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Le cyberharcèlement, une spirale infernale

Le cyberharcèlement, une spirale infernale

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Par Konbini

Publié le

Des étudiants, des féministes, des handicapés, des YouTubeurs… Personne n’est à l’abri d’un cyberharcèlement, et ce à tout âge. Un tel acharnement doit être remarqué et pris en charge le plus tôt possible, pour éviter une fin funeste.

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“T’es anorexique”, “T’es moche”… Il y a cinq ans, Claire* recevait des appels et des messages à longueur de journée. Le harcèlement avait commencé au collège et se poursuivait à son domicile. Plus aucun endroit ne lui procurait un sentiment de sécurité. Sur son ordinateur, la gamine lisait les insultes de Laura* dans ses messages privés sur Facebook. À 17 ans, elle n’a toujours pas tourné la page. Ce cyberharcèlement a gâché son adolescence, son année de cinquième et ses relations. Claire, elle, a tout déballé à sa mère un an après les faits. Si ses parents avaient été mis plus tôt dans la confidence, ils seraient intervenus.

Affronter seul cette situation est difficile et les victimes doivent dépasser leurs angoisses. La seule solution est d’en parler, au risque de ne pas être pris au sérieux. Bien souvent, Facebook ou Twitter n’est pas étranger à leur mal-être. Les réseaux sociaux incarnent “un vecteur de harcèlement très important”, d’après Olivia Mons, responsable de la communication du réseau d’association d’aide aux victimes Inavem.

Le fait que les jeunes soient très connectés, n’arrange rien. Une étude d’Ipsos le démontre en avril 2015. Elle affirme en effet que les adolescents de 13 à 19 ans passent environ treize heures trente sur Internet par semaine. Un usage qui les mène parfois dans la spirale infernale du cyberharcèlement.

Inconsciemment, ils peuvent assister ou participer à un lynchage public. Ils doivent être prudents. Personne n’est invulnérable, une fille ou un garçon peut être une cible potentielle.

“Les adolescents sont les plus touchés. Il n’y a jamais eu de chiffres sur le cyberharcèlement pour toute la population française. Plusieurs études ont été réalisées au niveau scolaire par l’Éducation nationale. Environ un élève sur dix serait victime de cyberharcèlement”, soutient Justine Atlan, directrice générale de l’association e-Enfance.

Le côté obscur d’Internet

À ce stade, Internet est devenu un terrain de jeux pour les harceleurs. Ève, âgée de 19 ans, en est consciente. Après qu’elle eut réagi à une publication du blog LANDEYves sur la culture du viol, des Twittos l’ont persécutée à ce sujet.

L’idée de réaliser des camemberts lui est venue par la suite. “Nous avons des chiffres assez larges pour le cyberharcèlement, mais aucune étude à l’échelle du fait. C’est l’occasion d’avoir un autre aperçu”, déclare cette étudiante en géographie. Sur près de 170 tweets, 27 % d’insultes ont été répertoriées.

Des proies “faciles” à éduquer

Internet est tout de même un outil incroyable. Des gens peuvent y faire du shopping, trouver du soutien en cas de problème ou encore rencontrer l’élu de leur cœur. Toutefois, il doit être utilisé à bon escient. Il ne faut pas se laisser entraîner et tomber dans ses travers, même inconsciemment.

“Cela devient normal de se faire insulter. Il est donc difficile de se rendre compte que nous cautionnons un cyberharcèlement. Certains mettent ça sur le compte de la liberté d’expression. La liberté d’expression a des limites”, explique la psychologue Juliette Renault. C’est pourquoi des séances d’information à ce propos, sont indispensables dès le collège.

Dans cet apprentissage, l’association e-Enfance joue d’ailleurs un rôle déterminant. “Elle essaie de pousser les jeunes à avoir une utilisation responsable d’Internet, de leur transmettre les bonnes pratiques”, insiste Justine Atlan. Mais les adultes aussi doivent être  sensibilisés. Lors d’un harcèlement, il n’y a pas que les professeurs qui peuvent intervenir. “Il y a les CPE, les surveillants, les psychologues, les infirmiers, les femmes de ménage… Beaucoup de personnes sont concernées”, ajoute la directrice générale d’e-Enfance.

Pendant un an, Amélie a subi des attaques répétées. Alors qu’elle proposait juste son aide sur un groupe Facebook, ses camarades de classe ont commencé à l’insulter : “On devrait faire comme les nazis avec les Juifs, on devrait tuer les handicapés “, “On devrait flinguer les handicapés à la naissance”… Ses bourreaux attaquaient toujours son handicap visuel. L’auxiliaire de vie scolaire (AVS) de son lycée a fini par réagir. Elle lui a conseillé d’aller en parler à la direction. Cette dernière a convoqué trois de ses harceleurs, qui ont tout nié en bloc.

Se moquer d’autrui peut parfois se retourner contre soi. Beaucoup d’adolescents n’imaginent pas la portée de leurs paroles. Avec le programme Internet sans crainte, la société Tralalere a trouvé un moyen ludique de les sensibiliser. “Pour les collégiens, nous avons développé ‘Stop la violence’. Ce jeu sérieux permet petit à petit de mettre les jeunes en situation d’acteurs, pour qu’ils soient amenés à se poser les bonnes questions”, précise Hélène Dupont, conseillère éditoriale du programme.

Ni un livre ni un jeu ne préparera une victime à annoncer son cyberharcèlement à ses proches. Quand des parents le découvrent, ils sont submergés par des émotions : la confusion, la colère et l’inquiétude. “Beaucoup d’enfants ont peur qu’ils ne les croient pas”, dit Juliette Renault, qui a déjà eu des patients dans ce cas. Parfois, une mère ou un père prend des mesures maladroites. Depuis que le cyberharcèlement est l’un de ses sujets d’étude pour sa thèse de sociologie, Nathalie Dupin s’est aperçue de quelque chose : “Interdire un réseau social à un enfant, n’est pas forcément la solution. Il faut plutôt faire de la prévention.”

L’association e-Enfance apporte également son aide aux parents. “Nous essayons de leur faire partager l’univers numérique de leur enfant, de leur expliquer son fonctionnement”, commente sa directrice générale, Justine Atlan. 

Des appels de détresse

Régulièrement, des familles éprouvent le besoin d’être rassurées. Leur sentiment d’impuissance les pousse à téléphoner à un numéro vert. “Via la plateforme Net écoute, nous répondons à des adolescents, des parents et des professionnels de l’éducation. Si un jeune nous dit que son identité a été usurpée, nous allons lui conseiller de le signaler et de s’adresser à un adulte référent”, confie Justine Atlan.

L’Inavem, de son côté, a sa propre ligne. Des parents téléphonent souvent et décrivent la cause des problèmes de leur fils ou leur fille. “Nos professionnels de l’écoute vont les rassurer. Ils vont les mettre en relation avec nos associations locales, qui ont des services juridiques, de soutien psychologique et d’accompagnement social”, souligne Olivia Mons. Tous ces services sont gratuits. Après une telle épreuve, des familles se reconstruiront peut-être grâce à eux.

Des dégâts irréparables

Sur les réseaux sociaux, le harcèlement peut virer au cauchemar. “Il y a des traces. Ce n’est pas juste une parole qui s’envole. Les écrits restent”, constate Juliette Renault. Ginger Force et Megane en ont déjà fait les frais. Féministe sur les bords, Ginger Force n’a pas apprécié une vidéo de Squeezie sur le jeu Douchebags Chick. Sur Twitter, elle ne s’en cache pas, ce qui lui attire les foudres des fans du youtubeur. “On va te choper”, “grosse pute”, les insultes défilent sur son compte personnel.

Ses harceleurs l’oppressaient. Pire, ils s’amusaient. Une sorte de compétition les distrayait. “Le premier qui se faisait bloquer, gagnait le concours”, avance Ginger Force. L’ampleur autour de ses propos dépassait la jeune femme, un peu comme pour Megane. À ce jour, cette développeuse Web comptabilise 1 207 messages. Son crime est de ne pas être une admiratrice de Marsault, de s’être réjouie de la fermeture de sa page officielle. Même si le dessinateur l’accuse de l’avoir signalé, Megane ne l’a jamais fait. Ses harceleurs ont aussi contacté son compagnon. Ils lui reprochaient de ne pas l’avoir assez éduquée. François est l’un d’entre eux. Quand il l’a menacée, il était saoul. Désormais, il regrette ses propos.

Valérian, en revanche, ne l’a pas insultée. Il s’est marré sur le moment. S’il le pouvait, il aimerait revenir sur ses paroles. Mais il ne peut pas. “C’est trop tard, le mal est fait”, se désole-t-il.

Une obsession malsaine

Un cyberharcèlement ne peut pas laisser de marbre. Coralie, elle, est du côté d’une victime, Lisa. À cause de son handicap moteur, elle s’est également retrouvée dans cette position. Des internautes l’insultaient. Il a suffi qu’elle menace les administrateurs d’une page de porter plainte, pour qu’elle soit enfin tranquille. Avec la page “Anti mytho & Co”, Coralie n’est pas encore arrivée à ses fins. Elle signale tous les statuts odieux envers Lisa. “Cette page a publié des montages et des photographies d’elle. Elle se moque, elle est toujours dans l’extrême”, commente-t-elle.

Laetitia, son administratrice, s’est donnée pour mission de dénoncer les “faux malades”. Elle accuse Lisa d’en être une. Coralie s’y oppose, convaincue qu’elle a des troubles mentaux. “Le cyberharcèlement est devenu son combat avec l’histoire de Lisa. Nous ne la nommons jamais directement, nous l’appelons Pina. C’est un personnage fictif “, se défend Laetitia. Un argument que démolit Nils, un ancien adjudant de la gendarmerie de Lyon. “S’il était vraiment fictif, personne ne pourrait reconnaître son identité réelle. La fille en question n’est pas fictive”, assure-t-il.

Porter plainte, un passage nécessaire

Des actes de ce genre sont condamnables, peu importe l’excuse des harceleurs. “Ils disent souvent : ‘J’étais sous l’effet de drogues ou d’alcool’ ou ‘j’ai été entraîné’, mais s’ils font une bêtise à cause de l’alcool, ce n’est pas une circonstance atténuante”, insiste Me Thierry Vallat, avocat au barreau de Paris. Dès qu’une victime se sent en danger, elle doit porter plainte. Plus elle attendra, plus son persécuteur gagnera en confiance. Il ne sera pas épargné. “Les incriminations sont lourdes. Les harceleurs peuvent écoper de deux ans de prison ou avoir une amende de 30 000 euros”, précise l’avocat. Lorsqu’Amélie était toujours sous le choc, sa mère a porté plainte. Elle n’a jamais eu de retour, elle n’en a pas déposé une autre. Âgée de 26 ans à présent, l’illustratrice est passée à autre chose. Ceux qui veulent toujours que justice leur soit rendue, doivent suivre une démarche. Ils peuvent relancer leur plainte s’ils n’ont toujours pas de nouvelles après six mois. Le magistrat les informera ainsi de l’évolution de la procédure, selon Nils. Se battre, ça paie parfois !

* Les prénoms ont été changés.

Article écrit par Jessica Collini