Entretien avec Solidream, l’équipe de voyageurs à vélo au long cours

Entretien avec Solidream, l’équipe de voyageurs à vélo au long cours

Image :

(©Solidream)

photo de profil

Par Jeanne Pouget

Publié le

Trois ans après son tour du monde de 54 000 kilomètres à vélo à travers les six continents, l’équipe de Solidream revient avec un nouveau film résumant leurs dernières aventures à travers les sommets du Pamir, en Asie centrale.

À voir aussi sur Konbini

Entre 2010 et 2013, Morgan, Brian et Siphay réalisaient un tour du monde à vélo avec un budget de 8 euros par jour et par personne. Forts de leur expérience, qui a séduit des milliers de voyageurs intrépides ou en devenir, les trois amis sont repartis entre juin et septembre 2015 dans la région montagneuse du Pamir, située en Asie centrale. Une boucle de 3 000 kilomètres réalisée sur des “fat bikes” en bambou confectionnés par la marque In’bô, fruit du travail de jeunes ingénieurs et artisans français.

De cette aventure est né leur deuxième film documentaire, Les Œuvres du Pamirprésenté en avant-première le samedi 1er octobre au Festival des globe-trotters, organisé par l’association Aventure du bout du monde, en région parisienne. Un voyage dans les aux sommets enneigés d’une région complexe, à la rencontre de peuples méconnus. On a débriefé ce nouveau périple “made in Solidream” avec les intéressés, qui nous ont notamment parlé artisanat local, perception des frontières et esprit d’aventure.

Konbini | Sur quel projet s’est fondé ce nouveau voyage ?

Solidream | Quand on est rentrés en France après notre première aventure de trois ans autour du monde, on a rencontré beaucoup de gens inspirants. Notamment l’équipe de la marque In’Bô : de jeunes ingénieurs qui fabriquent des vélos en bambou [ainsi que d’autres objets comme des lunettes en bois, des skateboards, ndlr]. Ils travaillent vraiment sur du local : le bois vient des Vosges, la fibre de lin de Normandie. On avait envie de retourner au Tadjikistan, que l’on avait un peu “bâclé”, lors de notre précédent voyage à cause de problèmes de visa, alors on s’est dit : “Pourquoi ne pas faire faire des vélos en bambou conçus exprès pour aller dans ces montagnes ?” On a aimé l’esprit et l’énergie des mecs d’In’Bô alors on les a contactés et c’est comme ça que le projet s’est créé.

“En vélo on est accessibles, il n’y a pas une fenêtre qui nous sépare du monde extérieur”

Quel était le nouveau défi de cette aventure ?

Notre idée, c’était de vadrouiller dans les vallées perdues du Pamir et grimper des sommets en autonomie totale. C’est une région avec des montagnes très hautes, un haut plateau à 3 500-4 000 mètres d’altitude avec des pics à plus de 7 000 mètres. Ce que les fat bikes conçus par In’Bô permettent d’atteindre, contrairement à des vélos de voyage classiques. Donc on est partis de Douchanbé, la capitale du Tadjikistan, d’où on a effectué une boucle de 3 000 kilomètres, en roulant au maximum à 4 700 mètres d’altitude et avec des ascensions de pics à près de 6 000 mètres.

Qu’est-ce que le vélo apporte à ce type d’aventure ?

Disons qu’il y a plusieurs manières de voyager qui nous plaisent. Mais le vélo, comme la marche, ajoute une dimension sportive. Le fait de progresser par sa propre force a quelque chose de très intéressant. Notre corps est bien irrigué, on sent plus l’oxygène et on a l’impression que l’on vit plus le moment. On a observé par exemple qu’en roulant deux heures en voiture, on se souvient beaucoup moins bien de ce que l’on vient de voir que si l’on avait passé deux heures à faire du vélo. On a l’impression que le cerveau se met en veille quand on utilise les transports motorisés. Il y a aussi la dimension de contact avec les gens : on est accessibles, et il n’y a pas une fenêtre qui nous sépare du monde extérieur.

Par ailleurs, sur ce voyage-là, l’idée était aussi de créer une rencontre par l’objet : utiliser le vélo en bambou comme vecteur de la rencontre pour montrer le savoir-faire français et en retour, questionner les gens sur leurs savoir-faire à eux. Si on peut mettre en lumière des projets qui ont du sens à nos yeux, ça fait une belle rencontre.

Dans votre film, vous questionnez le rapport aux frontières parfois absurde de cette région …

Le Pamir se situe essentiellement dans la partie est du Tadjikistan et déborde sur la Chine, l’Afghanistan, le Pakistan et le Kirghizistan. Donc il y a en effet une notion de frontière dans cette région que l’on questionne dans le film. Les frontières actuelles ont été dessinées par Staline de manière assez arbitraire, sans prendre en compte la localisation des ethnies et en particulier les nomades. Il y a des ethnies qui se sont retrouvées prisonnières à l’intérieur d’un pays, coincées par des problèmes de visa par une montagne ou une frontière. À un moment donné, on rencontre une personne qui nous dit : “Avant, dans cette région-là, il n’y avait qu’une seule et même culture.” C’est un exemple d’aberration qui peut apparaître. Ils ont créé une fracture culturelle qui n’existait pas avant et, nous, on l’interroge en allant grimper une montagne sur la frontière afghane.

Mais on peut aussi se dire que les frontières, quand elles sont plus naturelles, permettent de délimiter des savoir-faire locaux. Et c’est ça que le voyageur cherche : passer des frontières pour aller d’un monde à un autre. S’il n’y avait plus aucune frontière, un monde complètement ouvert et mélangé, peut-être que l’on aurait une culture commune partout sur la planète et ça perdrait un peu de son charme. Donc il y a vraiment deux opposés entre la frontière que l’on pourrait critiquer et la frontière qui protège un savoir-faire local.

“On voulait montrer des gens qui montent des projets plein de sens, et qui prennent des risques”

Il y a une parole plus politique dans ce deuxième film, notamment lorsque les locaux s’expriment sur l’islam. Cela vous semblait nécessaire d’aborder le sujet de la religion ?

Ça nous est venu au retour de notre tour du monde où, après avoir traversé l’Asie centrale, on avait découvert des choses sur l’islam. C’est un islam dont on ne parle pas du tout en France. Et on s’est dit que ce serait une bonne opportunité d’utiliser l’envie qu’on avait de retourner là-bas – sans pour autant s’immiscer dans le débat – pour dire : “Il existe d’autres facettes de cette chose que vous appelez islam.”

Et on le voit très bien au Tadjikistan, qui est un pays multiethnique : il y a des Kirghizes, qui sont sunnites, des ismaéliens, qui font partie d’une branche du chiisme, les Tadjiks, qui font encore partie d’une autre branche, etc. Il y a donc des ethnies qui cohabitent et l’objectif était de montrer que l’islam est une grande religion. Nous on a eu affaire en Asie centrale à des gens extrêmement accueillants, généreux. Ce sont des musulmans qui ont exactement les mêmes problèmes que nous avec le terrorisme, mais chez eux. Donc le problème ne vient pas des musulmans et c’est aussi ça que l’on voulait dire.

Quels sont les messages que vous souhaitez faire passer avec ce film ?

L’un des messages du film c’est que chacun grimpe sa propre montagne. Nous, on monte des montagnes au sens propre du terme et on interroge aussi la place de l’artisanat. Et on se rend compte que des gens comme In’Bô ou des artisans locaux vivent aujourd’hui dans un monde très mondialisé où ils ont du mal à exister parce qu’ils sont assaillis par une compétition qu’ils ne peuvent pas contrer.

On s’était mis d’accord sur le fait que l’on souhaitait utiliser ce que l’on sait faire pour mettre en valeur d’autres personnes qui font preuve d’esprit d’aventure mais sur d’autres terrains comme l’entreprenariat ou l’artisanat… Ces gens prennent des risques aussi, et comme dans toute aventure, ils doivent être responsables des décisions qu’ils prennent. Et c’est cela que l’on voulait montrer : des gens qui montent de beaux projets plein de sens, et qui prennent eux aussi des risques. La vie sans cet état d’esprit est peut-être plus fade.

Vous pouvez nous donner un exemple d’une rencontre qui illustre cet état d’esprit ?

On a rencontré un homme, que l’on voit dans le film, qui s’appelle Mulkabek : dans son village reculé à 2 600 mètres d’altitude, ils essayent de mettre en place pas mal de nouvelles technologies. Ce sont des gens qui donnent une leçon de vie parce qu’ils essayent d’améliorer leur quotidien avec très peu de moyens techniques et financiers et avec une conscience écologique.

Mulkabek nous expliquait que grâce à son fils qui avait acquis des connaissances en allant étudier “à la ville”, ils étaient en train de se pencher sur l’élaboration de fours solaires pour remplacer les fours à pain traditionnels. Ils ont peu d’accès au bois (la région est aride), qui est une denrée rare pour eux, et ils se réjouissent de se dire qu’ils vont pouvoir faire cuire leurs aliments sans consommer de bois et avec toutes les contraintes que cela représente. Donc c’est intéressant parce que dans ce cas de figure, le jeune revient de la ville, certes avec un téléphone, mais aussi avec une solution nouvelle pour progresser et sans ravager l’environnement.

“La société dans laquelle on vit veut que l’on remplisse plein de ‘check lists’. Mais il faut essayer de se détacher de ça”

Qu’apporte votre dynamique de groupe à la façon d’appréhender le voyage ?

C’est plus facile de se permettre d’être “fou” à plusieurs et ça permet peut-être des choses que l’on n’oserait pas tout seul. Nous, on met ça en application dans le voyage, mais ça peut être une belle métaphore de ce que l’on peut faire en société. Quand l’énergie de groupe est bien utilisée elle est hyper-positive. On ne va pas forcément plus vite ensemble mais peut-être que l’on peut réaliser des choses plus grandes. “Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin” : c’est un proverbe africain qui était d’ailleurs la conclusion de notre premier film.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui rêvent de voyages authentiques ?

L’une des clés pour favoriser les rencontres et découvrir pleinement un lieu, c’est de se laisser le temps d’y rester. Pour rencontrer des gens il faut prendre le temps. Ne pas se programmer des voyages avec des étapes dans tous les sens. La société dans laquelle on vit veut que l’on remplisse plein de “check lists”, et que l’on rentre en montrant que l’on a vu plein de choses. Mais il faut essayer de se détacher de ça, justement, et dire “moi je ne vais aller voir qu’une chose, mais je vais aller la voir bien comme il faut“.

Il ne faut pas hésiter à rêver grand, mais il faut savoir aussi que plus tu rêves, plus ça va te demander de l’effort sur la mise en place. Donc Solidream c’est un peu ça : on peut rêver grand mais, concrètement, ça prend du temps. On ne le voit pas trop dans nos films mais on passe énormément de temps à préparer nos voyages. On est spécialistes de rien, alors quand on fait de l’alpinisme par exemple (pas extrêmement engagé mais quand même un peu poussé), tout est réfléchi en fait, et c’est ça être responsable.

“La folie n’existe quasiment pas dans l’aventure”

Pourtant, vous voyagez sans assurance …

Dans l’équipe il y en a qui fonctionnent sans assurance et c’est une forme de responsabilité, en fait. D’une certaine manière, c’est se dire que l’on va tout mettre en place pour qu’il n’y ait pas d’accident. Pour l’instant, on touche du bois, on n’a pas eu d’accident. Ce n’est en rien le fruit du hasard, c’est juste que l’on est très prudents, contrairement à ce que les gens pensent. On se dit pas “j’ai un téléphone pour appeler les secours“, parce qu’on n’a pas de téléphone, “j’ai une balise que je peux déclencher pour que l’on vienne me chercher“, parce qu’on n’a pas de balise. Donc à chaque fois, si on a un pépin c’est pour notre pomme. Cela fait partie de notre démarche de responsabilisation.

Après, on n’encourage pas du tout les gens à voyager sans assurance ni à faire comme nous. Nous, on le fait en connaissance de cause et on prend les mesures nécessaires pour le faire. Il ne faut pas que les gens se fassent une fausse idée de ce qu’est l’aventure, que c’est la folie, qu’on fait des trucs de dingue. En fait, la folie n’existe quasiment pas dans l’aventure. L’aventure, ce n’est pas être fou et prendre des décisions irresponsables. Partir à l’aventure, quand on veut faire des choses un peu engagées, c’est l’inverse de la folie. On mesure les risques, on les analyse, on estime la part d’incertitude et on s’y prépare physiquement et mentalement.

Quels sont vos prochains projets ou voyages ?

Pour l’instant, on n’a pas d’idée à part que l’on aimerait faire autre chose que du vélo parce qu’on n’est pas des cyclistes à la base. On aimerait faire des choses à pied, peut-être en bateau parce qu’on en a deux maintenant, et on est en train d’apprendre le parapente.

Retrouvez Solidream sur leur site Internet et leur page Facebook. Pour les produits In’Bô, c’est par ici et pour commander le DVD des Œuvres du Pamir, c’est par là.

À lire -> Entretien : il réalise un tour du onde zéro carbone