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Sur Instagram, une communauté d’adolescents poste des mood boards sanguinolents

Sur Instagram, une communauté d’adolescents poste des mood boards sanguinolents

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Par Dora Moutot

Publié le

Culte du suicide ou passion esthétique pour le sang ? Une communauté d’adolescents espagnols poste des images d’hémoglobine sur Instagram. Un phénomène inquiétant.

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En me promenant sur Instagram, je suis tombée sur une communauté d’adolescents espagnols, qui cultivent une passion morbide. Plus exactement une passion pour la qualité esthétique du sang : des flaques de sang, des nez qui saignent, des images qui ont tout l’air de scènes de suicide ou de meurtre… les comptes de ces adolescents sont à la fois terriblement inquiétants, mais également – et c’est sans doute politiquement incorrect de le dire – poétiques. Un bras mutilé, du sang, une fleur blanche trempée dedans… La mort et la douleur se retrouvent totalement romantisées.

Cette communauté rassemble des comptes où le mot “blood” a souvent sa place, tels que @bloodyland._ , @dark_bloody_, @tumblrbloody, @bloodyking._. Les adolescents derrières ces pages postent en parallèle de leur “curation” d’images (il semblerait que la plupart des images postées soient trouvées en ligne et ne soient pas leur propres photos) des textes qui sonnent quelque peu suicidaires et rappelleront à certains le genre de phrases dépressives qu’ils ont pu, plus jeunes, gribouiller sur leurs carnets ou leur Skyblog.

On lit des phrases qui sentent le mal-être à plein tube, comme : “Tu dois mourir plusieurs fois avant de pouvoir vraiment vivre” ; “Je suis si habituée à me sentir moche que quand quelqu’un me dit quelque chose de gentil, que je suis jolie, je ne me sens pas à l’aise et j’ai l’impression qu’on me ment pour que je me sente mieux” ; “Tu pleures, mais il n’ y a pas une seule larme qui coule. Tu as l’air morte mais tu respires encore, tu ne ressens plus rien, mais la douleur est encore là.”

L’iconographie du mal-être adolescent

Ce n’est bien sûr pas la première fois que des adolescents se regroupent sur la Toile pour mettre en scène leur mal-être à travers une iconographie bien spécifique. Il y a quelques mois, à la suite d’une vague de suicides d’adolescents en Russie, la presse avait fait la découverte sur le réseau social russe VK, de groupes privés d’adolescents qui vouaient un culte au suicide, le tout caché derrière des images, non pas de sang, mais de baleines. Pourquoi le choix iconographique de cet animal ? Selon une croyance populaire, les baleines s’échoueraient volontairement sur les plages pour mourir.

Quelques années plus tôt, c’était la communauté pro-ana qui faisait parler d’elle. Rappelez-vous, il s’agissait de groupes d’adolescents promouvant l’anorexie qui se donnaient des conseils dangereux dans l’espoir de devenir terriblement maigres. Les photos de ventre creux et de “thigh gaps” y étaient légion.

https://smutnewiesz.tumblr.com/post/159408877984/chciała-bym-być-taka-chuda

Il n’est pas forcément facile de faire la différence entre une communauté qui peut se révéler dangereuse pour elle-même ou une autre qui prône un “lifestyle”, un sens esthétique, une recherche arty, aussi poussée soit-elle. Parfois les deux sont indissociables.

Il y a quelques années, le réseau social Tumblr avait vu naître la tendance “pastel goth” aussi appelée “soft grunge”, une tendance dans laquelle les photos de bleus sur le corps et de veines visibles à travers la peau, mélangées à des photos de fleurs et d’accessoires kawaii étaient très populaires. Cette tendance adolescente, bien que fort mélancolique, ne s’était pas avérée être un danger, mais plutôt un mouvement arty.

“Ne pas dénoncer”

Évidemment, sur la plupart des comptes des instagrameurs “bloody”, il est écrit “NO DENUNCIE”, ce qui veut dire “ne pas dénoncer”, car évidemment une fois les comptes repérés, Instagram tente d’éradiquer ce genre de communauté borderline.

Faut-il supprimer ce genre d’espace Internet où les adolescents se retrouvent ? Est-ce dangereux ? Cette recherche esthétique pousserait-elle des ados à la recherche du like, à se mutiler pour poster des images ? Ou est-ce au contraire une bonne chose que de faire des mood boards arty afin d’exorciser son mal-être?

J’ai tenté de contacter plusieurs de ces instagrameurs fascinés par l’hémoglobine pour comprendre le sens de leur démarche, en vain. Je n’ai pas de réponse, et point de jugement. Que des questions.

Ces comportements peuvent être dangereux, n’essayez en aucun cas de les reproduire.