bombe) les lecteurs du journal peuvent mesurer davantage l’ampleur des dégâts. Dans son édition du 9 août (le jour du deuxième bombardement, celui de Nagasaki, causant entre 60 000 et 80 000 morts), le Nippon Times cite une déclaration de l’état-major impérial, bien plus alarmiste.

Des bombes d’un nouveau type ont été utilisées par le petit nombre de [Superfortress] qui ont bombardé Hiroshima lundi matin, causant des dommages considérables dans plusieurs quartiers de la ville […] La puissance explosive de cette nouvelle bombe est à l’étude.

Toujours pas un mot sur la récidive à Nagasaki. Toujours pas de mention de l’atome. Si on épargnait les détails aux lecteurs, l’horreur de la bombe se répandait désormais dans le monde entier, dès le 9 août. Le Nippon Times note seulement la réaction d’un porte-parole du Vatican, qui déclare que cette bombe est “un nouveau pas dans la direction d’un armement aux moyens de destruction indiscriminés”. 
Mais qu’est-ce que le quotidien savait de l’horreur de Hiroshima ? Qu’avait-il le droit d’en écrire ? Difficile à dire, le Japan Times ne s’étend pas. Probablement les informations arrivaient-elles au compte-goutte et étaient-elles difficiles à vérifier. Il faut ajouter que les forces américaines étaient déjà en train de se battre sur le sol japonais et que l’ampleur de la catastrophe était sans aucun doute difficile à réaliser.

“Couvrez-vous bien les mains et les jambes”

La couverture du bombardement de Nagasaki est encore plus mensongère. Ce n’est que le 12 août que le journal évoque des dommages “relativement faibles” dans la cité portuaire, par rapport à ceux d’Hiroshima qui commencent à se répandre à travers le pays. Ce n’est que 16 jours plus tard que l’opinion japonaise apprendra que la ville a été rasée, mais toujours sans donner de raison.
Le 10 août, craignant une troisième explosion, les autorités diffusent un message d’avertissement bien peu rassurant dans le Nippon Times. Celui-ci explique que “la nouvelle bombe est larguée par parachute. À environ 500 à 600 mètres du sol, elle émet une forte lumière avant d’exploser. Sa détonation est très puissante et une grande chaleur se diffuse partout autour”.

Choisissez un abri avec un toit. S’il n’y a pas de refuge, protégez-vous avec une couverture ou un futon […] Les personnes qui sont à l’extérieur sont susceptibles de subir des brûlures. Les mains et les jambes doivent être dûment protégées.

Et en France ?

James de Coquet, envoyé spécial du Figaro, se rend au Japon juste après la capitulation du 2 septembre 1945. Le quotidien raconte sur son site le récit du père Siemes, un missionnaire jésuite habitant à 2 km du centre-ville, dans le quartier de Nagatsuka. Son témoignage, recueilli pour le quotidien et publié le 20 septembre, est terrifiant :

Vers 8 h15, je vis dans le ciel comme un immense éclair de magnésium qui paraissait sortir d’un appareil photo géant. Je m’approchai de la fenêtre, mais l’éclair avait disparu et j’eus le temps de me retourner pour quitter la pièce lorsque j’entendis l’explosion. […]
Toute la façade de notre maison du côté de la ville fut compressée vers l’intérieur, les fenêtres et les portes arrachées; j’étais blessé par des éclats de verre et je saignais, mais ce n’était pas grave. […] Bientôt les premiers réfugiés arrivèrent d’Hiroshima, blessés ou brûlés aux jambes, aux mains, aux bras, à la face.