La femme qui n’avait peur de rien

La femme qui n’avait peur de rien

photo de profil

Par Eléonore Prieur

Publié le

Pour la première fois, des journalistes ont réussi à s’entretenir avec SM, l’une des seules personnes sur Terre à ne pas ressentir le sentiment de peur. 
Jusqu’à présent on ne connaissait que son nom de code et sa maladie. On est désormais familier avec le son de sa voix. SM n’est pas une mère de famille comme les autres. Elle fait partie des 400 personnes sur cette planète à être atteintes de la maladie d’Urbach-Wieth caractérisée, comme l’explique le Washington Post “par une voix rauque et des petites bosses autour des yeux.”
Si on note la présence assez rare de “dépôts de calcium dans le cerveau” de SM, “certains de ces dépôts ont pris contrôle de son amygdale”. La fonction essentielle de l’amygdale : décoder les stimuli qui pourraient être menaçants pour l’organisme. Cette partie du lobe temporal est à l’origine même du sentiment de peur et d’anxiété. Sentiments que ne ressent plus SM depuis très longtemps.

À voir aussi sur Konbini

“Je n’ai aucune idée de ce qu’est la peur”.

Pour la première fois, des journalistes d’Invisibilia ont pu communiquer avec SM dont l’identité est précieusement gardée secrète par les scientifiques qui étudient son cas depuis une vingtaine d’années. C’est l’un de ses médecins, le docteur Daniel Tranel, qui l’a interviewée pour ensuite retransmettre sa conversation sur la radio publique américaine NPR.  

Quand il lui demande de lui expliquer ce que la peur est, SM répond: “Hé bien c’est ce que j’essaie de faire – pour être honnête, je n’en ai aucune idée”. Le cerveau de SM n’a pas toujours été endommagé. Elle a rencontré ses médecins quand elle avait la vingtaine. Elle se souvient d’un seul moment de sa vie où elle a été secouée par la peur. À l’époque, elle n’était encore qu’une petite fille, et n’avait pas osé toucher le poisson que son père avait pêché. Par peur d’être mordue.
Pour avoir la certitude que SM ne ressentait pas le sentiment de peur, les scientifiques l’ont exposée aux animaux les plus dangereux. Il a même fallu l’empêcher de toucher une tarentule. Comme le raconte Slate, elle s’est également aventurée dans une maison hantée, avec cinq autres femmes inconnues. Elle était la seule à ne pas crier d’effroi. Lorsqu’on lui a demandé de dessiner un visage apeuré, même problème : elle n’y arrive pas.

Sans peur, pas de traumatisme possible

Sa maladie a bien un côté positif, selon Alix Spiegel, l’un des deux journalistes, puisque “son incapacité à ressentir de la peur la rend plus ouverte et amicale que la plupart des gens”. Cela pose aussi un gros problème. SM peut devenir une proie facile. Au cours de sa vie, elle a frôlé le danger plus d’une fois. Elle s’est faite menacer par une arme à deux reprises en plus d’avoir été battue par son premier mari.
Elle raconte une de ces nombreuses expériences terrifiantes qui l’a laissée de marbre :

Je marchais en direction du magasin, et j’ai vu cet homme sur un banc. Il m’a dit de venir le voir, alors j’y suis allée et je lui ai demandé ce qu’il voulait. Il a attrapé ma chemise, a mis un couteau sous ma gorge et m’a dit qu’il allait me couper. Je lui a dit, “vas-y, attaque-moi”. Et puis il a dit qu’il allait revenir et me chasser. Oups. Qu’est-ce que je suis censée répondre à ca ? Je suis désolée.

“Je n’ai pas eu peur, poursuit-elle. Pour une raison ou pour une autre, il m’a laissée partir. Et je suis rentrée chez moi”. Un autre point “positif”  est aussi à ajouter : sans le sentiment de peur, l’un des deux médecins de SM souligne l’impossibilité d’avoir des traumatismes.

C’est très objectif. C’est parce que la situation n’était effectivement pas menaçante dans le sens où elle l’aurait été pour nous. Elle n’a donc pas eu un mauvais moment à garder en mémoire dans l’histoire de sa vie. En d’autres mots, si elle lisait son autobiographie, elle ne verrait pas en grosses lettres que c’était une mauvaise chose, parce que ce ne l’était pas au vu de ce qu’elle a vécu. Ce n’est pas comme si elle le masquait. C’est simplement qu’elle ne l’a jamais vécu.

Si, comme l’explique SM, “il y a des jours où [elle pourrait] être au sommet, il y en a d’autres où [elle a le blues]. Mais, 9 fois sur 10, [elle se sent] heureuse”.