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Louisiane, 22 ans, dans les limbes de la MDMA

Louisiane, 22 ans, dans les limbes de la MDMA

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Par Marine Lecaque

Publié le

Au mois de mai dernier, Louisiane C. Dor a publié son premier roman, Les méduses ont-elles sommeil ?. Un livre semi-autobiographique, dans lequel la jeune auteure raconte sa plongée dans la consommation de MDMA.
Originaire du Limousin, Louisiane C. Dor quitte la Côte d’Azur à l’âge de 18 ans pour emménager à Paris. Aujourd’hui âgée de 22 ans, elle est l’auteure d’un ouvrage mêlant autobiographie et fiction, dans lequel elle aborde l’enfer qu’elle a vécu pendant huit longs mois, à cause de la MDMA, principe actif de l’ecstasy très en vogue aujourd’hui.
Pour Konbini, elle a accepté de raconter sa véritable expérience et ce qui l’a poussé à prendre la plume. Elle ne prétend en aucun cas détenir une quelconque vérité sur la drogue ni même une solution. Elle ne veut surtout pas que son expérience soit dramatisée, ni qu’on la confonde avec une militante anti-drogue. Elle a simplement ressenti le besoin de partager son histoire.
K | Qu’est-ce qui t’a poussée à quitter le Sud pour t’installer à Paris ?
Louisiane C. Dor | Je faisais de la photo et Paris c’est quand même plus approprié pour faire ce métier. Je suis montée afin de tenter ma chance dans l’audiovisuel. Ça n’a pas trop mal marché d’ailleurs…
Avant de t’installer à Paris, tu avais déjà consommé des drogues ?
Non pas du tout, j’étais totalement clean.
J’ai lu dans Paris Match que la drogue t’évoquait le monde des stars, une image dorée… Ça te vient d’où cette façon de penser ? Des films ? Des médias ?
Je la rapproche de l’univers des célébrités parce que pour moi c’était quelque chose d’inaccessible. Je pense que les médias créent un peu cette image. La drogue est présente dans les films, sur les marques de vêtements, dans les photos… C’est quelque chose d’interdit, et les jeunes ont tendance à n’aimer que ce qui est interdit. Ça me paraissait non seulement quelque chose de fou, mais de classe aussi.
La façon dont on en parle, surtout dans les films, a un effet très contre-productif. Cela ne fait pas assez peur. À part Requiem for a dream qui renvoie une image de la drogue comme quelque chose de vraiment dégueulasse, je n’ai jamais été effrayée ou choquée en regardant un film sur la drogue. Je n’ai jamais été prise au cœur au point de me dire : “Olala quelle merde je n’y toucherai jamais !” On est à fond dans le film mais ça ne choque pas vraiment, ça fait presque la publicité ou l’apologie de la drogue. Comme on dit : il n’y a pas de mauvaise publicité.
Tu es arrivée à Paris pour faire des photos et tu t’es installée chez une amie. Comment ta consommation a commencé ?
Ce qu’il faut savoir c’est que le livre que j’ai écrit n’est pas totalement autobiographique. C’est inspiré de ma vie. Il y a des scènes qui sont bien réelles, comme celle où l’on est installé devant une table basse et où je prends de la cocaïne pour la première fois. La scène qui se termine en bad trip est également bien réelle. Mais tout le reste relève de l’invention. Les personnages n’existent pas. Les gens me demandent des nouvelles de certains personnages alors que je les ai totalement inventés… . Certains lieux ou concerts dont je parle, je n’y suis jamais allée. Mais il n’empêche que j’ai touché à toutes ces choses quand même.
Je suis arrivée à Paris en septembre 2012, comme dans le livre. J’y étais déjà allée avant. Au bout d’une semaine on m’a offert de la cocaïne parce que ma colocataire en prenait énormément. Elle me l’a proposée avec un air maternel, presque comme pour me rendre service. Du genre : “Je préfère que tu essaies avec moi plutôt qu’avec n’importe qui“. Cette femme plus âgée que moi est vraiment une amie. J’imagine qu’elle pensait bien faire. C’est un peu bizarre mais c’est comme ça que ça s’est passé.
Ta colocataire consommait déjà beaucoup avant votre emménagement commun ?
Oui, mais le fait que je sois arrivée et qu’on ait commencé à sortir a augmenté sa consommation. Parce qu’elle avait quelqu’un avec qui consommer. C’est un peu comme si on s’entraînait toutes les deux. Elle consommait seule mais pas autant qu’avec moi. Une ou deux semaines après mon arrivée à Paris, j’ai découvert la MDMA. Ma coloc’ n’en avait jamais pris, c’est moi qui l’ai incitée. Du coup, on a un peu échangé nos vices, comme un échange de mauvais procédés.

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“La MD est un produit de consommation qu’on achète aussi facilement qu’un sac à main”

Tu sais qu’il y a une théorie selon laquelle si tu commences à consommer des drogues douces tu finiras par consommer des drogues dures… Tu en penses quoi ? C’était le cas pour toi ?
Non, aucune ne m’a vraiment conduit vers une autre. J’ai tout essayé à part, après c’est une question de goût. Par exemple, j’avais essayé les joints quand j’étais plus jeune et je n’avais pas aimé ça. Alors que la MD, dès la première prise, ça m’a plu. Déjà le terme “drogue dure” est un terme que je trouve un peu con. Une femme qui a perdu son mari d’un cancer du poumon ne dira que la cigarette est une drogue dure, et pourtant…
Est-ce que ce n’est pas aussi une question de mode ? De ce qui se consomme à tel ou tel endroit ? De ce qui marche en soirée ?
C’est plus que la mode ! C’est effrayant parce que la MD est un produit de consommation qu’on achète aussi facilement qu’un sac à main.
On a tendance à banaliser la MDMA par rapport à d’autres substances. Beaucoup pensent que c’est une drogue festive qui ne rend pas accro. Quel est ton avis là-dessus ?
Ce n’est pas vrai. Déjà, pourquoi la cocaïne serait dangereuse et pas la MD ? C’est le même genre d’addiction à mes yeux. Je ne suis pas scientifique, je ne prétends pas connaître la vérité. Mais pour moi, ce sont des drogues qui ne rendent pas accro physiquement mais psychologiquement. On a très envie d’en prendre et on ne fera pas de soirée sans en consommer. Puis on en consomme de plus en plus et on finit par sortir pour avoir un prétexte pour consommer. C’est là que ça devient dangereux.
Ça te fait flipper de constater que de plus en plus de gens, et surtout de plus en plus jeunes, prennent de la MD ?
Ça fait longtemps que les jeunes se droguent très tôt. Il n’y a qu’à voir le livre de Christiane F [Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée…, ndlr] : elle avait 13 ans quand elle a commencé. Mais c’est vrai que de sortir en boîte et consommer des drogues festives est quelque chose que l’on fait de plus en plus jeunes et surtout de plus en plus tôt.
Beaucoup pensent qu’il faut forcément être au fond du trou pour se droguer. C’est n’importe quoi. Personnellement j’allais très bien. Si j’ai commencé et surtout continué de me droguer c’est parce que ça m’a plu. Je pense qu’il n’y a pas beaucoup de monde qui prendra de la MDMA et qui dira ensuite que c’était nul si la montée s’est bien passée.
Ce qui fait peur c’est qu’on ne se rend pas du tout compte. On a vraiment l’impression qu’on fume une clope. Et ceux qui sont autour en mode : “Olala, mon Dieu la drogue dure“, on n’y croit pas du tout non plus, on leur rigole au nez alors que c’est vraiment dangereux, il pourrait vraiment t’arriver des merdes. On n’en est pas conscient du tout.

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“Les méduses sont les consommateurs de MDMA : légers, souples et lumineux”

Au-delà du fait de te soulager, quel message as-tu voulu faire passer en écrivant ce livre ?
Je voulais montrer l’œil qu’on peut avoir quand on est adolescent. On a une réalité totalement différente. Des livres sur la drogue, il y en des tas. Moi je voulais donner mon regard d’ado pour vraiment montrer ce que j’ai pu ressentir à ce moment-là.
Et pourquoi ce titre, Les méduses ont-elles sommeil ? ?
On le comprend au fil du livre. Les “méduses” sont les consommateurs de MDMA : légers, souples et lumineux. Le titre pose une question non résolue. C’est pour demander aux consommateurs s’ils n’en ont pas marre, s’ils ne sont pas fatigués et s’ils ne veulent pas aller se coucher ou arrêter un jour.
C’est le premier livre en France qui témoigne d’une addiction à la MDMA. Est-ce que tu penses que ça va changer un peu les choses ? 
Honnêtement je ne sais pas. En écrivant je n’ai même pas pensé à informer les gens, je l’ai écrit parce que je voulais raconter cette histoire. Je n’ai pas du tout pensé au reste. En tout cas, si cela peut faire réagir certains, c’est merveilleux ! Sinon ça restera un livre avec une histoire, un roman qui plaira à d’autres.
Qu’est-ce que tu reçois comme réaction de la part de tes lecteurs ?
Ces derniers jours, j’en ai vendu des centaines et je reçois des dizaines de mails par jour, la plupart positifs. J’ai eu deux ou trois réactions vraiment agressives. Certains m’ont dit que “huit mois de drogue ce n’était pas suffisant pour chier un roman“, qu’il y avait des cas bien pires et que ce n’était pas à moi d’écrire sur le sujet. Je n’ai jamais prétendu faire un livre informatif ou un roman qui détenait la vérité absolue. Je l’ai même écrit dès les premières pages du livre.
J’ai lu des commentaires qui te reprochaient d’être opportuniste ou carrément de ne pas savoir te droguer avec modération…
 Exactement. C’est le genre de discours qui dit : : “Consommez tant que vous ne consommez pas trop.” La drogue ce n’est pas : “Consommez-en un peu ça va“, c’est “N’en consommez pas du tout !”. C’est stupide de dire c’est trop ou pas assez.
Aujourd’hui, quels sont tes projets ? Tu vas continuer à écrire ?
En ce moment, j’écris un autre roman qui n’a strictement rien à voir avec le premier, beaucoup moins dramatique voire pas du tout. Avec ce roman j’ai eu énormément de retours positifs. Je ne l’ai pas écrit pour faire un témoignage mais parce que j’aime raconter des histoires. Si on ne me colle pas une étiquette comme Christiane F, ou l’anonyme de L’Herbe bleue, je pourrai continuer à écrire des histoires toutes différentes les unes des autres. L’écriture, c’est vraiment quelque chose qui me plaît.
Le livre Les méduses ont-elles sommeil ? de Louisiane C. Dor est disponible sur Amazon.