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Confessions d’une ex-Femen

Confessions d’une ex-Femen

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Par Anaïs Chatellier

Publié le

“En France, je pense que ça a marché pour les mauvaises raisons : le côté sexy.”

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“À titre personnel, je n’assume pas de taper sur les Musulmans qui sont déjà une minorité en France et j’ai eu du mal à incarner le mouvement dans ce genre d’action.”

En tant que franco-française, d’origine catholique, j’étais mal à l’aise avec ça, sachant qu’ils sont déjà discriminés, stigmatisés, surtout en ce moment. Il y a un côté trop colonialiste dans ma tête, même si je comprends ce qu’ont fait les femmes là-bas. Moi petite blanche bourgeoise, je vais en Inde sauver toutes les femmes indiennes… c’est un irrespect total pour la culture des gens. Par contre, avec ma culture, celle qui est dominante en France, je n’avais pas du tout de problème.
K | Tu racontes dans ton livre que les actions contre la religion musulmane faisaient beaucoup débat au sein des Femen. 
Oui, on en a pas mal parlé, surtout pour rappeler à Inna qu’on n’est pas en Ukraine, où il y a très peu de Musulmans. Certaines Ukrainiennes voyaient des maghrébins pour la première fois quand elles sont arrivées en France, elles en avaient déjà vu à la télé mais pas en vrai, c’est ça la réalité.
L’Ukraine est un pays pas du tout métissé, très fermé, soviétique, avec cette diabolisation de la religion musulmane avec l’Arabie Saoudite et le Pakistan comme image. Et en France, ce ne sont pas du tout les mêmes problématiques, on est dans un pays laïque. Ce que je trouve regrettable c’est qu’elle ne s’y sont pas non plus vraiment intéressées.
K | On apprend également que lors de la première rencontre avec les Femen ukrainiennes, tu as eu le droit à une séance de maquillage et de coiffure pour prendre une photo et la poster ensuite sur Facebook, une sorte de rite d’initiation. C’est ce qu’on reproche souvent aux Femen, d’être un peu superficielles et de finalement jouer le jeu du patriarcat en se dénudant…
Pour moi, ce n’est pas contradictoire, c’est un détournement. Le fait de dire “je ressemble comme deux goutes d’eau aux filles dans les magazines mais le message que je transmets est complètement inverse”.

“On colle aux codes justement patriarcaux et marketing pour délivrer un message complètement à l’opposé”

“Le côté “on n’est pas féministe” ne me dérange pas du tout. Je considérais que c’était une bonne chose que des personnes qui ne sont pas féministes à la base se posent enfin des questions à ce sujet”

J’ai découvert par exemple avant une action que des filles étaient catho et qu’elles ne voulaient pas qu’on leur écrive “Jésus” sur le torse. C’était un problème, ça voulait dire qu’elles n’avaient pas été mises au courant de ce qu’est Femen. C’est un problème en interne de communication comme on disait tout à l’heure.
K | Femen est considéré comme du néoféminisme. Pourtant, on associe ce terme à des mouvements qui ont plutôt tendance à vouloir inclure les hommes pour qu’ils se sentent tout aussi concernés par l’égalité entre les deux sexes. Est-ce que ce n’est donc pas contradictoire avec le fait qu’on ne voit jamais d’hommes torse nu aux manifestations Femen ?
Ça ne me gêne pas du tout car je trouve cela important que les femmes se réapproprient leur corps et qu’elles décident de se dévêtir. Les hommes ne sont pas dans les actions, mais il y en a plusieurs qui participent aux réunions, pendant longtemps le trésorier était un homme, le secrétaire aussi, ils nous aidaient pour ramasser les vêtements après les actions, il y avait des photographes, des vidéastes, des avocats. Les réunions étaient majoritairement féminines mais il y avait quand même des hommes.

“Je pense que c’est important que les femmes se réapproprient l’espace public”

K | On le dit peu souvent, mais vous avez aussi eu plusieurs soutiens de féministes d’autres associations…
Il y a eu le collectif Oui Oui Oui au sujet de la polémique sur la PMA. On a beaucoup travaillé avec elles, avec des militantes de La Barbe, Osez le féminisme, les Effrontées. Quand j’y étais, c’était compliqué parce que je pense que les féministes installées ici ont vu l’arrivée de Femen comme un mépris de leur travail depuis des années. En plus, Inna a parlé dans les médias de manière désobligeante en disant que c’était des vieilles femmes poussiéreuses, donc forcément ça provoque et je comprends que ça ne plaise pas.
Au début je faisais le lien parce que j’étais déjà dans les réseaux, j’essayais de tempérer. Quand on faisait des Femen party, d’autres féministes venaient. Il y a deux semaines pour les 40 ans de l’IVG, les Femen étaient également conviées à la marche.

“La grosse qualité de Femen c’est d’avoir réussi à ce que les problématiques féministes s’inscrivent dans un quotidien”.

“Je pense que dans mon cas, il s’agit d’un délit de blasphème déguisé, c’est évident que si je n’avais pas fait ça dans une église mais dans un square, il n’y aurait pas eu autant de problèmes”

“J’en avais marre qu’on nous prenne pour des décérébrés qui se foutent à poil pour passer à la télé”.

K | Tu le vois comment l’avenir de Femen ?

Je ne sais pas trop quel avenir il y a entre les différents procès. Mais je trouve ça déjà incroyable qu’elles aient réussi à durer aussi longtemps. J’espère qu’elles vont se ressaisir. Le problème c’est qu’il y a eu aussi une lassitude des médias. Au premier rassemblement pour Charlie Hebdo à République par exemple, une Femen a brûlé un Coran, et personne n’en a parlé alors qu’il y avait beaucoup de médias. Ça ne les intéresse plus du tout, c’est le concept du buzz.
Il faudrait peut-être penser à d’autres manières d’organiser les événements, être à d’autres endroits. J’ai l’impression qu’il y a eu de grosses périodes où on avait une seule cible par rapport à l’actualité, le mariage pour tous, l’extrême droite, puis la prostitution. C’est bien de faire une action très forte mais je ne vois pas l’intérêt d’en faire dix pour la même idée alors que de l’actualité sur les femmes, que ce soit en France ou à l’étranger, il y en a tout le temps. Les gens se disent “encore les Femen sur ce sujet-là”, comme si elles n’arrivaient pas à se diversifier. Elles devraient revenir au parodique, je trouve que ça a vachement perdu en humour. Peut-être que si elles retrouvaient cette fraîcheur, cette ironie et cette légèreté…