Non, Pokémon Go n’est (probablement) pas un outil de la CIA

Non, Pokémon Go n’est (probablement) pas un outil de la CIA

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Ne vous y trompez pas, il y a là le signe d’un programme de surveillance de masse. Ou pas?

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Par Thibault Prévost

Publié le

Plusieurs médias anglophones mettent en avant les liens entre l’agence de renseignement américaine et Pokémon Go. Quitte à verser dans le complotisme.

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Ça devait arriver. On ne peut pas atteindre le chiffre astronomique de 75 millions d’utilisateurs en un mois et rendre un bon quart de la planète complètement dingue sans s’attirer quelques soupçons, tout Pokémon qu’on est.

Aux dernières nouvelles, Pokémon Go pourrait donc être un outil de la CIA, qui utiliserait Pikachu et ses potes pour nous transformer en agents passifs, récoltant pétaoctet sur pétaoctet de données grâce à son subtil et révolutionnaire procédé de réalité augmentée. Il n’est pas étonnant que le jeu draine la batterie de votre smartphone : toutes vous ressources seraient mises au service de l’agence de renseignement américaine.

Les premiers à dégainer (en dehors de la sphère médiatique complotiste traditionnelle) ont été les médias américains, dont le blog de Gawker spécialisé dans les théories farfelues nées sur Internet. Le 28 juillet, c’est Sputnik News, l’un des médias francophones du gouvernement russe, qui se fendait d’un article “d’analyse” pour souligner les liens opaques entre le jeu de Niantic et les services de renseignement américains. Mais que reproche-t-on à Pokémon Go, concrètement?

Tout est dans les conditions d’utilisation

Pour Sputnik News, la réponse se trouve en partie dans les conditions d’utilisation de l’application. Celles-ci précisent en effet, noir sur blanc, que l’application de Niantic peut faire à peu près ce qu’elle veut avec les données qu’elle récolte sur vous pendant que vous jouez, puisqu’elles lui appartiennent et sont considérées “comme un actif de l’entreprise”.

Niantic explique également qu’elle coopérera si un gouvernement lui demande de divulguer certaines de ces données, notamment dans le cadre d’une enquête… ou pas, d’ailleurs. Il est alors facile d’imaginer une ligne directe entre les serveurs de Niantic et ceux de la CIA, ce que Sputnik décrit dans un récit aux accents de roman d’espionnage.

Pokémon Go a déjà été critiqué pour sa tendance à vouloir vous piquer vos données, notamment lors de son lancement. Niantic a depuis rectifié le tir, en modifiant les autorisations que la firme vous demande lors de l’installation du jeu. Pourtant, les largesses d’accès que l’application requiert se justifient par le fonctionnement même du jeu (géolocalisation, accès à l’appareil photo, vibreur, etc.).

Comme l’expliquent très bien les Décodeurs du Monde, qui se sont attaqués au sujet, la question de l’utilisation de ses données se pose effectivement, d’autant que Niantic précise explicitement qu’elle les stocke et en fait ce qu’elle veut.

Mais, contrairement à ce qu’affirme Sputnik News, il n’est pas question de stocker les photos prises par les utilisateurs, et le micro n’est même pas utilisé (Sputnik fait référence dans son article à une version pirate du jeu, qui dissimulait un virus). En l’état actuel des choses, impossible de prouver que Niantic laisse la CIA ou le gouvernement américain se balader dans ses données, voire qu’elle leur fournit directement des informations.

Des start-up financées par la CIA

Impossible de prouver quoi que ce soit, mais impossible également d’innocenter l’application, dont les pratiques peuvent prêter à interrogation. Sputnik, Gawker et la complosphère en remettent une couche en évoquant Keyhole — la précédente entreprise du PDG de Niantic John Hanke — qui se chargeait d’exploiter des données satellitaires avant d’être (logiquement) rachetée et intégrée à Google Maps en 2004.

Là où les internautes tiquent, c’est lorsqu’ils apprennent que Keyhole recevait de l’argent, entre autres, d’un fonds d’investissement géré par la CIA appelé In-Q-Tel. C’est également le cas d’un certain nombre de start-up technologiques qui bénéficient de fonds publics.

Au-delà de ces prétendus liens de filiation entre Niantic et la CIA, Pokémon Go soulève effectivement un bon nombre d’interrogations, sur lesquelles il semble plus pertinent de se pencher, plutôt que de tenter de déterrer de sombres desseins dissimulés à nos regards profanes.

La Cnil fronce les sourcils

Le Laboratoire d’innovation numérique de la Cnil (LINC), par exemple, nous explique que derrière l’accès “gratuit” du jeu réside toute une économie numérique basée sur la récolte et la monétisation de nos données personnelles, selon un modèle déjà bien connu, mais que Pokémon Go pousse à un tout autre niveau avec la géolocalisation, en nous proposant d’aller aux endroits où sont situés les Pokéstops.

L’ancêtre de Pokémon Go développé par Niantic, Ingress, avait déjà noué des partenariats avec les marques Jamba Juice, Zipcar, Verizon ou Vodafone (en Allemagne) pour transformer leurs points de vente en “portails” permettant de gagner des points lorsque l’on s’y rend.

Pas dupe, la Cnil met en garde contre la prolifération de ces nouveaux exemples de l’économie numérique : “Si ce modèle est innovant, il ne va pas sans poser de questions, car il s’agit ni plus ni moins d’appâter des individus sur un lieu commercial contre rémunération sous le prétexte d’un jeu.” 

Avant d’essayer de prouver que Pokémon Go et la CIA avancent main dans la main, il serait peut-être plus pertinent de s’interroger sur l’abolition des frontières entre activité commerciale et divertissement.