Charlotte de Vilmorin : “Les gens n’imaginent pas que tu peux t’amuser quand t’es en fauteuil”

Charlotte de Vilmorin : “Les gens n’imaginent pas que tu peux t’amuser quand t’es en fauteuil”

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Par Anaïs Chatellier

Publié le

“Ma grande chance c’est que mes parents ont tout fait pour que je suive un cursus classique”

En fauteuil roulant depuis toute petite, Charlotte ne s’apitoie pas sur son sort. Au contraire, elle a su développer diverses activités en rapport avec son handicap. D’abord bloggeuse, écrivaine puis entrepreneuse, elle nous rappelle que “même lorsque l’on traîne des casseroles comme moi, on peut y arriver !“. Sa détermination, elle la doit d’abord à ses parents qui l’ont éduqué comme une personne valide.

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Ma grande chance c’est qu’ils ont tout fait pour que je suive un cursus classique. J’ai toujours été entourée de copains qui couraient dans la cour de récré, je n’ai jamais été mise dans une bulle comme c’est le cas de beaucoup d’enfants en situation de handicap.
Évidemment, il y a des choses que je ne pouvais pas faire comme sortir les affaires de mon cartable mais jamais personne ne m’a laissé en galère, les autres enfants m’aidaient spontanément.

Après son lycée, Charlotte commence une prépa et intègre ainsi le Celsa, célèbre école de communication. Formée dans le domaine de la pub, elle multiplie alors les stages dans ce domaine qui lui plait et où elle se sent bien. Si elle attache une importance particulière à vivre une vie “normale” et à nous faire rapidement oublier sa chaise roulante, son quotidien n’est pas toujours facile. C’est donc avec beaucoup d’humour qu’un dimanche soir il y a trois ans, elle commence à raconter ses aventures de jeune parisienne active en fauteuil roulant à travers son nouveau blog, Wheelcome.

Wheelcome, un blog plein d’humour sur le quotidien d’une parisienne en fauteuil

Parfois, je me retrouve vraiment dans des situations hallucinantes ! Je voulais donc d’abord partager ça avec mes proches. J’essaie toujours de voir le côté marrant. Du coup, je me moque pas mal de moi-même et des autres aussi. Je voulais surtout éviter de tomber dans le misérabilisme du style : “ma vie est compliquée, ma vie est un enfer”.

Contre tout attente, son blog se forge rapidement un groupe de fidèles lecteurs – environ 250 000 aujourd’hui – et attire plusieurs éditeurs. À peine deux semaines après le démarrage de son blog, ils sont plusieurs à la contacter pour lui proposer d’écrire un livre.
Beaucoup d’éditeurs m’ont proposé des choses qui ne me plaisaient pas du tout, comme écrire un livre “sensation” ou sur le handicap et le combat. J’ai donc choisi l’éditeur Grasset qui m’a laissé carte blanche et c’est comme ça qu’est née l’idée du bouquin qui raconte une tranche de vie, le passage d’étudiante à femme active“, nous précise-t-elle au sujet de son livre intitulé Ne dites pas à ma mère que je suis handicapée, elle me croit trapéziste dans un cirque sorti en avril dernier. Il faut dire que son passage à la vie active n’a pas été de tout repos.

Wheeliz, le premier site de location de voitures aménagées entre particuliers au monde

En effet, lorsqu’on lui propose de l’embaucher et de passer du statut de stagiaire à celui de salarié, les choses se compliquent. Alors qu’en tant qu’étudiante, tous ses déplacements sont pris en charge, elle se retrouve alors du jour au lendemain à devoir assumer toute seule les allers-retours entre chez elle et son lieu de travail. “Financièrement, ce sont des factures astronomiques“, nous raconte-t-elle.

Il me fallait plus de 4000 euros par mois, juste pour aller bosser. Je me suis dit : mais comment je vais faire ? J’ai été très étonnée car beaucoup de personnes me disaient “mais pourquoi tu veux bosser ? On est très bien chez soi avec les allocs, pourquoi tu vas t’emmerder à aller bosser ?”
C’était aberrant pour moi de me dire qu’on avait mis en place tout un système pour que je sois formée et que je puisse m’intégrer dans le système de l’entreprise pour que le jour où j’avais cette possibilité-là, c’était en fait trop compliqué. Je me suis rendue compte qu’il y avait beaucoup de personnes dans ma situation qui avaient renoncé à bosser non pas parce qu’ils n’étaient pas employable mais parce qu’ils ne pouvaient pas se déplacer.

C’est alors que commence à germer dans sa tête le concept de Wheeliz, un site de location de voitures aménagées pour handicapés entre particuliers. “Ça n’a rien de révolutionnaire, l’échange entre particuliers existe depuis longtemps, mais un site comme celui-là, ça n’existait pas“, nous assure-t-elle. Elle quitte alors son boulot pour se dédier entièrement à ce nouveau projet. Elle rencontre ainsi son futur associé, Rémi Jeannot, après avoir posté un article sur son blog expliquant son nouveau projet.
Ensemble, ils lancent une campagne de crowdfunding qui rencontre un fort succès et est bouclée en à peine une semaine. L’activité de location commence alors en mai dernier et jouit rapidement de 120 000 inscrits, soucieux d’y trouver des prix deux à trois fois moins chers que les agences spécialisées qui selon Charlotte “profitent d’être sur un marché de niche subventionné, pour rajouter un zéro par-ci ou par-là”. Sur son site, la jeune entrepreneure de 24 ans laisse ainsi le choix à l’utilisateur de proposer un prix à la hausse ou à la baisse.
Beaucoup de gens décident d’ailleurs de le mettre à la baisse“, nous explique Charlotte. “Il y a un vrai sentiment de solidarité parce que lorsque tu sais à quel point c’est compliqué de se déplacer quand t’es en fauteuil, tu es vraiment prêt à faire un effort et à rendre service“. D’ailleurs, ce sentiment de solidarité, elle aimerait le voir s’élargir vers d’autres horizons.
Beaucoup de gens nous écrivent pour nous demander de mettre en place une sorte de Airbnb de la voiture aménagée dans tous les pays du monde. C’est notre grand rêve à terme, ça permettrait vraiment de révolutionner le tourisme pour les personnes handicapées“. Il faut dire que Charlotte a pas mal voyagé et a été confrontée à de bonnes comme à de mauvaises surprises.

Voyager à l’étranger quand on est handicapé

Pour les personnes handicapées, trouver un avion, un train ou un hôtel accessible, ça se fait. Mais ce qui bloque c’est lorsque tu dois te déplacer jusqu’à ton hôtel. Tu ne peux pas prendre un taxi, ni les transports en commun… Il faut faire quelque chose pour que les personnes à mobilité réduite arrêtent de renoncer à se déplacer“, suggère Charlotte.
De son côté, elle ne s’est jamais interdit de voyager à cause de son handicap et a même été surprise par l’accessibilité dans des pays comme les Émirats arabes unies ou les Etats-Unis. “Une ville comme Dubaï a été conçue et pensée pour les personnes handicapées. Il y a des ascenseurs de tous les cotés. Et pourtant je n’ai vu personne en fauteuil. En Floride, j’étais limite frustrée parce que je pouvais aller partout ! Je me disais mais c’est pas possible, il y a bien un endroit où je ne vais pas pouvoir aller !”, plaisante-t-elle.
Si ces voyages ont été un véritable plaisir pour la jeune femme, son séjour en Inde n’a pas été si plaisant. En effet, rien n’est aménagé pour faciliter la vie des handicapées – aucune rampe, des trottoirs remplis de trous – mais c’est surtout la vision du handicap qui l’a frappée.

Le vrai problème était culturel, je n’avais pas du tout anticipé que là-bas le handicap était super mal vu. Il y a toute une histoire de mauvais karma, j’étais persona non grata. Je ne pouvais pas rentrer dans les temples parce que j’étais impure, au restaurant on refusait de me servir, dans la rue les gens me suivaient, me filmaient.
Si parfois tu n’es pas toujours la bienvenue et les gens sont un peu maladroits, ça ne m’était jamais arrivé de façon aussi violente. Ma sœur qui vivait là-bas à ce moment-là m’a dit que les personnes en Inde qui ont un enfant handicapé, l’abandonne en général.

“Ce qui m’énerve le plus, ce sont ceux qui pensent que je suis super malheureuse et qui me prennent en pitié”

Si la loi 2005 sur l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées était censée améliorer leur quotidien, Charlotte, elle, n’a pas vu de véritables changements dans sa vie de tous les jours. “C’est un chantier colossal et les gens ne se rendent pas compte. Ça m’arrive d’aller voir de nouveaux restaurants et de leur dire ‘ah y a une marche, c’est dommage’ et ils me répondent ‘je n’avais même pas vu qu’il y avait une marche !’“.
Pour elle, imposer n’est donc pas la solution, il faut d’abord que les personnes prennent conscience que les handicapées sont des personnes “normales” et qu’elles peuvent jouer un rôle important dans notre société. Mais il faut dire que les clichés sur les personnes à mobilité réduite sont nombreux.

Ce qui m’énerve le plus, ce sont ceux qui pensent que je suis super malheureuse et qui me prennent en pitié dans la rue : “Oh ma pauvre, ça doit pas être facile, je vous souhaite beaucoup de courage”. Même si ça part d’un bon sentiment, j’ai envie de leur dire : “Mais tout va bien dans ma vie, détente, je suis super à l’aise dans mes baskets !”
C’est malheureusement l’image que tu véhicules quand tu es handicapé. Les gens n’imaginent pas une seule seconde que tu peux avoir une vie cool et t’amuser quand t’es en fauteuil roulant.

Quand certains la plaignent, d’autres l’infantilisent carrément. “Les gens dans la rue me parlent comme si j’étais une gamine de six ans parce qu’ils pensent que comme je suis en fauteuil roulant, je suis débile ! Au McDo, on m’offre un ballon, etc. Les amalgames sont parfois durs ! Ça m’énerve parce que j’ai toutes mes capacités intellectuelles“, rappelle-t-elle. Pour autant, Charlotte tente toujours de rester calme et polie devant ces personnes maladroites qui pensent avoir réalisé la BA de leur journée.
Elle s’est aussi rendue compte que c’était très générationnel. “La plupart du temps, ce sont les petites vieilles qui s’ennuient qui me disent ce genre de choses. On ne peut pas leur en vouloir, avant on ne parlait pas du tout des personnes en fauteuil roulant, on ne les voyait pas, c’était surtout des mendiants“. Elle est donc plutôt optimiste quant à l’avenir des personnes handicapées car elle a pu remarquer que la nouvelle génération était plus à l’aise avec la question du handicap.
Plein d’autres projets en tête, Charlotte compte bien continuer à améliorer la vie des personnes à mobilité réduite et surtout à distiller sa bonne humeur autour d’elle en tant qu’adepte du dicton : “On n’est pas responsable de la tête qu’on a mais on est responsable de la gueule qu’on fait“.