Entretien : il réalise un tour du monde “zéro carbone”

Entretien : il réalise un tour du monde “zéro carbone”

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Par Jeanne Pouget

Publié le

Le 29 décembre dernier, Olivier Peyre, 36 ans, rentrait d’un tour du monde à vélo, en parapente et en “voilier-stop” entamé sept ans et demi plus tôt.

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En 2008, cet ingénieur originaire de l’Isère touchait enfin du doigt un rêve qu’il avait en tête depuis plus de quinze ans : un tour du monde à vélo. Petit à petit, il y a ajouté le parapente et le voilier et le projet En route avec Aile, porteur d’une éthique “zéro carbone” était né : un voyage “décarboné” de 105 000 kilomètres à travers 45 pays sur et cinq continents. Rencontre avec un nomade qui aime cultiver la “serendipité”.

En route avec Aile - Fly'n'Roll - Zero carbon paragliding world tour by push bike and sailboat 2008 - 2016 from Olivier Peyre on Vimeo.

Konbini | Comment t’es venue cette idée de voyage “zéro carbone”?

Olivier Peyre | L’idée m’est venue quand j’avais 13 ans. Mon grand frère de 15 ans traversait la France en vélo avec un pote. Moi j’allais au collège en vélo, mais je ne pensais pas qu’on pouvait aller beaucoup plus loin que ça. Lui m’a prouvé que si. Plus tard, j’ai lu un livre que mon frère avait reçu pour son anniversaire : Le Tour du monde à vélo de Françoise et Claude Hervé. Donc, la genèse du projet, c’était l’idée d’un tour du monde à vélo d’un an, après mes études. Je me suis longtemps demandé pourquoi j’avais voulu faire ça, et en fait, la réponse est simple : parce que ça ne demande rien, rien d’autre qu’un vélo que j’ai déjà.

Comment t’y es-tu pris pour réaliser ce rêve ? 

Tout ce que je gagnais comme argent, de l’âge de 13 ans à l’âge de 28 ans, je le gardais pour ça. A l’âge de 21 ans j’ai fait mon premier saut en parachute en Floride, peut-être la plus belle minute de ma vie, et là je me suis dit : “il faut arrêter d’attendre.” Mais le parachute c’est très cher, donc ça limite les sauts et ça implique de consommer beaucoup de pétrole, pour l’avion. C’est comme ça que j’ai pensé au parapente.

Deux-trois ans avant de partir, ma compagne, a ajouté l’idée du voilier et, en m’intéressant au concept, j’ai découvert l’existence du voilier-stop. J’ai réalisé qu’il existait donc un moyen d’éviter l’avion et d’être cohérent avec l’idée du vélo. Je voulais que ce voyage soit “esthétique”, donc le projet est né comme ça : le vélo pour l’élément terre, le voilier pour l’élément eau et le parapente pour l’élément air. C’est comme ça qu’En route avec Aile est né.

La thématique du “non moyens motorisés”, une idée un peu puriste du voyage, m’est venue du livre Latitude zéro, de Mike Horn, très connu dans le monde de l’aventure parce que c’est un peu le plus extrême de tous.

Avec quels objectifs as-tu entrepris ce voyage ?

J’ai suivi des études d’ingénieur, en fait je rêvais d’être astronaute, et je me suis retrouvé ingénieur mécanique dans l’aéronautique. J’ai bossé pendant un an et demi après mes études. Je me suis retrouvé à étudier la durée de vie des boulons des avions, ce n’était pas du tout intéressant. Il n’y avait pas de fenêtres sur l’extérieur, je ne voyais que les néons toute la journée alors que, moi, j’avais besoin de ressentir le monde, de voir le soleil se lever. Et ce n’est pas dans un bureau que tu ressens une connexion avec le monde.

À l’origine, tu n’avais pas prévu de partir sept ans et demi ?

Au moment du départ, en juillet 2008, je devais partir pour quatre ans. J’avais un planning que j’ai tenu deux ans et demi, jusqu’en Nouvelle-Calédonie. Nous avions l’intention d’y rester deux mois avec Nadège [Nadège Perrot, sa compagne, qui l’a accompagné pendant cinq ans par intermittence, ndlr], et finalement on a trouvé du boulot et on est resté un an. Et à partir de là, ça a été la boîte de Pandore, j’ai eu envie de rester aussi un an en Nouvelle-Zélande et un an en Australie. Vu que c’était le voyage de ma vie, je voulais m’ouvrir toutes les portes du possible.

Quel était ton budget ?

J’avais prévu dix euros par jour pendant quatre ans. Donc pour moi, dix euros ça représentait un jour de liberté. Donc quand on me proposait d’aller boire un verre, ça me faisait une demi-journée de liberté en moins, alors j’ai fait des choix. Et finalement je n’ai pas fait 10 euros par jour mais 5 euros par jour.

Et c’est comme ça que j’ai pu garder le même budget pour les sept ans que celui qui était initialement prévu pour quatre années. Et comme j’ai quand même gagné plus en travaillant, je suis quasiment revenu avec plus d’argent que ce avec quoi j’étais parti. En tout cela représente 20 000 euros : 14 000 euros pour la route, soit 2000 euros par an, plus 6 000 de mise au départ. Donc des moyens très modestes.

Comment on vit avec 5 euros par jour ?

Déjà 500 euros par an, donc un quart, partait dans une assurance santé (qui en plus était nulle). Le reste c’était majoritairement pour la bouffe, évidemment pas de restos, pas d’alcool, pas de clope, et je dormais dans une tente, du bon matos qui va jusqu’à 6 000 mètres d’altitude, donc pas de coût pour l’hébergement. Mon principe de base c’était de subvenir à mes besoins primaires et de ne pas compter sur la bonté des gens, ce qui ne me semblait éthiquement pas correct. En revanche, si on m’offrait quelque chose je n’avais aucune raison de refuser. Et finalement, des milliers de gens m’ont aidé, leur solidarité m’a porté, et je n’aurais certainement pas réussi sans eux.

Mon régime alimentaire était constitué principalement de pâtes et de riz mais je m’interdisais, à part dans les cas extrêmes, de manger des pâtes “à rien”. Donc j’ai dû théoriser pas mal de règles de vie, une discipline, et les mettre en pratique. Il faut du confort dans ce type de train de vie spartiate pour aller loin et tenir longtemps. Couper un oignon dans ses pâtes et y mettre des épices, c’est le minimum.

Une fois que tu as enlevé un quart pour l’assurance santé, il te reste 3,50 euros avec lesquels il faut tout faire : réparer le dérailleur cassé dont il faut étaler le prix sur plusieurs semaines, par exemple. Dans les pays à faible coût j’achetais la nourriture sur les marchés, et dans les pays riches je récupérais les invendus, ce qui consiste à ouvrir la benne derrière les supermarchés. Et grâce à ce système, qui malheureusement est une corne d’abondance, je n’ai dépensé en Australie que 300 dollars de frais de nourriture en un an.

Un budget limité implique donc de faire une croix sur pas mal de choses…

Cela m’amène à évoquer l’état d’esprit de ce tour du monde. Je privilégie le chemin plus que la destination. L’exemple du Machu Picchu, au Pérou, dont l’entrée coûte 200 dollars, est un très bon exemple. À force de se focaliser sur la destination, que j’appelle moi l’attraction du pays, tu en oublies le reste. Et rien ne te dit qu’en arrivant enfin au Machu Picchu, t’auras pas une gêne d’estomac parce que t’auras mangé un sale truc, ou peut-être qu’il ne fera pas beau ou qu’un mec va te piquer ton appareil photo … Bref, quelque chose qui va te gâcher ta joie. Donc vivre pour la destination, non.

Et, finalement, je ne suis pas parti pour “faire” ou voir tel ou tel endroit, je suis parti pour faire le tour de la planète. C’est une balade en fait. J’ai préféré m’éloigner des zones très touristiques pour voir des choses plus authentiques qui, finalement, sont plus des rencontres. Alors, évidemment, je me suis laissé piéger parfois par ces envies que tout le monde a parce qu’on te les vend. Par exemple, on m’avait tellement vendu les routes du Pamir [au Tadjikistan, ndlr] que j’ai été légèrement déçu car l’émotion n’était pas à la hauteur de mes attentes, alors que je me suis retrouvé par hasard sur des routes du Tibet qui m’ont subjugué.

Donc je suis plutôt pour cultiver la “sérendipité”, c’est-à-dire trouver les choses par hasard, quand tu ne les cherches pas. De ce fait, je n’avais pas de guide de voyage et cela me permettait aussi de ne pas avoir trop d’attente.

Quel pays t’a particulièrement marqué ?

Le Vanuatu [un archipel du Pacifique, ndlr] parce qu’ils ont peu de magasins, donc peu de choses manufacturées et, du coup, c’est très propre. Ils font beaucoup de choses avec les arbres, donc ce qu’ils jettent par terre, ça reste des déchets organiques. Par exemple les assiettes sont souvent en feuilles de bananier.

En revanche, ils n’en n’ont rien à faire du plastique et c’est problématique, Port-Vila, la capitale, c’est dégueulasse. Il y a eu le lancement d’une grande campagne de pub pour les téléphones portables et tu payes 10 centimes ta recharge pour passer un appel. Du coup, les filles ont ça et les mecs, pour les draguer, leur payent des recharges. Parfois ça peut aller jusqu’à de la prostitution. Alors que ce besoin n’existait pas avant. Donc, c’était intéressant de voir l’arrivée du téléphone portable dans une culture ou même l’argent n’existait pas il y a quelques dizaines d’années.

Quel est l’obstacle majeur que tu as rencontré pendant ce voyage?

L’aspect humain. Les gens étaient adorables et je reviens avec un aspect positif. Ma phrase c’est : “Il faut une bonne raison pour faire une mauvaise action à un inconnu alors qu’il n’en faut aucune pour faire une bonne action.”

J’entends par aspect humain le manque de relation avec la famille et les amis, un pote qui est venu avec qui je me suis disputé. Tout ça m’a dévasté. Lorsque que tu affrontes un vent de face, le soir tu te retrouves dans ta tente, et c’est fini. Alors que l’aspect humain, non.

J’ai eu des mauvaises expériences sur des voiliers. Les gens changent en mer et peuvent te prendre pour leur larbin sous prétexte que tu ne payes pas la traversée. Et comme tu dépends totalement d’eux… Une fois un type m’a débarqué sur une île avant la destination prévue.

As-tu pris des risques ?

Je suis quelqu’un de très prudent. Je n’ai jamais eu d’accident. On m’a touché deux fois en voiture. Il m’est arrivé une fois par ignorance de manger cette marge de sécurité sur le mont Ararat, en Turquie. Je me suis fait réveiller le matin par d’énormes explosions : c’était des tirs de missiles aériens. Je me trouvais en fait dans une zone de guerre où l’armée turque tirait sur les rebelles du PKK cachés dans la montagne. Donc voilà, les tirs de F16 dans la figure au petit matin… J’ai donc pris des risques, mais par ignorance.

As-tu des regrets ?

Je pense que sept ans et demi c’était deux ans et demi de trop. Quand Nadège est rentrée, au bout de cinq ans, je me suis posé la question de savoir si je rentrais aussi ou pas. J’ai peut-être un regret d’avoir voulu pousser en restant un an en Nouvelle-Zélande, un an en Australie. Mais si je ne l’avais pas fait, je l’aurais regretté !

Te souviens-tu d’une rencontre un peu spéciale ?

Je regrette de ne pas avoir plus lu sur les pays dans lesquels je suis allé mais, en même temps, mes guides de voyage étaient des gens que je rencontrais sur la route. Je me suis retrouvé au Chili dans le désert avec un ex-agent secret à la solde de Pinochet qui avait fait le coup de feu sur Allende. Il m’a ouvert sa porte et évidemment ce n’était pas écrit sur son front. Il m’a donné à manger, c’est devenu mon hôte et j’en suis venu à l’interroger sur les années Pinochet et, là, il s’est exclamé : “Mi general !”, et donc j’ai compris …

Plus tard, on m’a demandé de le dénoncer et j’ai eu un cas de conscience. Mais ma réponse a été qu’en tant qu’invité je ne pouvais pas être celui qui va faire que sa vie soit bouleversée parce que, sinon, je ne pourrais plus jamais taper sur aucune porte. Si les gens qui tapent aux portes dévoilent des secrets (que je n’ai pas forcément envie de savoir), ça annule l’innocence de ma démarche. À travers cette histoire, je me suis beaucoup plus intéressé à la dictature au Chili que si j’avais simplement lu un livre sur le sujet.

Est-ce qu’au bout d’un certain temps, tu t’es senti glisser vers une forme de marginalité ?

Non. Je pense que ça dépend des gens. Il y a autant de types de voyageurs au long court que de voyages au long court. Je pensais que tous les voyageurs au long court se ressemblaient, mais en fait pas du tout. Tout le monde a son style. Moi je suis resté assez connecté. En revanche, j’ai beaucoup expérimenté la solitude, je suis allé très loin dedans, jusqu’à oublier comment m’exprimer correctement, je n’arrivais plus à trouver mes mots. C’est évident que tu fais un pas de côté en vivant cette vie.

Pense-tu qu’une femme seule aurait pu entreprendre le même périple que toi ? Sommes-nous égaux face au voyage ?
Ce type de voyage ne correspond qu’à un certain type de personne, homme ou femme. Il faut être sacrément con, sacrément têtu et il faut arrêter de penser. Une femme avec un état d’esprit pareil peut le faire. La force physique ce n’est que 10 % ou 20 % de la réussite et ça s’acquiert. Mais c’est vrai que ça correspond plus à un état d’esprit masculin d’être comme ça.

Mais ce n’est pas rédhibitoire du tout d’être une fille. Par exemple trouver un voilier c’est plus facile quand tu es une fille, surtout si c’est avec un couple de retraités. En vélo j’ai vu beaucoup de filles seules, avec un sacré caractère. J’ai rencontré des obstacles qu’une fille n’aura pas : quand tu es une fille et que tu vas voir les filles du village pour camper à côté, tu vas immédiatement être une sœur pour elles, et elles vont te protéger. Donc, c’est un autre style, avec d’autres solutions qui s’offrent à toi. Mais j’ai des contre-exemples sur tout. Donc j’ai envie de te répondre que oui, c’est possible, mais c’est plus facile quand t’es un mec.

Quel est le message que tu souhaites véhiculer à travers cette aventure ?

Mon message, c’est vraiment croire en soi-même, pousser les gens. Je voudrais avoir une certaine utilité sociale parce que je vois que les gens sont dans un essoufflement. On traverse une crise de fou, écologiquement on est quand même entré dans la sixième extinction de masse des espèces. Donc, à mon niveau, j’ai cherché à montrer que l’on pouvait faire des choses en étant personne à la base mais avec un rêve suffisamment puissant qui m’a porté. Si, moi, j’ai pu faire ça avec mes moyens modestes, tu t’imagines ce que l’on peut faire à plusieurs ! Mon message, c’est aussi “oser se lancer”.

Quels sont tes nouveaux projets ?

J’ai lancé un projet sur la plateforme de financement participatif Ulule pour financer un livre sur l’aventure En route avec Aile. Les internautes peuvent participer à partir de 10 euros [le projet a déjà atteint 63 % du premier objectif de 5 000 euros en seulement quelques jours, ndlr]. Ça me prend énormément de temps, je cherche des éditeurs.

Quels sites collaboratifs pour le voyage recommanderais-tu ? 

Warmshowers : un site de couchsurfing, mais pour les cyclos. Il y a aussi TWAM (Travel With A Mission) qui a été créé par Ludovic Hubler : l’idée est de mettre en lien des voyageurs qui veulent faire des conférences et qui ont un message à faire passer – ça peut être la paix dans le monde, l’écologie, le zéro carbone, la sensibilisation à divers thèmes – avec des hôtes réceptifs à ce message.

Qu’est-ce qui a changé depuis ton départ il y a sept ans et demi ? La France a-t-elle changé ?

Mes parents, mes amis et moi avons pris quelques années, beaucoup de choses ont changé. Je porte un autre regard sur le monde, un autre regard sur la France. C’est plutôt moi qui ai changé. J’ai un regard d’admiration vers tout ce qui se fait en France, vers les idées que les gens ont. Tu expliques à un Chinois qu’à cause du réchauffement planétaire tu préfères prendre le vélo, il va te regarder avec des grands yeux. Tu expliques ça à quelqu’un en France, il trouve ça bien. Donc bravo la France, bravo l’éducation, bravo à un certain niveau de culture.

Retrouvez En route avec Aile sur le site internet, la page Facebook, et sur la plateforme Ulule afin de participer au projet En route avec Aile – le livre.

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