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Grâce à la BD Fallait demander, un homme a lancé une pétition pour allonger le congé paternité

Grâce à la BD Fallait demander, un homme a lancé une pétition pour allonger le congé paternité

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Vin Diesel dans Baby-Sittor Copyright D.R. @http://www.allocine.fr/film/fichefilm-55106/photos/detail/?cmediafile=21088244

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Par Mélissa Perraudeau

Publié le

Grâce à la BD publiée par la blogueuse Emma sur l’inégalité hommes/femmes en matière de tâches domestiques et d’éducation des enfants, un informaticien français a décidé de publier une pétition demandant l’allongement du congé paternité, et espère que des politiques vont se saisir du sujet.

Il y a deux semaines, la blogueuse Emma dénonçait le problème de la répartition des tâches entre hommes et femmes avec une BD online qui a fait beaucoup de bruit. Dans Fallait demander, la dessinatrice de 36 ans expliquait le concept féministe de charge mentale, le fait que ce sont les femmes qui doivent penser à tout en matière de travail domestique et d’éducation des enfants. Un travail épuisant, aussi bien intellectuel (parce qu’elles réfléchissent à tout ce qu’il y a à faire), que pratique (parce qu’ensuite, ce sont elles qui doivent s’en charger). La BD montre que les hommes sont conditionnés à n’être que des aides, de simples exécutants. La faute notamment au congé paternité : en n’étant que de onze jours, il oblige la mère à tout prendre en charge quand le père retourne travailler après une naissance ou une adoption. Les enfants sont éduqués dans ce modèle familial, qu’ils tendent donc à reproduire. Emma expliquait à BuzzFeed News qu’elle avait conçu Fallait demander “dans l’espoir que les hommes la lisent et prennent leurs responsabilités”. Un message reçu fort et clair par Naro Sinarpad, ingénieur en informatique.

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Soulager les mères et permettre aux pères de s’impliquer

Après avoir lu la BD d’Emma, il a cherché une pétition demandant l’allongement du congé paternité. N’en trouvant pas, il l’a créée. Elle s’adresse au président Macron, à la secrétaire d’État chargée de l’égalité des femmes et des hommes et aux ministres des Solidarités et de la Santé pour requérir l’allongement du congé de paternité à quatre semaines. L’informaticien espère également que les candidats aux législatives se saisiront du sujet, et les interpelle sur Twitter. Dans le texte de la pétition, il souligne que le retour au travail des nouveaux pères après seulement onze jours constitue pour eux comme pour leurs compagnes un vrai “traumatisme”. Expliquant que les psychologues “s’accordent à dire qu’il faut au minimum 21 jours pour mettre en place des habitudes”, Naro Sinarpad souligne que la femme est bien souvent seule pour réorganiser le foyer et s’occuper du nouveau-né, se retrouvant “surchargée” tandis que le père peine à trouver son nouveau rôle auprès de son enfant et de sa compagne en n’ayant que les soirs et les week-ends pour prendre la relève. D’où une division des tâches inégale, ce qui constitue une partie de la charge mentale pesant sur les mères.
L’informaticien argumente en expliquant qu’un allongement du congé paternité soulagerait les jeunes mères, et permettrait aux pères d’être plus impliqués dans l’éducation de leurs nouveau-nés, avec lesquels ils pourraient ainsi tisser des “liens privilégiés”. Cette pétition, qui a déjà été signée près de 9 500 fois ce vendredi 26 mai, entend compléter une autre revendication lancée sur Change.org il y a un an. Créée par l’association de futurs et jeunes parents les Ouvrières de la Reine basée à Tours, cette demande concerne un allongement du congé de maternité postnatal à dix-huit semaines. Pour protéger mères et enfants, il s’appliquerait à toutes les femmes venant d’accoucher quel que soit leur statut, leur nombre d’enfants et la durée de leur congé de maternité prénatal. Ces revendications s’inscrivent dans un long combat de femmes et d’hommes pour l’égalité des droits entre les sexes et la protection des jeunes mères et de leurs enfants.

L’impact du congé maternité

Le congé maternité a été développé progressivement à partir de 1909, où la loi du 27 novembre garantissait aux femmes venant d’accoucher de conserver leur travail. Il n’y avait cependant pas d’indemnisation, pas plus que d’obligation pour les femmes de prendre ce congé. C’est en 1913 qu’un congé postnatal de quatre semaines est devenu obligatoire, et qu’une allocation a été prévue. Elle ne constituait qu’un dédommagement, et le repos prénatal restait facultatif. La Revue des Droits de l’Homme souligne qu’il s’agissait plus de protéger les enfants et d’assurer leur survie que d’accorder des droits supplémentaires aux mères : alors “destinataires de ces mesures, les femmes n’en sont pas pour autant les bénéficiaires”. C’est en fait l’Organisation internationale du travail (OIT) qui a décidé en 1919 d’un vrai congé maternité (même si la terminologie n’a été intégrée qu’avec une révision de 1952), consistant en un congé prénatal obligatoire de six semaines et un congé postnatal facultatif de six semaines. Il était convenu que la mère devait recevoir une “indemnité suffisante pour son entretien et celui de son enfant dans de bonnes conditions d’hygiène”. Notre congé maternité actuel a ensuite été instauré en 1978 par la France. Les femmes ont droit à un congé maternité d’une durée de seize semaines, respectant donc la convention de l’OIT mais en se plaçant dans “la moyenne basse des pays européens”, toujours d’après la Revue des Droits de l’Homme. Les Françaises doivent prendre un congé prénatal de deux semaines minimum, et après la naissance elles ne peuvent retourner travailler avant au moins six semaines. Par ailleurs, la durée du congé peut être augmentée selon le nombre d’enfants à charge ou les éventuelles complications médicales.
Mais ce congé maternité, qu’il a fallu du temps pour instaurer, reste un critère de discrimination pour les femmes. La Revue des Droits de l’Homme évoque un sondage réalisé en 2009, montrant que “55 % des femmes ont le sentiment que leur(s) congé(s) maternité a / ont eu un impact négatif sur leur progression de carrière”. Si des lois, comme celle de 2008 sur la lutte contre les discriminations, leur fournissent une défense légale, les femmes restent désavantagées par le congé maternité “reconnu comme un critère à part entière de discrimination, au sens large du terme”. Il faut dire que l’équilibre hommes/femmes n’a en la matière rien d’équitable.

La naissance d’un enfant creuse un fossé entre hommes et femmes

Ce n’est qu’en 2002 qu’un congé de paternité et d’accueil de l’enfant a été instauré pour les pères. C’est Ségolène Royal, en tant que ministre déléguée à la Famille, qui a porté le projet sous le gouvernement de Lionel Jospin. Le congé est d’onze jours consécutifs au plus pour la naissance d’un enfant, et de dix-huit consécutifs pour une naissance multiple. Il s’ajoute aux trois jours d’absence prévus par le Code du travail, et n’a rien d’obligatoire. Ce fut pourtant un véritable succès dès sa première année, puisque près de 60 % des pères en ont bénéficié en 2002 d’après l’Ina. Le congé maternité et le congé paternité sont depuis restés profondément inégaux, avec les conséquences que cela implique. Slate rapporte que selon des chiffres de 2006, “39 % des femmes estiment que leur activité a été modifiée par la naissance de leur enfant (contre 6 % des pères)”, et que “22 % des mères ont réduit leur temps de travail à l’arrivée d’un enfant (contre 6 % des pères)”. Surtout, Béatrice Kammerer, la journaliste de Slate avance :

“71 % des hommes ont le sentiment que le regard de leur entreprise sur eux n’a pas changé avec l’arrivée de leur enfant, de quoi laisser songeuses bien des femmes questionnées de manière inquisitrice par leur hiérarchie sur leurs projets de maternité ou leur organisation familiale et qui hésitent encore à faire figurer sur leur CV le nombre de leurs enfants.”

Et si les femmes doivent prendre un temps minimum de congé maternité, les hommes n’ont aucune obligation : en 2013, ils n’étaient ainsi que sept pères sur 10 à l’utiliser. On est loin du modèle le plus égalitaire qu’on trouve en Europe : l’Islande. D’après la revue Cadres, chaque Islandais a en effet droit à un congé de trois mois : “88,5 % des pères prennent en moyenne 101 jours de congé et 100 % des mères prennent un congé de 181 jours.” Un modèle qui fonctionnerait bien en France pour Slate : même si les coûts d’un congé paternité équivalent seraient importants, l’OCDE avait estimé dans un rapport de 2012 que “d’ici à 2030″, cela “pourrait conduire à une augmentation du PIB de 9,4 %”. Mais en l’état actuel des choses, une égalité des congés semble très difficilement atteignable. En février dernier, le Front de gauche proposait une loi d’allongement des congés maternité et paternité. Le texte initial proposait bien que le congé paternité soit porté à quatre semaines, mais cette durée avait été jugée “pas raisonnable” par le député PS Michel Issindou. L’Assemblée avait donc adopté un texte l’allongeant à quatorze jours au lieu de onze, tandis que le congé maternité passait à dix-huit semaines. Au final loin de son objectif initial, il n’a de plus pas pu être voté avant la fin de la législature.
La mobilisation de Naro Sinarpad, même s’il ne demande pas à ce que le congé paternité soit obligatoire, est donc largement bienvenue. On souhaite à sa pétition de trouver la même portée que la source de son inspiration, Fallait demander, désormais partagée plus de 210 000 fois et ayant reçu près de 14 000 commentaires.