Un “nouveau Snowden” révèle le programme de drones tueurs américains

Un “nouveau Snowden” révèle le programme de drones tueurs américains

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Par Thibault Prévost

Publié le

L’explosion scandaleuse du nombre de personnes surveillées, classées et empilées dans des listes, avec chacune leur numéro et leur “vignette de baseball” attitrées, que l’on condamne à la peine de mort sans les prévenir sur un champ de bataille mondial – c’était, dès le départ, une mauvaise idée.

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La signature d’Obama derrière chaque mission

Une “mauvaise idée” confirmée par les chiffres, glaçants, qui révèlent l’ampleur des dommages collatéraux des drones Predator sans pilote, contrôlés à 12 000 kilomètres des champs de batailles par des opérateurs à peine conscients que le joystick qu’ils manient n’est pas relié à une console de jeux. Sur les 200 victimes afghanes des escadrons de la mort télécommandés du Pentagone entre janvier 2012 et février 2013 – l’Opération Haymaker, seules 35 étaient considérées comme des cibles à abattre. Sur une période de cinq mois, toujours en Afghanistan, affirme The Intercept, 90% des victimes l’ont été par erreur.
Et tout cela, Obama le sait parfaitement : selon les document détaillant la chaîne de commande (“kill chain”) de chaque élimination, le président américain a dû signer en personne chaque ordre de mission – bien qu’il soit probablement incapable de savoir où et quand la victime allait être bombardée et le nombre de pertes civiles que l’opération pouvait générer. A partir de la signature, révèlent les documents, le Joint Special Operations Command (JSOC, le centre de commandements de l’armée américaine responsable des “opérations spéciales” d’assassinat) a ensuite 60 jours pour éliminer sa cible – avec un nombre illimité de tentatives.
La politique d’assassinat à distance à l’aide de drones tueurs – baptisée “find, fix, finish” (“localiser, vérifier, terminer”, aussi appelé F3) est une trouvaille du gouvernement Obama, qui y voit dès 2009 la solution aux bourbiers afghans et irakiens et l’occasion de sonner la retraite promise pendant la campagne, tout en continuant la lutte contre le terrorisme. “Quand Obama prend ses fonctions, il n’y avait eu qu’une seule frappe de drone au Yémen – en novembre 2002”, précise Jeremy Scahill sur The Intercept. “En 2012, le Yémen subissait une frappe tous les six jours.” Entre 2011 et 2015, enfin, 178 frappes ont été effectuées au Yémen et en Somalie. Le nombre de victimes, collatérales ou non, reste classifié.

Derrière les cibles, des informations peu fiables

Le 21 janvier 2012, aux abords de Mogadiscio, c’est un missile Hellfire lancé par un drone qui tua Bilal El-Berjawi, un ex-citoyen britannique parti rejoindre Al-Qaida et connu sous le nom d’ “Objectif Peckham”. Un coup de fil passé à sa femme, qui venait d’accoucher, avait révélé sa position. Dans un des articles des Drone Papers, intitulé “Firing Blind” (“tirer a l’aveugle”), The Intercept explique comment, dans certaines régions du globe difficiles d’accès, notamment au Yémen, les renseignements américains, privés de soldats au sol et d’avions de reconnaissance, se servent majoritairement de données issues des cartes SIM et des ordinateurs pour identifier leurs cibles.
Des données que l’armée américaine elle-même décrit comme “des informations de qualité inférieure” récoltées en quantités “limitées”. C’est pourtant majoritairement avec cette méthode, en récoltant de faibles quantités de données superflues, que sont fabriquées les cibles à abattre, avec la marge d’erreur qu’on imagine. Une marge d’erreur humaine. Pourtant, aucun rapport n’évoque jamais la possibilité que la récolte d’informations erronées et l’absence de confirmation de celles-ci ait pu conduire au meurtre de civils.
Pour l’armée, écrit Jeremy Scahill, “les échecs” des frappes au Yémen et en Somalie, plus importants qu’en Irak ou en Afghanistan, “sont dus à un manque d’efficacité”. Qui s’explique par un manque de moyens technologiques, comme des caméras à haute définition permettant de s’assurer que la personne à qui l’on s’apprête à envoyer un missile est bien celle qui nous avait donnée des raisons suffisantes pour le faire.
A la suite de ces révélations, Amnesty International vient de publier une déclaration, dans laquelle elle exhorte le Congrès américain à ouvrir une enquête sur l’utilisation abusive de ce programme de drones, soupçonné de violer les lois internationales de défense des droits de l’Homme en classifiant tous les rapports d’activité. En 2014, l’ONG Reprieve avait déjà présenté un rapport accablant, révélant qu’en huit ans, les 41 cibles visées par l’armée américain au Pakistan et au Yémen auraient fait 1147 morts. Un millier d’erreurs d’analyse. Un millier d’images floues, de silhouettes vaguement reconnaissables, d’interprétations et de conclusions hâtives. Un millier d’ordres de mise à feu. Un millier de morts en vain.