En Chine, Bouddha infiltre la mode, l’art et l’électro

En Chine, Bouddha infiltre la mode, l’art et l’électro

photo de profil

Par Léo de Boisgisson

Publié le

Matérialisme, impression de vide… malgré un pays en pleine croissance, le jeune Chinois moderne n’échappe pas aux grandes questions existentielles qui ponctuent nos vies à tous. 

À voir aussi sur Konbini

En Chine, le bouddhisme, qui fait partie des religions officielles du pays (avec le taoïsme, l’islam, le protestantisme, le catholicisme et le confucianisme) est particulièrement populaire. Nous sommes allés à la rencontre de jeunes Chinois pour parler du bouddhisme dans leur pays.

La mode et l’art chinois à la sauce bouddhiste

“C’est vrai que le bouddhisme est très à la mode”, me dit Zhangjian, jeune musicien. “Et cela répond à un besoin. C’est sans doute parce que le monde actuel est extrêmement flou et difficile à cerner, les gens se sentent un peu perdus. On dit d’ailleurs en langage bouddhique que nous traversons une période de ‘déclin du Dharma’ (comprendre ici une période de trouble spirituel qui selon les écrits peut durer de 500 à 10 000 ans).

Sur Taobao.com, le Ebay chinois, et dans les “concept stores” branchés, on voit clairement que les coupes inspirées des vêtements des bonzes (moines), alliées à des matériaux haut de gamme (cachemire mongol, laine tibétaine) occupent une place de choix chez les gens soucieux de consommer moins et mieux.

“Maintenant que nous sommes dans une ère économique relativement prospère, les gens ont plus d’aspirations spirituelles, ils veulent se libérer des choses inutiles dans leur vie. Avant, la Chine était trop pauvre, c’était impossible d’avoir ce genre de considérations”, commente Chen Tianzhuo, un jeune artiste en vogue, notamment connu pour ses performances hybrides où se mélangent psychédélisme et mythologie orientale.

“Je suis converti au bouddhisme tantrique tibétain depuis environ 4 ans”, m’explique-t-il. “Mais je suis intéressé par la doctrine depuis mes 20 ans. Le bouddhisme a changé ma vie et ma manière de percevoir le monde, je tâche de méditer et de tendre vers le lâcher prise”, commente Chen Tianzhuo qui s’est récemment fait tatouer une phrase d’un sutra sur les jambes.

L’univers de Chen Tianzhuo a de quoi faire méditer. D’un côté, ses œuvres regorgent d’images de la société de consommation, marques, logos, pop stars en naufrage, dont Britney Spears qui apparaît souvent. De l’autre, elles sont truffées de références très crues aux techniques sexuelles tantriques et à un hermaphrodisme débridé.

Récemment, la quête artistique et spirituelle de Chen Tianzhuo l’a conduit sur les bords du Gange en Inde, à Varanasi la ville sacrée où des performeurs, nus et couverts de pigments colorés se sont livrés à un rituel étonnant, qui n’a nullement effrayé les locaux mais lui a valu un avertissement d’Instagram.

Buddha machine : électro et sutras

L’engouement pour le bouddhisme dans les sphères artistiques en Chine ne date pas d’hier. C’est dans les années 2000 que Zhangjian et Christiaan Virant (alias Lao Zhao), deux quarantenaires plutôt classe, forment le duo d’electro ambient FM3, bien connu à Berlin, faisant partie des scènes avant-gardistes de Pékin. Au départ, leurs performances étaient semblables à celles de nombreux geeks : ils jouaient une musique planante dans des clubs underground le visage à moitié caché par leur écran d’ordi. Jusqu’au jour où en 2004, Lao Zhao a eu l’idée originale de diffuser et de monétiser la musique de FM3 dans ces transistors à sutras qui se vendent pour pas cher à l’entrée des temples bouddhistes. Un transitor à sutras, mais qu’est-ce donc ?

Il s’agit de boîtes de plastique assez kitsch munies de speakers qui énoncent inlassablement des prières jusqu’à ce que les piles meurent. Après avoir fait affaire avec le plus gros producteur de boîtes à sutras du pays, le produit sort en 2005 sous le nom de “Buddha Machine” avec 9 boucles sonores de 5 à 40 secondes et fait un carton mondial. Des chaînes de spa les contactent et leur commandent des séries limitées pour leurs établissements tandis que des artistes aussi divers que Robert Henke (Monolake),  Sunn O))) et même Philip Glass se pâment pour la petite boîte.

Il faut dire que l’objet est ultra désirable : une sorte de iPod qui aurait été designé dans les années 1970 et qui diffuse en continu des nappes méditatives. Après la sortie, suivent plusieurs albums dont le tracklisting évoque des incantations mystérieuses : noir, vide, soi, éveil (les quatre mots se prononçant tous “wu” en chinois), des performances de plus en plus élaborées et une esthétique minimaliste ultra maîtrisée. Un concept très vendeur.

“C’est vrai que notre esthétique bouddhiste a joué en notre faveur. On n’aurait jamais fait un buzz pareil sans la Buddha Machine, admet Zhangjian qui n’est pas ce qu’on appelle un dévot religieux. La Buddha Machine nous a permis de tourner à travers le monde. En Europe, on a pu jouer dans des lieux de culte. Je me souviens d’une performance dans une église en Autriche. Le prêtre de la paroisse m’a acheté 5 Buddha Machine après le concert. J’ai trouvé ça très cool.”

Depuis 2005, les affaires tournent plutôt bien pour FM3. Les deux artistes entrepreneurs ont publié 5 versions de la Buddha Machine dans des couleurs ultra flashy et un bon nombre de goodies, le tout joliment emprunté au design bouddhiste.

Religion, marketing et socialisme

Depuis la mort du leader chinois Mao Zedong en 1976 (c’est depuis sa mort que le gouvernement a réintroduit la liberté de culte qui était interdite avant), les rétroviseurs des voitures chinoises ne sont plus décorés de son portrait, ils ont été remplacés par des figurines de Guanyin (bouddha de la miséricorde).

Les chapelets bouddhistes (mala) fleurissent sur tous les poignets, sans parler des énormes pendentifs thaïlandais que les hommes aiment porter sur la poitrine. Marketing et religion ont finalement toujours bien coexisté comme le montre les “marchands du Temple” qui ont eu pignon sur rue aux abords des lieux saints en Chine. Que ce soit au Temple des Lamas à Pékin ou sur la montagne sacrée de Wutai, le business est florissant : transistors à sutra, tankas tibétains, encensoirs, bougies en forme de lotus, tout est prévu pour les dévots qui arrivent par cars entiers dans le but de se prosterner devant d’immenses statues dorées.

Jucheng est un jeune tibétain originaire des hauts plateaux qui fait maintenant carrière à Pékin en organisant les concerts d’une bonzesse (moine au féminin). “Les gens qui viennent au concert d’Ani Choying Drolma sont bienveillants, et je trouve qu’en Chine il existe aujourd’hui un climat de liberté de culte et de tolérance.” Sur son compte WeChat, on voit des photos de Jucheng à côté d’Ani, souriante, ainsi qu’un repost d’un communiqué officiel où le président Xi Jinping affirme l’importance du bouddhisme dans le renouveau de la culture chinoise.

En Chine, le bouddhisme doit servir l’intérêt général de la nation et fusionner avec l’idéologie socialiste. Religion et socialisme, cela peut paraître incompatible mais le parti a un concept infaillible pour faire opérer la chimie : l’harmonie. L’harmonie, c’est le maître mot, la devise ultime, l’élément à maintenir à tout prix pour préserver la paix sociale.

Dans cette optique, le président Xi Jinping encourage les associations bouddhistes à travailler en profondeur les sutras qui vont dans le sens de la paix et même vers la modernité, en finançant en échange les aspects les plus grégaires du culte du Bouddha à coup de temples flashy et de statues dorées.

En 2017, Bouddha est donc au centre de toutes les attentions et le phénomène est aussi multiple que les avatars qui fleurissent dans les temples. Les valeurs du bouddhisme : compassion, liberté, respect de la vie, non-violence, tolérance ; la pratique, notamment le travail sur le corps et les émotions, et la recherche de la sérénité, gagne en popularité. Dévots, néo hippies, hommes d’affaire en quête d’absolution ou anciens maoïstes, nombreux sont ceux qui cherchent “la voie” dans une Chine en pleine mutation.

Religion, pratique morale, philosophie de vie ou science, Bouddha a la côte et c’est parti pour durer.