La légalisation du cannabis en France rapporterait 2 milliards d’euros par an

La légalisation du cannabis en France rapporterait 2 milliards d’euros par an

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Par Théo Chapuis

Publié le

Une étude du think tank Terra Nova imagine trois scénarios pour le cannabis en France, de la dépénalisation à la légalisation. 2 milliards par an à la clé.

Non non et re-non, la légalisation du cannabis ne passera pas en France. Il est même interdit de l’imaginer. Du moins c’est ce que martèle depuis le début de son mandat l’administration Hollande. Dernier exemple en date de l’impossibilité d’ouvrir le débat, même sur les applications thérapeutiques de la plante : l’annonce en début de semaine de la ministre de la santé Marisol Touraine de tout faire afin de rendre illégal KanaVape, la e-cigarette au cannabidiol – et non au THC, substance psychotrope.
Mais les lignes bougent : récemment, un rapport parlementaire allait jusqu’à préconiser “une vente sous contrôle de l’Etat”. Il y a jusqu’à l’ONU, où la Commission mondiale sur les drogues travaille sur le sujet, qu’on évoque l’intérêt d’une légalisation contrôlée.
Mais alors qu’il est toujours interdit, en France, de présenter le cannabis sous un jour positif (c’est la loi), Le Monde diffuse en exclusivité les résultats d’une étude du think tank Terra Nova. Et pour de nombreuses raisons, il est plutôt favorable à un changement d’attitude. Il y a de quoi : selon ce document, qui imagine plusieurs scénarios sanitaires et financiers liés à la dépénalisation ou à la légalisation du cannabis, l’Etat pourrait s’assoir sur près de 2 milliards d’euros par an.
Les auteurs de l’étude intitulée Cannabis : réguler le marché pour sortir de l’impasse sont le professeur Pierre Kopp de Panthéon-Sorbonne, Christian Ben Lakhdar de l’Université Lille 2, tous deux économistes et spécialistes des drogues, ainsi que Romain Perez, responsable du pôle économie et finances de Terra Nova.
Leur constat de la défaite de la “War on drugs” est sans appel : “La politique de répression est en échec en France”. Il faut reconnaître que selon les chiffres, de très nombreux citoyens sont des hors-la-loi : 8,4 % des 15-64 ans ont fumé un joint au moins une fois dans l’année et 550 000 individus en consomment au quotidien. C’est la proportion la plus élevée d’Europe, ex æquo avec le Danemark.
Et si cet échec est bien visible, cette politique coûte pourtant très cher : un budget de 568 millions part chaque année en fumée, parmi lesquels 300 millions sont alloués aux seules interpellations. Sans compter l’impact négatif, à long terme, sur notre société : violence dans les “quartiers”, consommation de produits frelatés…
Le travail de ces chercheurs, qui se veut complet, imagine trois scénarios différents sur les quantités vendues, les finances publiques, le marché noir et le nombre d’usagers. Des projections imagées dans un graphique signé Les Décodeurs.

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Scénario 1 : Dépénalisation du cannabis

Des pays comme le Portugal, la République Tchèque ou l’Espagne pratiquent une politique de tolérance : là-bas, l’individu n’est pas sanctionné en cas de détention de cannabis à des fins personnelles. Selon Terra Nova, même si l’application de ce scénario en Hexagone ne permettrait pas d’enregistrer de nouvelles recettes fiscales, il réduirait néanmoins de 55 % le coût policier, judiciaire et carcéral de la répression. Le think tank parle d’une économie de 311 millions par an.
Ce scénario conduit à un non-contrôle du prix (qui resterait le même), ni du produit, puisque pour les dealers, le risque serait inchangé. De plus, selon les projections du trio d’économistes, il faudrait compter sur une hausse du trafic de 16%, 6 000 consommateurs quotidiens et 309 000 fumeurs occasionnels supplémentaires.

Scénario 2 : légalisation de la vente, de la production et de l’usage sous monopole de l’Etat

Ce serait un bouleversement qui ferait date sous notre bonne vieille République, avec un modèle : l’Uruguay évidemment. Rendre le cannabis légal, mais le vendre dans le cadre d’un monopole public. À la clé, une majoration de 40 % du prix actuel, 6 euros le gramme, à 8,40 euros afin d’intégrer au prix de vente le coût des risques encourus actuellement sur le marché noir, comme les interpellations ou la garde à vue par exemple.
Le cannabis taxé à équivalence du tabac, soit 80%, permettrait d’enregistrer des “recettes fiscales significatives”. Le think tank les chiffre à 1,3 milliard par an. Aussi, par une réduction importante des frais de justice et de police, il annonce une coupe de 523 millions dans les 568 millions alloués chaque année à la répression (soit – 92% pour les pouvoirs publics). Ce scénario rapporterait à l’Etat la coquette somme de 1,8 milliard d’euros.
L’étude ajoute que si le prix restait le même qu’aujourd’hui, le nombre de fumeurs quotidiens bondirait de plus de 47 % pour atteindre le chiffre de 812 000 individus. Aussi, les recettes s’élèveraient à 1,6 milliard car le marché noir n’aurait tout simplement plus de raison d’être (eh non). Recettes totales pour l’Etat : 2,1 milliards d’euros.

Scénario 3 : légalisation dans un cadre concurrentiel

L’économie de marché appliquée au cannabis, voilà le troisième scénario de Terra Nova. Avec cette fois-ci pour modèle le Colorado, qui autorise depuis le 1er janvier 2014 ses citoyens à acheter jusqu’à 28 grammes de cannabis à chaque visite dans un magasin qui en dispense.
Mais qui dit capitalisme dit concurrence financière, donc probable baisse des prix. Cette projection de Terra Nova, si elle est la plus avantageuse en termes financier, encouragerait le volume de consommateurs quotidiens à augmenter de 71% avec 393 000 fumeurs supplémentaires. Soit près d’un million.
Un tel bond du volume de consommateurs devrait rapporter 1,7 milliard d’euros par an à l’Etat. Or la réduction des dépenses publiques serait moins importante que dans le cas du scénario numéro 2 (- 86% contre – 92%) puisque les dépenses de santé augmenteraient. L’Etat engrangerait tout de même 2,2 milliards d’euros par an selon cette projection.

Quel bilan ?

Les chercheurs de Terra Nova, qui rappellent tout de même l’enjeu de santé publique, privilégient le scénario n° 2 qui “présente les meilleures garanties en termes de contrôle de la prévalence [le nombre de consommateurs, ndlr] et de protection des populations les plus vulnérables”.
Ils listent les avantages comme suit : utilisation du budget de la police et de la justice au bénéfice d’autres missions, réduction des niveaux d’interpellation, impact budgétaire positif et politiques de prévention et de réduction des risques dotées de meilleures ressources – notamment auprès des jeunes.
Le think tank ajoute que cette projection créerait 13 000 emplois, hors ceux liés à la production. Mais quid du marché noir ? Si aujourd’hui on estime que 100 000 individus tirent leurs revenus du deal de cannabis, ils proposent de légaliser et de vendre à un coût à peine plus cher que le prix actuel et de l’augmenter petit à petit. Selon les économistes, ce serait une méthode efficace puisque prévention et majoration des prix ont été efficaces sur un autre terrain : celui du tabagisme.

Pas plus de consommateurs

“Le problème, c’est qu’en France le cannabis n’est pas cher. Le système clandestin le rend très bon marché, parce que c’est duty-free”, explique Romain Perez, qui insiste sur le fait qu’un prix bas entraîne davantage d’individus à consommer. Il en veut pour preuve le nombre de fumeurs plus élevé en France qu’aux Pays-Bas, alors que la vente y est autorisée.
Mais avec la levée de l’interdit, n’y aurait-il pas un bien plus grand nombre de consommateurs ? Pas spécialement, selon Christian Ben Lakhdar, qui évoque un équilibre entre ceux qui souhaiteraient s’y mettre du fait de la légalisation et ceux qui fument aujourd’hui pour braver l’interdit. D’ailleurs, comme il le dit si bien, ce n’est pas comme si se procurer du cannabis était d’une complexité extrême en France aujourd’hui.

La fin de la guerre à la drogue ?

Cette étude est une preuve supplémentaire que la “War on drugs” a fait long feu. “Il y a un consensus chez les économistes, en tout cas sur les problèmes que pose la prohibition”, prétend Christian Ben Lakhdar. L’universitaire se permet de rappeler qu’un récent rapport de la London School of Economics rédigé par cinq prix Nobel d’économie proclamait la mort annoncée de cette politique de répression.
Ce texte préconisait davantage de rediriger les fonds vers des politiques dont on connaît l’efficacité et qui seraient validées par une analyse rigoureuse. Or, il ajoute que, “la contradiction pourrait plutôt venir des médecins, qui logiquement abordent la question en termes de problématiques individuelles, et non de coût social” .
Nous le rappelions en début d’article, il est interdit de présenter le cannabis sous un jour positif en France. Aussi Thierry Pech, directeur de Terra Nova, défend son groupe de travail de faire la promotion de Marie-Jeanne, même s’il commente : “Notre boulot, c’est de repérer ce qui ne fonctionne pasCe n’est pas parce que le politique n’est pas en situation de se saisir de cette question que la société civile n’a pas intérêt à y réfléchir.”
A lire –> Infographie : les retombées positives de la légalisation du cannabis aux Etats-Unis