Massacre des dauphins aux îles Féroé : un militant de Sea Shepherd témoigne

Massacre des dauphins aux îles Féroé : un militant de Sea Shepherd témoigne

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Par Jeanne Pouget

Publié le

Chaque année, entre juin et septembre, s’ouvre la chasse saisonnière du dauphin pilote aux îles Féroé. Une pratique ancestrale aux allures de massacre que les populations et les autorités locales ne souhaitent pourtant pas voir disparaître. 

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Dans l’archipel danois des îles Féroé, situé dans l’Atlantique nord, environ 800 cétacés meurent chaque année au cours du grindadráp (mise à mort des baleines). Cette tradition féringienne de chasse à la baleine (et au dauphin) consiste à piéger ces animaux dans une baie ou un fjord afin de les tuer à mains nues. Cet abattage sportif, qui n’a aujourd’hui plus d’autre vocation que le divertissement, est décrié par un large pan de la population locale, l’opinion publique et les ONG.

En tête, l’organisation Sea Shepherd, qui tente chaque année de sauver dauphins et baleines en patrouillant sans relâche de l’aube au coucher du soleil. Alors que la saison de la chasse pour l’année 2016 a été ouverte hier, mercredi 6 juillet, nous publions le témoignage de Xavier Figarella, un militant de 24 ans, originaire de Corse, qui avait embarqué sur un navire de l’ONG il y a tout juste un an. Arrêté et brièvement emprisonné aux îles Féroé pour s’être opposé à ce massacre, il nous avait alors parlé de son combat contre le “grind”.

Une pratique à la légalité obscure

La Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe a classé le globicéphale noir (appelé baleine pilote ou dauphin pilote) comme une espèce strictement protégée. Et si les îles Féroé ne sont pas membres de l’Union européenne, elles demeurent en tant que pays constitutif du royaume du Danemark sous l’autorité de Copenhague. Ce qui signifie que même si l’archipel possède son propre gouvernement, le Danemark contrôle la police, la défense, la politique étrangère et la monnaie.

Or en 2015, deux navires de guerre de la marine nationale danoise ont patrouillé pour assurer le bon déroulement du grind, “un soutien aux îles Féroé qui n’est pas justifiable, puisque le Danemark est signataire de la convention de Berne, relative à la protection de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe”, nous explique Xavier, avant d’ajouter : “L’objectif de notre mission était donc simple: sauver un maximum de dauphins en les éloignant des côtes, avant qu’ils ne soient repérés par les locaux, ce qui est très difficile, compte tenu du nombre très important de navires de pêche, ferries, hélicoptères [affrétés pour l’occasion].

L’horreur de la “killing beach”

Alors que l’équipe de militants venait d’être informée de la tenue d’un grind aux abords des côtes de l’île Mykines, Xavier a embarqué à bord d’un bateau semi-rigide de deux mètres avec une collègue photographe afin de documenter le massacre.

“Au détour d’un rocher, les dauphins apparurent. C’était la première fois que je voyais autant de dauphins, c’était magnifique de les voir nager, sortir de l’eau, les uns après les autres. Puis quelques secondes plus tard, on aperçut une vingtaine de bateaux qui formaient un arc de cercle derrière eux […] et escortaient le banc d’une centaine de dauphins à l’intérieur du fjord, en direction de la ‘killing beach’, sous la surveillance et la protection des deux navires militaires danois.”

C’est alors que deux navires de guerre danois leur barrent la route : À ce moment-là, j’ai explosé, explique le militant. Je n’étais plus apte à réfléchir, écouter. Je ne pouvais plus être raisonné […] Je me sentais seul dans cette petite embarcation de deux mètres, face à ces deux navires de guerres, leurs semi-rigides, et toute cette flotte.”

Le jeune militant explique l’amertume qu’il a tirée de cette première expérience de patrouille, confronté à son impuissance face à une situation violente et injuste :

“Cette image reflétait parfaitement la situation du monde actuel. Les hommes détruisent la planète, sous la protection des gouvernements. Les seuls à vouloir la protéger n’en ont tout simplement pas les moyens. Lorsqu’ils essaient, ils sont arrêtés, traînés en justice, mis en prison, ou selon les pays, parfois tout simplement éliminés.”

Une tradition devenue obsolète

“Pourquoi toutes les espèces vivantes sur cette terre ont-elles très bien compris cette notion de ‘survie de leur espèce’, excepté l’homme ? Pourquoi détruisons-nous notre environnement ?” s’interroge Xavier. Bien souvent pour des raisons économiques peu louables, mais ici, c’est le divertissement qui est invoqué, un argument plus que dérangeant :

” C’est bien beau de parler de tradition, mais à l’époque, ils avaient des barques en bois et des rames, ils faisaient des feux pour signaler la présence des baleines, ce qui était beaucoup plus difficile, et qui prenait beaucoup plus de temps. Ils le faisaient pour survivre, car les baleines étaient leur principale source de protéine. Il y avait un réel combat, ils ne réussissaient sans doute pas toujours. Maintenant, ils ont des hélicoptères, des ferrys, des bateaux de commerce, tout le monde est impliqué. Il n’y a plus aucune notion de chasse. C’est de la cueillette.”

Aujourd’hui, les locaux n’on plus besoin de cette viande de baleine, par ailleurs impropre à la consommation et largement gaspillée :  “Cette viande est toxique, car elle présente un taux de mercure dix fois trop élevé pour la consommation. C’est tout simplement scandaleux de nourrir ces enfants avec ce poison. Par ailleurs, ils en jettent la majeure partie à l’eau. Ils tuent pour s’amuser et rejettent la grande majorité à la mer.”

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La férocité de l’homme face à la nature

En définitive, l’histoire de Xavier Figarella, outre de relater l’échec d’une première action militante, résume le questionnement que chacun d’entre nous peut ressentir face à ce genre de situation : “De quel droit nous permettons-nous de décider si un être vivant doit vivre ou mourir ; qui sommes-nous ?”

“Il n’y a, selon moi, rien, absolument rien, qui justifie que l’on tue. Que ce soit des êtres humains ou des animaux, que ce soit pour une tradition, que ce soit pour une religion […], il n’y a rien qui justifie un massacre. Tuer un dauphin, c’est comme couper un arbre. C’est détruire la planète. Rien ne justifie d’ôter une vie. Force est de constater que le monde se porterait bien mieux sans nous”, conclut Xavier.

Lors de ce grind du 23 juillet 2015, 250 baleines ont été tuées en une seule journée (plus de 500 sur toute la saison) contre 33 seulement l’année précédente, durant laquelle l’action de Sea Shepherd avait conduit à sauver plus de cétacés. Après plusieurs jours de détention et un procès en appel à l’automne, le jeune militant aujourd’hui âgé de 25 ans a pu regagner la Corse, plus déterminé que jamais.

Propos recueillis par Arthur Cios en juillet 2015 

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