On a quasiment testé Sarahah, l’appli #1 de l’App Store

On a quasiment testé Sarahah, l’appli #1 de l’App Store

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Source : Sarahah

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Par Pierre Schneidermann

Publié le

Tout commence dans le monde arabe

Il existe un jeu particulièrement excitant chez les observateurs du monde de la tech : émettre des prophéties. Le plus drôle d’entre tous, c’est de se demander si l’appli qui buzze en ce moment remplacera Facebook, Instagram ou Snapchat. Depuis quinze jours, les regards se braquent sur Sarahah, devenue en juillet dernier l’appli la plus téléchargée de l’App Store. Le concept est ultra-simple et donc séduisant : il permet d’envoyer des messages anonymes à n’importe qui.

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Au tout début, l’appli n’a pas vocation à buzzer. Zain al Abidin Tawfiq, un jeune Saoudien diplômé en informatique, est frappé de la névrose la mieux partagée des entrepreneurs de la tech : il veut, à son échelle, rendre le monde un peu meilleur. Son esprit moderne imagine Sarahah, un site Web initialement destiné au monde du travail. Cet outil permet d’envoyer des messages anonymes aux collègues pour dire ce que l’on n’arrive pas à dire dans la vraie vie sous sa vraie identité. Sarahah est-il un défouloir ? Absolument pas. Quand les langues se délient, les relations s’assainissent. C’est Tawfiq, noblesse de cœur à l’appui, qui le dit. Et le titre aussi, puisque Sarahah, en arabe littéraire, ça veut dire “franchise”.
 

Success Story, mode d’emploi

Au début, ça ne prend pas. Puis, en trois étapes, Sarahah s’embrase. Les choses se passent ainsi :
 
(1) Fin 2016, Tawfiq rencontre un “Connector“, terme barbare théorisé par un journaliste américain, Malcolm Gladwell. Le Connector est une personne qui a de l’influence et permet de faire circuler vos idées. Le Connector de Tawfiq donne une première visibilité à l’appli qui se répand d’abord dans le monde arabophone.
 
(2) Le 13 juin, Sarahah débarque sur l’App Store. Pour la première fois, elle est traduite en anglais. Le monde anglophone s’en empart.
 
(3) Début juillet, Numerama le rappelle finement, c’est le destin qui entre en jeu. Snapchat implémente une nouvelle fonction : les utilisateurs peuvent (enfin) partager des hyperliens. Chacun commence donc à faire tourner son pseudo Sarahah sur lequel il suffit de cliquer pour entrer en contact anonymement. Snapchat qui sert de cheval de Troie ! Bel exemple de bad ou good timing, c’est selon.
 
L’appli se répand hors anglophonie. Elle se fraye un chemin chez les jeunes Français. Ce qui permet, à Konbini, sans transition, de la tester.

Konbini teste… et s’ennuie un peu

Sur le Play Store (terminal Android oblige), Sarahah arrive en 15e position. Hypothèse la plus probable de cette différence de classement : les utilisateurs d’Apple sont plus hype. Elle y a tout de même été téléchargée plus d’un million de fois. Mais elle n’est pas bien notée : 2,9 étoiles sur 5. Ce n’est pas le principe de l’appli que les utilisateurs critiquent : on se plaint des bogues techniques ; les Français s’agacent plus particulièrement que tout soit en anglais.
 
L’inscription est rapide mais l’écran d’accueil tout vide. Il faut trouver des pseudos pour commencer. On clique donc sur la petite loupe pour rechercher des utilisateurs. Il faut taper quelque chose. En mal d’inspiration, on jette un œil sur les collègues de Konbini et on tape leurs prénoms au petit bonheur la chance (Dora, Louis, Violaine, Océane, Norbert et Marc **un intrus s’est glissé dans la liste, sauras-tu le trouver?**). Des pseudos avoisinant la requête s’affichent.
 
 
L’information est minimaliste : un pseudo et un avatar miniature, si miniature qu’il sert probablement à limiter l’effet site de rencontres. On écrit, par sécurité, en anglais : “Hi, I’m testing Sarahah, do you like this app” ? Les réponses ne viennent pas. C’est long. On se sent seul. Puisqu’il faut tuer le temps, on se fait une blague pas drôle à soi-même : c’est pire que le désert du Sahara ici ! Peut-être eût-il fallu persister ou attendre plus longtemps pour faire un test digne de ce nom ? Désolé mais le buzz presse et on a compris le principe.

Sexe VS bisounours

Après l’attente, l’entendement. Elle sert à quoi, au fond, cette appli ? Pour son créateur, on sait. Il a même précisé, dans une interview donnée à Mashable, que Saharah était particulièrement utile à la société arabe où les gens sont très francs et très honnêtes mais que les barrières sociales les empêchent d’assouvir ce besoin profond.
 
Fi des bonnes intentions, place au réel. Les dérives ne sont pas bien dures à imaginer : insultes, harcèlements et tout le tralala. En témoigne la compilation de commentaires de l’édition tunisienne du HuffPost. Pour l’heure, Sarahah endigue prudemment les débordements. L’appli nous incite en permanence à la gentillesse : “Leave a constructive message 🙂” Sur Twitter, certains s’amusent à poster des messages mignons ou glauques qu’ils ont reçus. Nous avons apprécié celui-ci :
 

Pour les non hispanophones : “c’est trop bien quand on baise ahahaha”

Il était un fail…

Les rapports sociaux vont-ils sombrer dans l’anonymat numérisé ? Un peu de recul éteindra les angoisses. D’autres sites de communication anonyme ont déjà existé par le passé. Secret, Whisper et Ask.fm s’y sont cassé les dents. Et plus récemment, il y a eut Yik Yak, entreprise valorisée à 400 millions de dollars, qui connu en avril dernier le même destin que ses consœurs.
 
Certes, les prédécesseures de Sarahah ne s’étaient pas hissées aussi haut dans le classement de l’App Store. Mais qu’il nous soit permis de faire un rapprochement avec un autre ancêtre sulfureux, Chatroulette. Ce site de mise en relation vidéo anonyme (mais aléatoire) avait vite dérivé en plateforme sexuelle peu reluisante. Et ce malgré toute la “franchise” sarahahesque de ses exhibitionnistes. Alors, comment dit-on “déclin”, en arabe ?