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“More is more & less is bore” : rencontre avec trois créatrices de bijoux ultrakitsch

“More is more & less is bore” : rencontre avec trois créatrices de bijoux ultrakitsch

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Par Perceval Vincent

Publié le

Longtemps restés dans une mouvance minimaliste, nos tours de cou et boucles d’oreilles redeviennent enfin clinquants et opulents ! En tête de ce mouvement, trois créatrices so frenchies et 100 % kitsch. Rencontre avec les trois pies !

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Elles ont toutes trois sorti leur marque de bijoux dans la dernière décennie et ont chacune un point commun : elles aiment les pièces kitsch. Inspirées de grand-mère Yetta, du folklore de Bollywood, ou de la suprématie des masques mexicains, Marina Munoz pour Chabaux, Julie Pasquet pour Bijoux de famille et Shourouk pour sa marque éponyme sont trois jeunes femmes déroutantes par leur envie de légèreté et d’excentricité. Lancées dans un même combat, elles cherchent ainsi à faire de notre insouciance une folie assumée, pleine de couleurs et d’improbabilités.

Chabaux “cha chez beau”

Dans une dimension ultrapop et vintage, Chabaux est l’histoire d’une jeune fille qui se rêve Madame ou l’inverse ; elle ne sait plus vraiment. Ayant un père ébéniste et une grand-mère couturière, Marina Munoz a toujours baigné dans l’idée que le travail de ses mains est essentiel à l’expression de sa sensibilité. Un amour de l’artisanat qui la pousse à monter sa propre marque de bijoux. Chabaux est donc née, en hommage également au nom de son arrière-arrière-grand-père. Une façon plutôt sympathique d’attirer l’attention sur la vision vintage de son univers. “Je me sers du kitsch comme excuse à l’accumulation de toutes mes idées qui parfois peuvent se révéler peu légitimes dans la mode. J’aime le ridicool et l’overdose”, se confie ainsi Marina.

De la perle donc, mais pas façon seizième, à l’image de sa dernière collection “Flower Superstar” qui désacralise les standards primaires de la joaillerie vers quelque chose de plus régressif et girly. « C’est comme un flashback sur le moi de 14 ans qui écoutait Britney sur la plage des Caraïbes. Avec une envie de douceur et de légèreté, la fleur à l’oreille », s’amuse ainsi la créatrice.

De quoi souligner, non sans ironie, le caractère enfantin de son collier “Destiny Croco” ultramordant tant il nous rappelle notre passion pour les crocodiles de perles de notre enfance.

“Ce que j’adore avant tout dans la création de bijoux, c’est ce moment ultra instinctif où je m’entoure de mes perles nacrées, cristaux de Swarovski, pétales et matériaux et que je viens composer, assembler, tout en minutie et en cherchant la façon technique d’assembler tout ça. C’est un énorme bidouillage où la spontanéité s’exprime”,  ponctue-t-elle.

Bijoux de famille : le paquet de perles

Si le désir de faire des bijoux n’est pas inné chez certains, pour Julie Pasquet c’est plutôt une évidence tant son amour des perles depuis sa plus tendre enfance a marqué son subconscient. Ne manque alors que le temps de la réflexion, pris lors d’un périple népalo-indien et la décision est prise : à son retour, elle lance sa marque. Et puis comme elle aime le dire : “Le bijou, c’est petit, c’est précieux, et puis je crois que du fait de sa parfaite inutilité, il permet toutes les fantaisies. J’aime son superflu”, précise t-elle.

Une franchise dans les propos que l’on retrouve aussi dans le nom “Bijoux de famille” qui peut à première vue surprendre tant il apparaît couillu. Mais c’est un peu l’image de la marque qui se veut “libre, franche et décalée”. Pas de quoi faire peur mais plutôt susciter la convoitise tant les jeux de matières, les prouesses technologiques, comme les impressions sur perles, ou les mélanges colorés parfois douteux attirent le regard vers des propositions d’un kitch bien exquis.

“J’aime ce qui permet la fantaisie, j’aime les couleurs, j’aime ce qui brille, je suis une vraie pie ! Je citerais Voltaire qui disait ‘le superflu, cette chose si nécessaire'”, dit-elle pour se justifier.

Du pas franchement discret que sa dernière collection consacrée au printemps 2017 met en scène derrière un nom toujours bien provocateur.

“La collection ‘Badass’ raconte la nouvelle femme, polyvalente, entrepreneuse, qui s’en bat les c*******. Quelle qu’elle soit : ultramédiatisée, superficielle ou fictive ; la femme 2017”, confie-t-elle toujours spontanément. Une façon de voir la femme d’aujourd’hui entre Coco Chanel, Kim Kardashian et Superwoman. Une illusion aussi scintillante que pétante.

“Mes bijoux permettent de se raconter une histoire différente tous les matins. C’est pour cela que j’aime beaucoup travailler avec les clichés, les icônes ; je pense notamment au collier choker de perles, ‘mignon choux’ avec sa petite dentelle et son print léopard, et le gros bitch brodé qui se distingue seulement après, j’aime les secondes lectures”, avoue la créatrice.

Une vision décapante aussi naïve que drôle qui apporte son florilège de fantaisie, en guise de leitmotiv. “Je crois que ‘ma’ mode dit, vaz-y ma grosse même pô peur et amuse toi bien !”, ajoute-t-elle.

Shourouk, ces bijoux qui habillent

Dans la même veine de cet amour de tout ce qui brille, Shourouk Rhaiem, créatrice d’origine tunisienne, parisienne dans l’âme, est sûrement l’une des pionnières de ce retour bling-bling kitch à notre cou.

Imprégnée tant par le style faussement couture de l’univers impitoyable de Dallas que par la surenchère de strass et paillettes du tout Bollywood, elle lance sa marque en 2008 après un passage chez Chloé, John Galliano ou encore Roberto Cavalli. “Chloé a affiné ma sensibilité aux tissus et mon inclinaison aux broderies. Chez Galliano, j’ai appris à repousser les frontières pour plus de faste et Cavalli m’a initiée au business”, nous explique-t-elle.

Depuis 8 ans, Shourouk voyage et fait fi de la morosité ambiante pour se consacrer uniquement à l’enthousiasme d’une vie rêvée. Ses bijoux détonnent alors par leur bonne humeur, leurs couleurs vives et leur côté duchesse sous acide. “Je suis une fashion globe-trotteuse qui aime un peu trop le bling ! Je suis un mix entre Joan Collins, Diana Vreeland et un Bollywood movie”, ajoute-t-elle 

Au détour d’un voyage en Inde, d’un passage en Tunisie ou d’une escapade en Amérique, ses collections sont le moyen d’exorciser, tel un rite chamanique, son envoûtement pour les arts naïfs et folkloriques.

“Je suis inspirée par les voyages et je sens que je dois raconter dans mes designs tout ce que je découvre. Tout tourne ainsi autour du mélange qui fait mouche, en essayant de nouvelles techniques et matériaux”, avoue la créatrice.

Sa dernière collection est donc pour elle l’occasion de revisiter la légendaire Cléopâtre dans une adaptation plus “art déco”. Strass, sequins, pierres et cristaux dansent ainsi autour de broderies flamboyantes pour célébrer son élégance et sa décadence dans une sophistication bien pharaonique.

Et si le bijou est bien entendu roi, les accessoires font office d’outsiders avec les flacons d’Ajax, la boîte à burger ou les Coco Pops plus pop et strassés que jamais. Une forme d’art que Shourouk revendique pour et par sa culture moderne, sa fantaisie, et bien entendu son rire. “Dans notre monde, il manque beaucoup de fantaisie, les gens se prennent trop au sérieux et il manque ce petit ‘je ne sais quoi’. Il faut avoir de l’humour, de la curiosité et le sens de l’ironie. Il faut oser !”, conclue-t-elle.

Que ce soit à partir des crocos de Chabaux, de la badass de bijoux de famille ou de l’héroïne bollywoodienne de Shourouk, ce kitch assumé est la parfaite illustration du “More is more & less is bore”, prôné par Iris Apfel. La messe est dite.

Perceval VINCENT