Il est encore légal d’épouser une enfant de 12 ans aux États-Unis

Il est encore légal d’épouser une enfant de 12 ans aux États-Unis

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Par Alexandra Phanor-Faury

Publié le

248 000 mineurs ont été mariés à des adultes entre 2000 et 2010 sur le territoire américain.

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L’année dernière, le youtubeur Coby Persin avait mis en scène un faux couple à Times Square, en plein cœur de New York, pour dénoncer les mariages d’enfants. La vision d’une jeune fille de 12 ans dans une robe de mariée au bras d’un homme de 65 ans avait fait réagir les passants, dont certains s’étaient scandalisés : “C’est n’importe quoi, ce n’est pas légal”, s’était exclamé l’un d’eux.

Pourtant, c’est justement à New York qu’Esther, alors âgée d’à peine 17 ans, s’est retrouvée mariée de force. Sa famille modeste, membre de la communauté juive hassidique, l’avait promise à un homme riche de 23 ans, qui lui a fait subir dix années d’abus et de viols, jusqu’au jour où, enfin, elle a obtenu le divorce. Le plus choquant dans cette histoire, c’est que son mariage était complètement légal.

Aux États-Unis, les unions entre des hommes et des jeunes filles mineures de 12 ans et plus sont souvent autorisées par la loi. Si la majorité des États du pays fixent l’âge minimum légal du mariage à 18 ans, des vides juridiques archaïques et des “exceptions” rendent possibles les mariages d’enfants quasiment partout. Une situation qui permet notamment aux maris d’éviter d’être accusés de viol (l’écrasante majorité des victimes étant des jeunes filles). Même si une jeune fille n’est pas considérée comme légalement en âge de consentir à une relation sexuelle, les rapports qu’elle peut avoir si elle est mariée s’inscrivent dans le cadre juridique de l’institution maritale. D’ailleurs, dans 27 États, la loi ne stipule même pas d’âge minimum pour le mariage. Cependant, si des enfants peuvent se marier, il leur faut ensuite attendre d’atteindre l’âge adulte pour être autorisés à divorcer.

Des répercussions dévastatrices

Unchained at Last est une association américaine qui aide des victimes de cette aberration juridique à s’échapper de leur mariage forcé. Il y a quelques semaines, l’organisation a publié une tribune dans le Washington Post pour faire un état des lieux de la situation et tirer la sonnette d’alarme en dévoilant un nombre édifiant :

“248 000 enfants ont été mariés de force entre 2000 et 2010 sur le territoire américain.”

Paradoxalement, mettre fin aux mariages d’enfants est une priorité pour le gouvernement américain… mais en-dehors de ses frontières. Dans les pays en voie de développement, une jeune fille sur trois est mariée à 18 ans et une sur 9 à 15 ans. Face à ce constat, le département d’État (l’équivalent du ministère des affaires étrangères français) a lancé en mars 2016 un programme intitulé “Stratégie globale d’aide aux adolescentes“, dans le but affiché de venir en aide aux victimes de mariages forcés. Le document de présentation de ce programme qualifie les mariages d’enfants “d’abus des droits de l’Homme” qui ont des “répercussions dévastatrices sur la vie des petites filles” et “mettent fin à leur enfance”.

Pourtant, quand il s’agit d’éradiquer ce phénomène au sein même du pays, les législateurs sont plus lents à réagir, en dépit des nombreuses études qui confirment l’impact dévastateur des mariages d’enfants sur la santé et l’éducation des victimes, pour qui le risque de subir des violences domestiques est multiplié.

Fraidy Reiss, fondatrice et présidente de l’association Unchained at Last, explique dans sa tribune publiée par le Washington Post :

“Les femmes qui se marient à 18 ans ou moins ont 23 % de chances supplémentaires de faire une crise cardiaque, d’être touchées par le diabète ou d’avoir un cancer que les femmes qui se marient entre 19 et 25 ans. Notamment parce que ces mariages sont vecteurs de stress et mettent fin à leur cursus scolaire.

Les femmes qui se marient avant 18 ans ont aussi plus de chances de développer divers troubles psychologiques, quel que soit leur milieu socio-démographique d’origine. Les Américaines qui se marient avant 19 ans ont 50 % plus de chances d’abandonner l’école, et sont quatre fois moins susceptibles d’aller à l’université que leurs conjoints.

En se mariant jeune, les femmes augmentent de 31 % leurs chances de vieillir dans la pauvreté […]. Et, selon une étude internationale, les femmes qui se marient avant 18 ans ont aussi trois fois plus de chances d’être battues par leur époux que celles qui se marient après 21 ans.”

Un problème en augmentation

L’association Tahirih Justice Center, qui offre des conseils juridiques, du soutien et une éducation aux immigrées mariées de force, a publié une étude en 2011. Elle révèle qu’aux États-Unis le nombre de mariages forcés est en augmentation au sein de certaines communautés originaires de 56 pays – dont l’Inde, le Pakistan, le Bangladesh, le Mexique, les Philippines, le Yémen, l’Afghanistan et la Somalie.

Pour autant, il ne s’agit pas d’un problème qui ne concerne que les immigrés. Les mariages forcés se produisent dans toutes les couches socio-économiques de la société américaine et dans tous les cercles religieux, particulièrement dans les communautés isolées où aller contre les normes culturelles peut avoir de sérieuses conséquences. C’est le cas d’Esther, qui a grandi au sein d’un groupe juif orthodoxe strict. Les circonstances qui aboutissent aux mariages forcés sont aussi diverses que complexes. Mais dans bien des cas, elles peuvent être imputées à la religion, à des traditions, à des problèmes d’immigration (le mariage étant l’une des voies royales vers la citoyenneté) ou encore au manque d’argent.

Heureusement, les choses évoluent : en 2016, l’État de Virginie, où 4 500 enfants ont été mariés entre 2004 et 2013, a fait passer l’âge minimum légal pour se marier à 18 ans, grâce au plaidoyer de l’infatigable association Tahirih Justice Center. Les législateurs ont ajouté une exception pour les mineurs émancipés, qui peuvent se marier dès 16 ans.

Traduit de l’anglais par Sophie Janinet