Pourquoi il faudrait aborder plus souvent la question de l’homme-objet

Pourquoi il faudrait aborder plus souvent la question de l’homme-objet

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Par Olivia Cassano

Publié le

Le corps féminin est en permanence l’objet de tous les regards et il faut trop souvent rappeler que la valeur d’une femme n’est en aucun cas liée à sa “baisabilité”. Pourquoi hommes et femmes ne sont-ils pas égaux face à la question? 

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Condamner l’idée de la femme-objet mais ne voir aucun problème lorsque cela implique les hommes, n’est-ce pas ce que l’on appelle le sexisme inversé? 

La question a été abordée lors d’une interview avec Leslie Mann et Dakota Johnson au cours de laquelle les deux actrices ne cessaient de flirter avec le pauvre journaliste dont les yeux étaient bandés. Elles l’appelaient “ma petite bombe” et le pressaient d’enlever sa chemise. Voilà qui a bien fait rire les médias. Mais en aurait-il été de même s’il avait été question, non pas d’un homme, mais d’une journaliste qui s’était vu traiter de la sorte par une vedette masculine?

Nombreux sont ceux qui pensent que les diktats de la beauté et le phénomène du corps-objet ne concernent pas – ou très peu – les hommes. Eh bien ils ont tort : “Aujourd’hui, la discrimination opérée par les médias touche les deux sexes de la même manière”, expliquait en 2014 Raymond Lemberg, psychologue clinicien spécialisé dans les troubles de l’alimentation chez les hommes à The Atlantic. “Le corps des hommes fait lui aussi l’objet de toutes les critiques”, notait-il.

Why we should talk about male objectification more often
Rien à f**tre ! (© Columbia Pictures)

Où sont passés les modèles masculins XXL? 

Alors que les femmes progressent sans cesse vers une meilleure acceptation du corps, chez les hommes, il reste encore pas mal de boulot. Alors qu’Ashley Graham vient de marquer l’histoire en devenant le premier modèle grande taille pour Sports Illustrated, les magasins de  vêtements grandes tailles pour homme sont toujours quasiment inexistants et le problème de la dysmorphophobie masculine reste largement sous-estimé.

On a vu apparaître des hashtags militants comme  #DropThePlus – qui deviendra rapidement un mouvement regroupant des femmes plus rondes et les mannequins lassés par les idéaux promus par l’industrie de la mode – en réaction à tout ce qu’on a pu entendre sur les critères de poids et de taille du corps féminin, et à l’absence de respect du corps qui caractérise les industries.

Des modèles comme Tess Holliday ou Ashley Graham sont rapidement devenues emblématiques ; et ce en même temps qu’augmentaient la reconnaissance des tailles XXL et la place qui leur était accordée dans notre société. Et pour les hommes XXL ? Nada. On ne les retrouve que très peu dans la mode, ce qui empêche leur normalisation sociale.

Il va de soi que le corps des femmes reste bien plus policé que celui des hommes. Notre société ne les traite toujours pas de la même façon. Alors qu’il est courant qu’une femme soit jugée uniquement sur son apparence, il est rare que ce phénomène se produise avec les hommes.

Mais le mal-être masculin est rarement couvert par les médias, ce qui n’est pas le cas chez les femmes. Par ailleurs, l’absence d’hommes corpulents donne l’impression que la normalité masculine est uniquement dans la minceur et les muscles. De telles idées reçues peuvent évidemment déboucher, à terme, sur une mauvaise estime de soi. 

Les problèmes d’image, ça ne touche pas que les femmes !

Nous sommes davantage sensibilisés à la pression que subissent les jeunes filles à qui l’on fait miroiter un corps qu’elles ne pourront jamais avoir. Ce sujet a déjà été largement abordé par les femmes au fil des ans, et c’est une bonne chose. Mais il ne faut pas oublier que les hommes aussi peuvent avoir une image négative de leur.

En réalité, il existe une maladie masculine en lien avec l’image du corps. Elle s’appelle dysmorphophobie musculaire, “bigorexie”, ou encore “anorexie inversée”, et touche un homme sur dix fréquentant les salles de gym au Royaume-Uni selon la BBC

Cette pathologie “perturbe l’image que les hommes ont de leur corps “ et cause “une anxiété liée à l’idée que le corps n’est pas suffisamment svelte ou musclé”, selon un reportage réalisé par le journal Body Image en 2005.

“Les hommes sont soumis aux mêmes diktats que ceux qu’ont subis les femmes pendant des années,” explique à Health Central le Dr Harrison Pope Jr., coauteur du livre Le Complexe d’Adonis : la crise secrète de l’obsession masculine sur le corps. “Les hommes sont confrontés à des images masculines idéalisées et inaccessibles via les photos et les magazines, et pensent que c’est à ça qu’ils doivent ressembler.”

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Avant de remporter son Oscar du meilleur acteur, Matthew McConaughey  était connu pour ses apparitions topless dans chacun de ses films. (©Warner Bros)

Ainsi, dans une étude de 2012, Pediatrics concluait que pour les hommes, “le corps masculin idéal était musclé et athlétique”. Il en ressortait également que 67 % d’entre eux se soumettaient  à un régime strict ou participaient à des sessions de gym intensives ; tandis que 35 % reconnaissaient consommer des cocktails protéinés, et  6% utiliser des stéroïdes.

Inspiré par les portraits retouchés d’Esther Honig – pour lesquels la journaliste avait demandé à des graphistes de retoucher des corps féminins en fonction des standards de beauté de leurs pays respectifs – Superdrug Online Doctor, un service médical en ligne basé au Royaume-Uni, a demandé à des graphistes de 19 pays de photoshopper un homme de manière à le rendre attirant pour leurs concitoyens.

Comme on pouvait le lire sur le site du projet, Denise Hatton – directrice générale de YMCA England (une association de soutien à la jeunesse) – qui vient de lancer sa propre campagne sur l’acceptation du corps, explique :

“Les hommes souffrent autant que les femmes du manque d’acceptation du corps; et ce, à cause de l’incroyable pression des standards ‘d’attractivité’. Cette étude montre que ces standards – souvent inaccessibles – sont établis par le biais de la culture et les idéaux publicitaires.”

L’un des buts de ce projet était de continuer le débat entamé sur l’image du corps en montrant de nombreux exemples de ce qui est perçu comme beau, tout en soulignant le fait que la beauté reste une construction sociale aussi bien pour les hommes que pour les femmes.

Comme expliqué sur le site, “le but de ce projet n’est rien moins qu’enclencher une révolution : il faut insuffler un réel changement dans l’image du corps, encourager les gens à faire de leur santé une priorité et promouvoir l’acceptation du corps à travers le monde”.

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Jonah Hill dans Le Loup de Wall Street. (© Paramount Pictures)

La masculinité est si fragile

Nous ne sommes pas seulement en train de parler ici de muscles gonflés à la créatine et de stéroïdes. Ce qui est remis en question, ce sont les standards de beauté et la manière dont ils sont imposés.

Le sentiment d’insécurité lui-même pourrait probablement expliquer l’absence de débat. Malgré le progrès social qui permet de mettre à mal la ségrégation des genres, l’insécurité masculine est encore très stigmatisée.

Des codes rigides régissent encore la société moderne. C’est le constat que fait la romancière féministe nigérianne Chimamanda Ngozi Adichie lors d’une conférence TED où elle compare la vision sociale de l’homme à une “cage étroite et bien solide”.

Les hommes sont ainsi priés de réprimer tout sentiment de peur, de faiblesse ou de vulnérabilité, et sont obligés de masquer leurs émotions s’ils veulent approcher les stéréotypes masculins en vigueur.

Rien d’étonnant dès lors à ce que de nombreux hommes atteints de dysmorphophobie adhèrent à cette vision étriquée du rôle masculin. C’est en tout cas ce qui ressort d’une étude publiée dans le Journal of Eating Disorders en 2013.

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(via Tumblr),

Le corps de la femme reste davantage au centre des discussions comparé à celui des hommes, c’est indiscutable. Mais présenter le problème comme inhérent au sexe féminin ne fait qu’ajouter de l’huile sur le feu. 

Il n’y a rien de mal à admirer un corps joliment fait – j’ai personnellement un petit faible pour les abdos de Ryan Gosling dans Crazy, Stupid, Love – et ce n’est d’ailleurs pas là qu’est la question. 

Alors que l’idée reçue – et fausse – que les hommes ne souffrent pas de troubles de l’alimentation, ne se soucient pas de leur corps et ne se posent aucune question sur leur image ou leur sexualité règne encore en maître, il serait peut-être bon de commencer par parler ouvertement de ces problèmes.

On peut donc conclure par le fait que les problèmes liés au corps méritent toute notre attention. Les standards de beauté que la société nous impose ne sont pas un problème qui ne touche que les femmes. C’est toute l’espèce humaine qui est menacée.

Traduit de l’anglais par Erika Lombart