Pourquoi il fallait censurer la photo de l’intérieur du Bataclan

Pourquoi il fallait censurer la photo de l’intérieur du Bataclan

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Aziliiiiiz / Instagram

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Par Ariane Nicolas

Publié le

Le gouvernement a demandé à Facebook et Twitter de retirer cette photo macabre. Des personnes critiquent cette décision, nous leur répondons. 

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Le cliché a circulé sur les réseaux sociaux pendant plusieurs jours. Prise quelques instants après la fin de l’attaque meurtrière, une photo macabre de l’intérieur du Bataclan a été signalée par les autorités françaises, qui ont demandé sa censure en France. Dès que la photo est signalée par un internaute, nous la faisons disparaître”, affirme Facebook. De son côté, Twitter assure appliquer un filtre gris qui masque le tweet contenant la photo, d’après Le Figaro.

Certains internautes se sont émus de cette disparition, pour divers motifs, et dénoncent une forme d’hypocrisie face à la diffusion des clichés choquants. Voici pourquoi il nous paraissait important que cette photo disparaisse des écrans radars.

Parce que les victimes ont droit au respect

En alertant Twitter et Facebook, le gouvernement a invoqué une “atteinte grave à la dignité humaine”. Ce n’est pas seulement une question de bon sens, par respect pour les proches des victimes, comme l’indique la police sur Twitter. Juridiquement aussi, la publication de ce cliché pourrait être répréhensible.

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En effet, bien que le droit à l’image ne s’applique pas aux personnes décédées, le préjudice moral peut dans certains cas être étendu aux familles des victimes. “Si les proches d’une personne peuvent s’opposer à la reproduction de son image après son décès, c’est à la condition d’en éprouver un préjudice personnel, direct et certain”, selon la justice française, rappelle cette avocate. Aucune plainte n’a été déposée, mais en cas de procès, des familles pourraient faire valoir ce préjudice moral pour exiger le retrait de la photographie, notamment au motif que certains corps sont identifiables.

Parce que la photo n’apporte aucune information

Evoquons à présent l’aspect médiatique de la question. Les médias nous cacheraient-ils quelque chose en refusant de publier le cliché ? En France, à notre connaissance, la photo n’a pas été reprise par les journalistes. Au Royaume-Uni, en revanche, elle a été publiée par le Daily Mail, tabloid réputé pour son amour des clichés trash.

Or ce que l’on constate, c’est que l’image n’apporte strictement rien en termes d’informations, ni sur le déroulé des événements, ni sur le profil des jihadistes, ni sur leur mode opératoire. Un regard expert saurait peut-être y déceler des indices policiers, après enquête, mais le public ne pourrait porter dessus qu’un regard voyeuriste et morbide. D’autant que le contexte dans lequel la photo a été prise (par qui ? quand ? pourquoi ?) manque.

Parce qu’elle n’a rien à voir avec la photo du petit Aylan

Un argument souvent repris, notamment par des militants d’extrême droite, consiste à dire qu’il existerait deux poids deux mesures : la propagande journalistique bienpensante aurait publié la photo du petit Aylan retrouvé mort sur une plage en Turquie pour légitimer l’accueil des migrants, tandis que ces mêmes médias refuseraient de montrer l’horreur du Bataclan par peur de stigmatiser des personnes.

Cet argument est bien évidemment faux. Cela fait maintenant six jours que les médias dénoncent en boucle la barbarie des terroristes, n’hésitant pas à montrer le visage de ces asassins, au risque de provoquer des réactions racistes (ce qui est malheureusement arrivé). Des dizaines de récits de survivants ont été publiés. Marine Le Pen a quant à elle été reçue à l’Elysée et sur les plateaux de télévision.

Enfin, d’un point de vue strictement visuel, la photo du petit Aylan a justement été diffusée car elle était à la limite de ce que les médias français ont pour habitude de montrer : pas de sang, un visage peu visible. L’enfant semble endormi. La force de cette image, qui a bouleversé le monde entier, repose sur l’ambiguïté de ce qu’elle montre. La photo du Bataclan n’a rien d’ambigu, elle est juste horrible.

Parce que ce serait faire trop d’honneur aux assassins

L’organisation terroriste Daech a développé, ces dernières années, des campagnes de communication agressives, croisant mises en garde apocalyptiques verbales et scènes d’exécutions d’otages ou de prisonniers. Leur propagande repose en grande partie sur les images. Ils parient sur l’effet de sidération, mais aussi de fascination, pour séduire de nouvelles recrues.

Publier la photo du massacre, ce serait leur faire trop d’honneur en tombant dans leur piège. La curiosité humaine, par définition difficile à maîtriser, a beau nous pousser dans les bras de certaines images licencieuses, il faut combattre cet élan macabre quand il fait le jeu de meurtriers nihilistes. Pour cette raison, nous avons également décidé chez Konbini de ne pas reprendre, en plus des images, les éléments de langage de la propagande jihadiste sur les attentats.

Et quitte à s’abîmer les yeux et l’âme, nous préférons regarder ces photos d’un Bataclan joyeux et survolté, prises quelques minutes avant le drame.