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Pourquoi la Journée des droits des femmes divise les femmes

Pourquoi la Journée des droits des femmes divise les femmes

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Par Anaïs Chatellier

Publié le

La journée du 8 mars a été officiellement décrétée Journée des droits des femmes par l’Onu en 1977. Nous avons demandé à des femmes, activistes féministes ou pas, ce qu’elles pensaient de cette initiative, aujourd’hui appelée Journée internationale des droits des femmes.

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Pourquoi le 8 mars n’est pas une deuxième Saint-Valentin

“Journée internationale de la femme”,  “journée des droits des femmes”, “journée de lutte pour les droits des femmes”, “journée des femmes” ou encore tout simplement “journée de la femme”… La multiplication des termes pour désigner le 8 mars n’est clairement pas anodine. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles il règne autant de scepticisme à l’égard de cette journée symbolique.

“La Femme c’est un groupe de rock et je ne crois pas qu’ils aient déjà une journée rien que pour eux, si ? Ça ne veut rien dire ‘journée de la femme’, on n’est pas sous serre le reste de l’année à ce que je sache !” ironise Océane Rose Marie, comédienne, chroniqueuse sur France Inter et féministe, qui préconise donc l’utilisation de “Journée Internationale des droits des femmes”, comme toutes les autres personnes interviewées. Parler de “La femme” comme si toutes les femmes étaient une entité à part entière est quelque chose “d’extrêmement réducteur“, selon Clara Gonzales, l’une des créatrices de Macholand qui rappelle que “nous ne sommes pas une minorité, nous sommes la moitié de l’humanité”.

Pour Florence*, qui travaille dans les droits de l’homme, son avis au sujet de cette journée a évolué au fil des années. “Au début, je trouvais ça aussi con que la Saint-Valentin : on n’a pas besoin d’une fête inventée par les fleuristes et chocolatiers pour se prouver son amour. Alors pourquoi avoir besoin d’une ‘journée de la femme’ ?”, se posait-elle alors comme question.

Apporter le petit-déjeuner à sa maman comme si c’était la fête des mères, se prendre au jeu du gentleman qui ouvre la porte à sa dulcinée et lui offre des fleurs… Autant d’actions symboliques qui font bien souvent de cette journée un avant-goût de la Saint-Valentin.

À ce sujet, Fatima des Effronté-e-s insiste :

Il ne s’agit pas de rendre hommage à une vision stéréotypée de la femme ou d’une fête, d’une célébration de l’idéal féminin.

C’est pourtant ce que nous laissent imaginer la plupart des marques qui profitent de cette journée pour proposer toutes sortes de soins et produits – comme la lessive – à prix réduits pour célébrer “la femme”, comme nous le confirme Clara Gonzales :

“La période qui précède cette journée est toujours riche en démonstrations de sexisme de la part des communicants, des marques ou des politiques. Telle mairie vous propose un relooking, tel supermarché des produits ménagers à prix réduits… Bref, de quoi se rendre compte qu’il y a encore du boulot !”

De son côté, Lubna du collectif Barbi(e)turix n’oublie pas de rappeler que le phénomène de “la récupération politique de ceux qui tentent de se racheter une conscience un jour par an” est bien réel avant d’ajouter :

“Pour autant, le 8 mars reste l’occasion de mettre un coup de projecteur sur des revendications féministes qui, le reste de l’année, n’intéressent pas grand monde.”

Une journée féministe “nécessaire”

Le 8 mars symbolise une piqûre de rappel d’après Delphine Aslan de FièrEs, association féministe lesbienne, bi, trans :

“Une journée pour rappeler que les femmes n’ont toujours pas les mêmes droits que les hommes, ce n’est pas de trop ! Nous luttons toute l’année pour les droits des femmes. Le 8 mars, ce n’est finalement qu’une journée où il faut profiter de l’attention du public et des médias sur ces questions : en manifestant, en organisant des événements, en publiant des textes. C’est une journée nécessaire, tant que les femmes, partout dans le monde, seront opprimées et discriminées.”

Dans un communiqué publié pour l’occasion, les membres de cette association reviennent sur toutes ces inégalités auxquelles les femmes doivent faire face.

“22 % des Européennes ont subi des violences physiques ou sexuelles de la part de leur partenaire.

8 % seulement des entreprises dans le monde sont dirigées par une femme.

Dans 79 pays, la loi restreint le type d’emploi qu’une femme peut occuper.

En France, à travail égal, les femmes gagnent toujours en moyenne 27 % de moins que les hommes.

Le droit à l’avortement est limité dans plus de 2/3 des pays.”

La Marche mondiale des femmes

Autant de chiffres qui démontrent que les inégalités entre les hommes et les femmes sont bien présentes dans le monde entier et qui justifient pour plusieurs associations l’existence d’une journée pour ne pas les oublier. Car chaque année, “le constat est alarmant” selon Claire Serre-Combe, porte-parole de l’association Osez le féminisme, pour qui descendre dans la rue ce dimanche 8 mars à l’occasion de la Marche mondiale des Femmes, qui a lieu tous les cinq ans partout dans le monde, est primordial.

L’occasion selon elle de reparler des problèmes concernant l’avortement en France – alors que nous venons de célébrer les 40 ans de la loi Veil – ainsi que de l’absorption par le ministère des Affaires sociales et de la Santé, du ministère des Droits des femmes, relayé au statut de secrétariat en août 2014.

Bien consciente des inégalités, Florence va d’ailleurs “porter du violet  [la couleur traditionnelle des féministes depuis les suffragettes, ndlr] dimanche”, pour toutes celles qui n’ont pas eu la chance comme elle de grandir dans une famille et dans un environnement où l’égalité hommes-femmes étaient de mise, “ce combat de tous les jours”Pour la marche, ce sont donc bien toutes les femmes qui sont appelées à marcher aux côtés des associations féministes.

C’est vraiment ce qu’on espère, que toutes les femmes se sentent concernées et que les hommes aussi se joignent à nous“, nous confie Fatima des Effronté-e-s. Car si elle reste persuadée que le débat doit d’abord être porté par les femmes qui vivent l’indignation au quotidien, les hommes sont et doivent tout aussi bien se sentir concernés. 

Pour autant, Océane Rose Marie regrette qu’il n’y ait pas plus de solidarité entre associations féministes lors de cette marche, dont le thème de cette année est “Autonomisation des femmes – Autonomisation de l’humanité : Imaginez !”.

Il faut dire que les avis divergent sur de nombreux sujets :

“Dimanche, il y aura deux manifestations, la ‘classique’ qui part de République, et la manif ‘8 mars pour toutes’ qui réunit celles qui s’étaient faites jetées comme des malpropres de la première parce qu’elles étaient voilées (en 2004) ou prostituées (en 2011)…

La violence du clivage n’a pas diminué et je trouve ça bien triste que certaines féministes pensent pouvoir régler les problèmes d’inégalités en excluant ou en infériorisant d’autres femmes, et que les mouvements soient divisés alors que plus que jamais, il faut s’unir !”

En tout cas, elle espère vraiment que le 8 mars deviendra rapidement une journée “caduque”“Malheureusement, j’ai bien peur que ça n’arrive pas de mon vivant. À moins qu’on trouve des médicaments pour vivre 150 ans ?”, ironise-t-elle. Un avis partagé par Sophie Janinet qui fait partie du collectif Georgette Sand : “Quand cette journée a été créée en 1910 à la conférence internationale des femmes socialistes de Copenhague, je ne pense pas qu’on se doutait à l’époque qu’elle serait toujours aussi tragiquement utile aujourd’hui.”

* : le nom a été changé

Article coécrit avec Aline Cantos

Article initialement publié le 8 mars 2015, et mis à jour le 8 mars 2017.